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La prison, milieu propice à l’agressivité ? 95

CHAPITRE  V   : Discussion et recommandations 87

5.3   La prison, milieu propice à l’agressivité ? 95

Comme l’objet du projet concerne spécifiquement les inconduites des détenus (l’agressivité, l’impulsivité et le non-respect des règles de l’établissement), il paraît approprié de se pencher sur les éléments propres à ce milieu qui peuvent y contribuer ou, au contraire, constituer des facteurs atténuants. Les études qui ont porté leur intérêt sur l’expérience de la détention et les conduites des détenus tendent à intégrer deux modèles complémentaires, soit le modèle de la privation (Sykes, 1958) et le modèle de l’importation (Irwin et Cressey, 1962). Or, la combinaison de ces deux modèles permet la prise en compte simultanée et l’interaction entre les caractéristiques carcérales, c’est-à-dire propres au milieu (diverses privations subies : liberté, biens et services, hétérosexualité, autonomie et sécurité) et les caractéristiques personnelles (l’expérience pré carcérale) pour expliquer les conduites des individus emprisonnés (Gendreau et al., 1997; Hochstetler et DeLisi, 2005).

Les personnes rencontrées ont relevé des insatisfactions quant aux aspects privatifs et répressifs de la détention. En effet, ils se sont sentis brimés quant à leur liberté d’action et à leur autonomie. En plus de devoir adresser leurs demandes aux agents responsables, ceux-ci ont souligné leur mécontentement quant aux délais de traitements et de réponse. Deux participants ont rapporté avoir senti qu’on négligeait leur demande. Un participant a également parlé des fouilles de cellules et de la façon peu respectueuse dont les gardiens manipulaient leurs effets personnels et, dans certains cas, leur tendance à les abîmer. Ce contexte est, selon ces participants, favorable à l’adoption de comportements réactifs envers les gardiens (Vacheret, 2001). À cet effet, un participant a parlé de l’effet de groupe qui enflamme les détenus, expliquant que lorsqu’une personne incarcérée est la cible d’un mauvais traitement, l’ensemble des personnes de la section peuvent être tentées de manifester leur frustration, et ce, considérant qu’ils se sentent tous concernés. Cette attitude renvoie d’ailleurs au concept de

prisonniérisation, soit à l’émergence d’une solidarité pour s’acclimater aux aspects privatifs

Outre les caractéristiques propres au contexte d’enfermement, ce participant est d’avis que l’affiliation à des pairs réactifs ainsi que l’attitude négative quant à l’autorité sont deux éléments qui favorisent l’adoption de conduites agressives en détention. Il a également mentionné que tant qu’il a souhaité bénéficier de l’avantage d’avoir un réseau en détention, il était davantage porté à adopter des comportements en cohérence avec les règles du groupe, lesquelles vont à l’encontre de celles de l’établissement. Dans ces conditions, la relation avec les gardiens est plus tendue et les détenus s’exposent à recevoir de mesures disciplinaires.

Le contexte de proximité et les relations difficiles entre détenus ont également été ciblés comme des caractéristiques propres à la détention qui peuvent avoir une incidence sur les conduites et la tolérance des personnes incarcérées. Le fait d’être constamment entouré d’individus, avec lesquels ils n’ont pas d'affinité, constitue un défi sur le plan de la maîtrise de soi. La vie de groupe ne convient pas à tous et il peut s’avérer difficile de partager le peu de ressources dont ils disposent ou de s’entendre sur un mode de fonctionnement, d’autant plus que ces individus ont de la difficulté à se montrer flexibles et à faire des compromis. Ces témoignages concordent avec la littérature qui suggère que la densité carcérale, la surpopulation sont susceptibles d’influencer négativement l’adaptation des détenus et de favoriser l’émergence de comportements problématiques, comme la menace et la victimisation (Cabelguen, 2006; Vacheret et Lemire, 2007). À cet effet, les participants ont tous raconté avoir été mêlés dans des altercations avec d’autres détenus, et ce, pour divers motifs : rivalité entre groupes criminalisés, désaccord quant au mode de fonctionnement, conflits de personnalités, vengeance, etc. Cette réalité incite les personnes incarcérées à être sur le qui- vive, prêtes à toute éventualité. L’intimidation paraît être une technique utilisée et légitimée pour imposer le «respect», laquelle favorise une attitude agressive et menaçante.

Enfin, au plan occupationnel, les opportunités et les options s’avèrent restreintes. Ainsi, la balance entre les nombreuses sources d’inconforts ressentis et le peu d’occupations positives est inégale, ce qui laisse une grande place pour la prolifération des affects négatifs, lesquels sont directement liés à l’adoption de conduites impulsives et agressives.

Deux participants ont clairement énoncé que, lorsqu’ils sont incarcérés, ils considèrent être plus agressifs, et ce, en raison des nombreux aspects répressifs qu’implique la détention et de la nature des relations entre détenus ainsi qu’entre détenus et gardiens. La notion de

respect, telle que définie par les personnes incarcérées, sert également de justification pour justifier une altercation entre détenus. Deux participants sont d’avis que les conduites agressives ainsi que l’attitude menaçante sont nécessaires entre les murs, entre autres afin d’être traité avec respect et d’éviter la victimisation. Or, les défis relatifs à l’adaptation des détenus ainsi que la présence de conduites agressives sont une réalité observée dans les établissements de détention, lesquels sont, à la fois, influencés par des caractéristiques externes (propre au milieu) et des caractéristiques personnelles (propre à l’individu lui-même). Les participants semblent tous être aux prises avec des difficultés au plan de la gestion des émotions. De fait, ils présentent une faible tolérance aux émotions négatives et semblent disposer de peu d’outils pour les réguler. Qui plus est, ils présentent d’importantes lacunes aux plans de la communication et de la résolution de problèmes, lesquelles, conjuguées à leur impulsivité ainsi qu’à l’adhésion à un schème de valeurs antisociales, ont une influence positive sur l’adoption de conduites agressives et rend plus laborieuse la remise en question quant à leurs agissements.