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CHAPITRE 3 La presse écrite à l’heure de l’alternance: redéfinition de son rôle

A. La presse : entre dynamisme et contraintes

Au cours de la présidence d’Abdou Diouf, le Sénégal a vu une ouverture graduelle de son paysage médiatique : « Diouf a offert la pluralité, il y a eu une floraison des radios et des journaux »417, il « a desserré l’étreinte sur la société par exemple en acceptant le

multipartisme »418. Cela initia une période où de nombreux journaux privés virent le jour

comme Le Matin (1996), Le Populaire (1999), Le Messager (2002), L’Observateur (2003) et Le Quotidien (2003). Au-delà du Sénégal, ce phénomène fut également perceptible dans le restant de la sous-région419. Le paysage médiatique se diversifia donc de manière

remarquable puisqu’au même moment, de nombreuses radios surgissent suite à l’ouverture des ondes radiophoniques concrétisée par une loi en 1996420. Sud FM fut la première radio

privée fondée le 1er juillet 1994, suivie de Dunya FM, le 24 décembre 1994, puis de

nostalgie FM (filiale d’une station française), de Wal Fadjri FM en décembre 1997, de 7

politique et administrative de l’État. Ousmane Tanor Dieng fut chargé de la mise à l’écart des personnalités encombrantes ou qui avaient des velléités d’autonomie au sein du parti. Cette stratégie a miné le parti de l’intérieur au cours des années 1990 et a amené la création de deux nouveaux partis issus du PS: l’Union pour le renouveau démocratique (URD) en 1998 et l’Alliance des forces de progrès (AFP) en 1999. Voir : Diop, Diouf et Diaw, loc. cit., 2000, p. 160-162; Diop et Diouf, loc. cit., 2002, p. 125.

416 Diop, loc. cit., 2006, p. 107-111.

417 Entretien avec Mamadou (pseudonyme), journaliste de Sud Quotidien, cohorte 1990, à Dakar, le 26 avril 2013. 418 Entretien avec Pape (pseudonyme), journaliste de Wal Fadjri, cohorte 1980, à Dakar, le 3 juin 2013.

419 Perret, op. cit., 2005, p. 119.

420 S’il existait des radios au Sénégal avant cette date, elles appartenaient à l’État et participaient à conforter l’hégémonie du régime durant la période de 1962 à 1974. La pression se relâcha quelque peu avec la nomination au poste de ministre de l’Information de Daouda Sow, mais les ondes demeurèrent l’apanage de l’État et du parti unique. Moussa Paye, « Les nouvelles technologies de l’information et le processus démocratique », Momar-Coumba Diop, dir., Le Sénégal à l’heure

FM (du groupe 7 Com) et d’Oxy-Jeunes421. Cette dynamique s’est accélérée avec, en 1996,

la loi de décentralisation permettant l’éclosion des radios communautaires et ainsi une meilleure couverture régionale422.

En 2000, la presse bénéficiait donc d’une liberté d’expression accrue. Toutefois, en dépit de ce contexte favorable, les journalistes travaillaient dans un environnement précaire et parfois même hostile. Même si depuis la loi du 2 février 1996, le secret professionnel était reconnu par l’article 35423, le travail des journalistes était notamment rendu difficile

par des limitations d’ordre juridique dans la mesure où les fonctionnaires n’étaient pas autorisés à communiquer avec les journalistes. Un de nos informateurs en témoigna en ces termes: « L’administration est fermée à la communication, ni positivement, ni négativement, à tout, ils cachent tout, même ce qui n’a pas besoin de l’être »424.

L’utilisation de documents administratifs comme source pouvait également mener à une poursuite pour recel de documents administratifs425 même si le nouveau code de la presse

de 1996 offrait une meilleure accessibilité à l’administration426. En cas de poursuite pour

diffamation, les journalistes pouvaient donc difficilement prouver leurs dires au risque d’alourdir les chefs d’accusation portés contre eux427. Cela constituait indéniablement un

frein pour mener des enquêtes en profondeur sur la gestion gouvernementale et limitait donc le rôle de contre-pouvoir que pouvait avoir cette dite presse privée.

