• Aucun résultat trouvé

Caractéristiques individuelles et comportements antisociaux 58

CHAPITRE  IV   : Présentation des résultats 46

4.2   Caractéristiques individuelles et comportements antisociaux 58

La recension de la littérature permet de constater l’existence d’un lien entre les caractéristiques individuelles (tempérament, émotions et comportements) et l’adoption d’un mode de vie marginal. Or, il est intéressant de relever que lors des entrevues, les participants ont ciblé quelques caractéristiques individuelles qu’ils estiment associées à leur criminalité et à leur agressivité.

Tout d’abord, Victor a admis avoir commis sa première infraction alors qu’il avait environ sept ans. Depuis, il est demeuré actif en matière de criminalité. Aussi, l’ensemble des participants a présenté des comportements problématiques durant l’adolescence, ce qui a nui à leur cheminement, notamment au plan scolaire. Par exemple, c’est durant cette période que Guillaume a fait son premier vol et a commencé à consommer du cannabis. Victor préférait mener un mode de vie oisif et consommer, plutôt que d’aller à l’école. Les quatre individus rencontrés ont également connu une première incarcération provinciale alors qu’il avait entre

18 et 21 ans. Toujours dans cette tranche d’âge, dans les jours ou les mois suivants leur sortie de détention, ils ont soit récidivé, soit commis de nouveaux délits. En outre, durant leur vingtaine, aucune accalmie délictuelle n’est observée.

Tous les participants ont fait mention des comportements problématiques présents dès l’enfance ou l’adolescence, lesquels ont manifestement perduré dans le temps. De fait, les études ont démontré que la commission d’infractions et l’adoption de conduites agressives précoces augmentent la prévalence des problèmes psychosociaux, en plus d’être d’importants prédicteurs de la criminalité à l’âge adulte (Huesmann et al. 2002).

En ce qui a trait au tempérament, Victor a mentionné qu’à partir de l’adolescence, sa faible capacité d’autocontrôle (explosif) et son intolérance ont été la source de différends avec sa mère, et ce, principalement lorsqu’elle manifestait son désaccord quant à ses comportements marginaux : consommation, non-fréquentation scolaire, fugue du domicile. Une telle attitude témoigne d’une difficulté avec la figure d’autorité. Il a spécifié que, lorsqu’il avait consommé, il lui était plus difficile de faire la part des choses et il devenait plus agressif (agression réactive-impulsive). Il a spécifié que, confronté aux figures d’autorité (sa mère : durant sa jeunesse, puis les intervenants : durant ses séjours en maison de transition), il lui est plus difficile de faire la part des choses et il devient plus impulsif, impatient et agressif. Ces traits sont d’ailleurs désignés comme étant positivement associés aux conduites antisociales et nuisibles sur le plan de l’adaptation sociale (Morizot et Miranda, 2007; Moffitt, 2003).

« […] En maison de transition je réagissais […] à n'importe quoi, j'étais encore dans mes années où j'étais très agressif, très impulsif, où est-ce que j'avais aucun … aucune forme de communication possible avec moi dans le fond. Dès qu’il y avait de quoi qui faisait pas mon affaire je criais, j'étais pas content, puis il fallait qu’il y aille de quoi qui se brise ou qui se passe là parce que … c'était le seul moyen que je connaissais là, pour faire baisser un peu la pression dans le fond.» –Victor

«J'avais pas le goût de me faire dire quoi faire, puis j'avais pas encore décidé de changer mon mode de vie en fait là. […]En maison de transition, c’était pas tant d'être restreint qui me faisait réagir, c'était vraiment juste parce que bon … moi le soir j'avais

pas le goût de rentrer, j'avais juste le goût de continuer à boire avec mes chums, ouais bon, tu comprends.» –Victor

Ce participant a parlé de son attrait pour les sensations fortes (recherche d’adrénaline) et a ajouté que la nature de ses infractions, laquelle lui demande d’agir rapidement et d’assurer une certaine maîtrise de la situation et des victimes, lui permet de répondre à son besoin (Berkowitz, 2008; Glenn et al., 2007; Moffit, 2003).

« […] Tout se passe à une vitesse incroyable là, dans le fond là […] Ouin, c'est, c'est la grosse adrénaline, veut, veut pas.» –Victor

Daniel et Stéphane ont constaté que leur tempérament impulsif et agressif ainsi que leurs lacunes au plan de la communication ont nui à l’établissement de relations interpersonnelles saines et durables (Mathias et al., 2007).

«Je parlais rien qu’agressivité pour moi … je sais pas quoi, je parlais, mais je devais tout le temps être agressif. Parce qu’elles aimaient pas mon parler.» –Daniel

Selon les dires de Daniel, ce trait lui a nui tant en contexte conjugal ainsi qu’au travail. Il a expliqué que sa difficulté à s’exprimer clairement et, par conséquent, sa certitude qu’il sera incompris l’incite à opter pour un mode de communication empreint de violence et d’agressivité (Schneider et Normand, 2009). Aussi, sa faible tolérance avec ses collègues, sa propension à s’emporter facilement lorsqu’il vit une insatisfaction ainsi que son attrait pour la facilité (voler pour avoir plus d’argent) ont occasionné son renvoi de différents garages où il a travaillé. Des études ont d’ailleurs démontré que l’impulsivité incite les personnes à agir avec urgence lorsqu’elles sont aux prises avec des émotions négatives, ce qui entrave leur capacité à réfléchir aux conséquences de leurs actes avant d’agir (Lynam et Miller, 2004).