Cette difficulté à s’informer auprès de l’administration était d’autant plus grave que le gouvernement n’était pas plus accessible pour les journalistes. Le témoignage de Moustapha (pseudonyme) résumait bien la situation d'alors: « Les ministres ont souvent des porte-paroles, mais celui du président, je ne lui ai jamais parlé »428. Les journalistes doivent

421 Moussa Paye, loc. cit., 2002, p. 281-282. 422 Havard, loc. cit., 2004, p. 24.

423 Entretien avec Pape (pseudonyme), journaliste de Wal Fadjri, cohorte 1980, à Dakar, le 3 juin 2013; Mbow, op. cit., 2004.

424 Entretien avec Moustapha (pseudonyme), journaliste de Sud Quotidien, cohorte 1980, à Dakar, le 13 mai 2013. 425 Ministère de la Justice, « Paragraphe V », Code Pénal du Sénégal.

426 Entretien avec Moustapha (pseudonyme), journaliste de Sud Quotidien, cohorte 1980, à Dakar, le 13 mai 2013. 427 Bacary Domingo Mané, La loi et les médias au Sénégal, Legon, Fondation pour les Médias en Afrique de l’Ouest, 2012, p. 10.

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donc s’en tenir généralement aux porte-paroles429. Le président sortant, tout comme les

candidats aux législatives provenant du PS, se réservaient en grande partie pour le quotidien d’État, Le Soleil430. Il faut dire que « la RTS et le quotidien Le Soleil étaient entièrement mobilisés en faveur du candidat sortant [Diouf] »431. Toutefois, celui-ci, en

période électorale, se montrait plus ouvert à « jouer le jeu », à répondre aux questions des journalistes: « Il s’ouvrait un peu plus en campagne électorale, mais encore. »432 Ainsi, Sud Quotidien put faire un dossier spécial sur les différents candidats, Abdou Diouf étant traité

au même titre que les candidats de l’opposition avec déclarations de chacun à l’appui433,

lors de l’ouverture officielle de la campagne électorale. Par contre, les journalistes devaient respecter un certain protocole et le Président ne rencontrait pas toute personne qui souhaitait le voir434.

Dans la mesure où les conférences de presse n'étaient pas tellement fréquentes au Sénégal et où une bonne partie des informations transmises dans les journaux reposait sur des interviews, les journalistes dépendaient de la bonne volonté des acteurs politiques à répondre à leurs appels. La capacité à faire des interviews avec des acteurs politiques clé voire des membres importants du gouvernement reposait aussi en partie sur le réseau de connaissances d’un journaliste435. Bien que des interviews puissent être menées auprès des

membres haut placés du PS, comme le premier secrétaire du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng436, il n’en demeure pas moins que beaucoup des articles n'étaient pas rédigés

d’après des sources de première main.

De plus, les membres de l’opposition étaient beaucoup plus prompts à rejoindre les organes de presse pour partager leur impression sur l’actualité comme beaucoup des

429 Madior Fall, « Le PS dépose un recours contre l’emblème de Moustapha Niasse », Sud Quotidien, 7 février 2000. 430 Abdou Khadre Lo, Première alternance politique au Sénégal en 2000: Regard sur la démocratie sénégalaise, Mémoire de maîtrise, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2001.

431 Havard, loc. cit., 2004, p. 28.

432 Entretien avec Cheikh (pseudonyme), journaliste de Sud Quotidien, cohorte 1990, à Dakar, le 30 avril 2013.

433 Oumar Diatta, « Moustapha Niasse : "La verte Casamance veut la paix" », Sud Quotidien, 7 février 2000; Abdarrahmane Wone, « Mademba Sock à Guediawaye: Pour une école normale des banlieues », Sud Quotidien, 7 février 2000; Abdarrahmane Wone, « Proposition d’écran blanc de Me Wade: Les réponses tardent à venir », Sud Quotidien, 7 février 2000; Voir Annexe XI: Alassane Cissé, « Abdou Diouf : "Je ne connais pas l’usure du pouvoir..." », Sud

Quotidien, 7 février 2000. p. 235.

434 Entretien avec Cheikh (pseudonyme), journaliste de Sud Quotidien, cohorte 1990, à Dakar, le 30 avril 2013.

435 Entretien avec Moustapha (pseudonyme), journaliste de Sud Quotidien, cohorte 1980, à Dakar, le 13 mai 2013; entretien avec Omar (pseudonyme), journaliste de Sud Quotidien, cohorte 2000, à Dakar, le 5 juin 2013.

436 Madior Fall et Birima Fall, « Ousmane Tanor Dieng, premier secrétaire du PS: "Notre candidat passera au premier tour avec un taux largement supérieur à 50%" », Sud Quotidien, no. 2065, 21 février 2000.

journalistes interviewés nous l’ont confié. Cette propension à traiter de l'actualité de la part des hommes politiques de l'opposition s'explique par le fait que cette actualité était fréquemment émaillée par des scandales ou des situations désavantageuses pour le pouvoir en place. Dans ces conditions, l’opposition était bien heureuse de commenter une telle actualité437, « souvent moins impliquée dans les problèmes »438. En parallèle, les candidats

de l’opposition était en recherche constante de visibilité médiatique, ils répondaient promptement aux demandes d’entrevues de la presse privée, au point qu’un de nos informateurs journalistes soulignait ceci: « Des fois, c’est même l’opposition qui appelle les journalistes. Pas besoin de protocole »439. Tous ces éléments causaient donc un déséquilibre

dans le traitement entre les candidats.

Afin de sortir de cette situation, la presse considéra qu’elle devait davantage travailler en partenariat avec le gouvernement: « Gouvernement et presse devraient établir une synergie qui contribuerait à créer un environnement démocratique et à promouvoir la circulation de l’information. Mais il faut convenir que ce schéma idéal est rarement de mise tant il est vrai que les relations entre la politique et la presse sont ambiguës et complexes. »440 Il existait donc une relation de confrontation entre la presse et le politique

qui était contre-productive pour la presse privée étant donné que cela l'empêchait d’approcher l’administration et le gouvernement afin d'obtenir des informations de première main.

Comme nous l'avons vu dans le précédent chapitre, il était rare que des débats politiques soient organisés au Sénégal441. Pour pallier cet état de fait, les médias privés ont

tenté d’organiser un débat radiophonique ou télévisé retranscrit dans les pages des journaux. Cette invitation a d’abord été lancée à Djibo Kâ, leader de l’Union pour le renouveau démocratique (URD) sur les ondes de Sud FM442. Ce dernier qui avait été

directeur du cabinet de Senghor, puis ministre sous Diouf venait de quitter le PS en 1998

437 Entretien avec Assane (pseudonyme), journaliste de Wal Fadjri, cohorte 1980, à Dakar, le 14 mai 2013. 438 Entretien avec Assane (pseudonyme), journaliste de Wal Fadjri, cohorte 1980, à Dakar, le 14 mai 2013.. 439 Entretien avec Cheikh (pseudonyme), journaliste de Sud Quotidien, cohorte 1990, à Dakar, le 30 avril 2013.

440 Alassane Elfecky Agne, « Medina Gounass – Guédiawaye: « La liberté de la presse sénégalaise à l’épreuve des échéances de l’an 2000 », Sud Quotidien, no. 1965, 21 octobre 1999.

441 Sy, loc. cit., 2009, p. 328.

442 Bacary Mane, « Présidentielle 2000: Djibo Kâ invite les candidats déclarés à un face à face », Sud Quotidien, no. 2026, 4 janvier 2000.

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suite à sa mise à l’écart des structures politiques et administratives en même temps que Moustapha Niasse au profit d’Ousmane Tanor Dieng. Il avait alors fondé l’Union pour le Renouveau Démocratique (URD) et s'était porté candidat à la Présidence en 2000443. Djibo

Kâ cherchait donc à se repositionner sur la scène nationale, se considérant comme « prêt à débattre avec n’importe quel leader politique candidat à la présidentielle »444.

Après la parution des résultats du premier tour, l’idée d’un débat a été relancée et soutenue par le Haut conseil de l’audiovisuel (HCA) qui a proposé un débat radiotélévisé entre les deux candidats en lice pour le second tour, soit Abdoulaye Wade et Abdou Diouf445. Un journaliste (non-employé chez Sud Quotidien) et producteur d’émissions de

radio a exposé, dans la rubrique « Opinion » de Sud Quotidien, les avantages d’un tel débat à ce moment-ci des élections446. Cette demande fut sans lendemain, les principaux

candidats n’étant pas intéressés à y participer. Étant donné les difficultés à organiser un face à face entre les deux candidats au second tour à la présidence447, la RTS proposa

comme alternative qu’il pourrait y avoir un face à face entre candidats et un panel de journalistes448. Ces différentes initiatives montrent comment la presse privée tout comme

les médias audiovisuels essayaient de nourrir le débat public pour consolider le processus démocratique au Sénégal.