La littérature suggère également que les valeurs auxquelles adhère une personne ont une incidence sur ses comportements. Par exemple, les valeurs marginales et antisociales légitiment des attitudes et des comportements tels que la malhonnêteté, le non-respect des règles, l’attitude favorable à la violence, l’hostilité face à l’autorité, l’impulsivité ainsi que la consommation d’alcool et de drogues (Arthur et al., 2002). De telles valeurs vont à l’encontre de celles prônées par la société et, par conséquent, risquent d’entraver l’adaptation prosociale de ceux qui y adhèrent.

Les informations rapportées par Victor sont cohérentes avec ces études. En effet, il a mentionné que, durant son secondaire, il a préféré consommer et passer du «bon temps» avec ses camarades (adhésion à mode de vie oisif) plutôt que d’aller à l’école. Qui plus est, il a parlé de l’influence du milieu qu’il a fréquenté, lequel valorisait la consommation, la violence et l’attitude de refus face à l’autorité, sur ses conduites.

Daniel a parlé de son manque de persévérance et de sa difficulté à terminer ce qu’il entreprend. Il a notamment fait le lien avec les activités positives auxquelles il s’est adonné durant sa jeunesse et qu’il a laissées tomber, au profit d’un mode de vie axé sur le crime, et ce, bien qu’elles lui faisaient du bien. Cette attitude fait référence à un déterminant de l’impulsivité, soit le manque de persévérance et la recherche constante d’expériences nouvelles.

De plus, la toxicomanie fait partie des attitudes antisociales, au même titre que la délinquance et l’agressivité. Certaines études ont démontré que la consommation d’alcool et de substances illicites est liée à la délinquance et aux conduites violentes (Armstrong et al., 2005; Hammersley et al., 2003). L’effet désinhibiteur des substances psychoactives peut, entre autres, favoriser le passage à l’acte.

Victor estime d’ailleurs que le fait de consommer de substances psychoactives avait une incidence sur ses conduites et augmentait son intolérance ainsi que son impulsivité (Gavray, 2015). Il a ajouté qu’en étant sous l’effet de la drogue, cela facilitait les passages à l’acte, plus spécialement l’usage de la violence qui s’y rattachait.

«Moi, un de mes gros problèmes ça été de consommer de la drogue, qui me rendait très agressif et qui me m'empêchait de, de voir les choses … dans le fond de voir la réalité en face là justement là. […] Je consommais de la drogue, fait qu'en plus, j'étais impatient, impulsif.» –Victor

«Ouin, à ce moment-là (au moment des délits, entre deux sentences) je m'étais mis à consommer pas mal là.» –Victor

«Ben … c'est pas de là à dire que j'y prenais un certain plaisir … j'étais … j'avais la tête gelée accotée. Te sais … sans … je sais même pas si je ressentais quelque chose vraiment finalement. Autant … plaisir … pas de honte, … » –Victor

Guillaume est d’avis que la consommation d’alcool, jumelée à la pression des pairs, a favorisé la commission de son vol qualifié. De surcroît, la consommation de marijuana, comportement illégal qui contrevient aux règlements des ressources tels que le centre d’accueil (CA) et les maisons de transition, lui a occasionné des ennuis ainsi que la révocation de son séjour en maison de transition.

À la lecture du PIC de Stéphane, il appert que la consommation est un facteur contributif à sa criminalité. Bien qu’il n’ait pas établi ce lien direct en entrevue, il a néanmoins rapporté, qu’au tiers de sa première peine provinciale, il a eu la possibilité de sortir de détention pour compléter le programme thérapeutique offert par le Centre de traitement des dépendances le Rucher.

Bref, plusieurs caractéristiques personnelles telles que la précocité des comportements problématiques (délinquance, trouble du comportement, consommation), le tempérament agressif et explosif, l’intolérance face à la frustration, la faible maîtrise de soi, la difficulté avec les figures d’autorité, l’impatience et l’impulsivité, la recherche d’adrénaline à travers la violence et les délits, la consommation (désinhibiteur qui favorise l’acting out délictuel et agressif) ainsi que l’attitude procriminelle ont été identifiées, par les participants, comme contributive à leurs comportements agressifs et criminels. Les discours des participants ont permis de mettre en lumière la complexité du phénomène des conduites agressives et de relever de multiples éléments qui ont influencé leurs comportements. Ceux-ci révèlent l’influence de facteurs relationnels (famille et pairs), individuels et contextuels, lesquels interagissent entre eux et évoluent au fil du temps.

Pour la prochaine section, comme le projet concerne des personnes impliquées dans la criminalité, il a paru pertinent d’explorer les liens existants, le cas échéant, entre leur implication dans la criminalité et leurs conduites agressives. D’autant plus qu’en regard de la littérature, ces deux comportements dits antisociaux sont intimement liés.