Outre ces contraintes externes, la presse était aussi confrontée à des difficultés internes d’ordre financier. Avec la dévaluation du franc CFA, « les intrants représent(ai)ent alors 50% des coûts d’impression et 47% des coûts totaux de production. Les tarifs de

443 Bien qu'il se rallia à la toute fin, sa dissidence temporaire porta un coup dur à Abdou Diouf, voir Diop et Diouf, loc. cit., 2002, p. 125; Diop, Diouf et Diaw, loc. cit., 2000, p. 20-22; Richard Vengroff et Michael Magala, « Democratic reform, transition and consolidation: Evidence from Senegal's 2000 presidential election », The Journal of Modern African Studies, vol. 39, no. 1, 2001, p 129-162; Galvan, loc. cit., 2003, p. 54. 444 Propos retransmis dans l’article: Bacary Mane, « Présidentielle 2000: Djibo Ka invite les candidats déclarés à un face à face », Sud Quotidien, no. 2026, 4 janvier 2000.

445 Moussa Diarra, « La réunion d’hier du HCA sur le débat Diouf-Wade reportée à aujourd’hui: La délégation de la CA2000 est arrivée en retard », Sud Quotidien, no. 2082, 11 mars 2000.

446 Albert Mandy, « Pourquoi et comment faire un débat télévisé Diouf-Wade: La campagne du deuxième tour », Sud

Quotidien, no. 2082, 11 mars 2000. Madior Fall et Hawa Ba, « Face à face Diouf-Wade: Le choix du modérateur

compromet le débat », Sud Quotidien, no. 2083, 13 mars 2000.

447 Il y avait mésentente entre les deux partis sur le choix d’un modérateur. Madior Fall et Hawa Ba, « Face à face Diouf- Wade: Le choix du modérateur compromet le débat », Sud Quotidien, no. 2083, 13 mars 2000.

448 Moussa Diarra, « La solution de rechange de la RTS : Un face aux journalistes au lieu d’une face à face », Sud

passage à l’imprimerie augment(ai)ent de 70 à 75%, et la facture globale des principaux journaux pour l’impression pass(ait) de 900 millions à 1 milliard 250 millions de francs CFA. Avec l’unique fournisseur local, qui joui(ssa)it d’un monopole de fait, la rame de papier de 500 feuilles qui revenait à 8 000 francs en 1993 est montée à 13 000 francs en 1994. »449 Ne disposant pas d’un grand lectorat, elle ne pouvait amortir ce choc en dépit du

fait qu’avec le nouveau code en 1996, un Fonds d’aide à la presse (FAP) avait été créé et permettait de donner initialement une enveloppe de 100 millions de francs CFA à la presse privée450. Il reste que cette aide devait être répartie entre une vingtaine de titres en 2000 et

que la part pour chacun des titres se réduisait à mesure que le nombre de titres augmentait. Au-delà de ces contraintes financières, la presse privée était confrontée au manque de visibilité sur l’ensemble du territoire national. En effet, la presse ne parvenait pas à sortir des grands centres urbains451: des journaux comme Sud Quotidien ou Wal Fadjri avaient

leurs sièges à Dakar et avaient peu de correspondants réguliers en dehors de la capitale452.

Les moyens mis en œuvre pour assurer les déplacements des journalistes étaient insuffisants en temps normal dû notamment aux coûts associés au transport. De plus, la presse demeurait peu lue en dehors des grands centres urbains.

Malgré ces contraintes, la presse privée opéra un virage en créant des équipes mobiles, à l’occasion de l’élection présidentielle de 2000453. Elle eut alors les ressources

humaines pour prendre cette initiative si on prend en compte les journalistes de la radio qui sont venus grossir les rangs de la presse écrite privée. Les ressources humaines au sein du journal Sud Quotidien ont produit sporadiquement des articles identifiés par « envoyé spécial » où il était question essentiellement du déplacement des hommes politiques, de

449 Mouhamadou Tidiane Kassé et Diana Senghor, « Pluralisme médiatique en Afrique de l’Ouest: 10 années pour tout changer », Les Cahiers du journalisme, no 9, 2001, p. 65; Loum, op. cit., 2003, p. 134.

450 L’attribution de l’aide répondait à des critères précis et jugés par une commission nommée par le ministère de l’Information. Cette distribution fut contestée compte tenu d'une certaine opacité du processus. Wittmann, loc. cit., 2006, p. 185.

451 André Jean Tudesq, L’Afrique parle, l’Afrique écoute, Paris, Karthala, 2002, p. 214; Sylvie Capitant et Marie-Soleil Frère, « Les Afriques médiatiques », Afrique contemporaine, no. 2040, 2011, p. 2.

452 Agboton, loc. cit., 2004, p. 43.

453 Institut Panos Afrique de l'Ouest, Médias et Élection au Sénégal. La presse et les nouvelles technologies de

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leurs déclarations et des réactions qu’elles suscitaient454. Cette couverture régionale s’est

vue surtout dans des éditions complètes qui avaient pour vocation de faire un tour d’horizon du Sénégal455. Le jour même du scrutin, Sud Quotidien présenta les impressions

des électeurs à leur sortie des scrutins. Les journalistes commentèrent également l’affluence dans les bureaux de vote. Des incidents furent rapportés, mais dans l’ensemble, le tout se passa calmement456. Par exemple, à Saint-Louis: « Le quartier traditionnel de Guet-Ndar a

vécu une vive tension dans l’après-midi du dimanche 19 mars à quelques heures de la clôture du scrutin avec les jeunes pêcheurs qui ont investi la principale artère, l’avenue Lamothe au cri du Sopi. Très excités ils ont pris d’assaut les deux centres de vote pour déclarer que personne ne volera la victoire de Me Wade. Surtout les jeunes revenus en masse de la campagne de pêche ont voté massivement pour renverser la tendance du premier tour où le parti socialiste avait gagné […] »457.

Il fut procédé au même type de couverture lors de l’annonce des résultats: Sud

Quotidien rendit compte des différentes réactions et manifestations spontanées suite à leurs

sorties458. À Kolda: « C’est au cri de "Wade Président", de "Sopi" que des centaines de

jeunes ont parcouru les rues de la capitale du Fouladou. »459 À Mbour: « Dès l’annonce des

premières tendances à travers les ondes des radios privées, les centres de vote sont pris d’assaut par les jeunes électeurs. »460 Les journalistes accordèrent donc une attention

particulière aux foules, à leurs slogans, à l’émotion, ne s’attardant pas exclusivement à une couverture sur les actions des partis politiques et de leurs candidats. Bien que Sud

Quotidien ait offert une large couverture des événements, les différents articles ne

permettaient pas de sortir de l’événementiel ni de s’extraire des logiques religieuses propres au pays qui ont pu influencer les manières de traiter de l’actualité.

454 Malick Diagne, « Djibo Kâ dénonce "la confiscation de l’armée par Abdou Diouf" », Sud Quotidien, 7 février 2000. 455 Sud Quotidien, no. 2071, 28 février 2000, no. 2088, 20 mars 2000 et no. 2089, 21 mars 2000. Voir Annexe XII : Sud

Quotidien, 21 mars 2000. p. 240. p. 236.

456 Sud Quotidien, no. 2071, 28 février 2000.

457 Cheikh N’Dao, « Saint-Louis : Les jeunes pêcheurs de Guet-Ndar renversent la tendance », Sud Quotidien, no. 2089, 21 mars 2000.

458 Sud Quotidien, no. 2088, 20 mars 2000 et no. 2089,21 mars 2000. Voir en Annexe XII : Sud Quotidien, 21 mars 2000. p. 236.

459 Bacary Domingo Mane, « Victoire de Me Wade : Des jeunes descendent dans les rues », Sud Quotidien, no. 2089, 21 mars 2000.

460 Samba Niébé Ba, « Mbour-Après la victoire de Wade : Marche des jeunes, klaxons et défilés », Sud Quotidien, no. 2089, 21 mars 2000.

Rappelons que les confréries soufies exercent un grand pouvoir aussi bien spirituel, politique qu’économique au Sénégal et, du même coup, influencent grandement les populations461 et bénéficient d’une grande couverture médiatique. En dépit du fait que la

laïcité soit inscrite dans la constitution sénégalaise, les religieux ont un impact très grand sur la politique sénégalaise et ce, depuis la colonisation462, plusieurs témoignages de

journalistes collectés lors de notre terrain d’enquêtes soulignaient qu'il était et est encore délicat d’aborder des sujets se rapportant aux confréries. Voici quelques témoignages dans ce sens: « Les marabouts sont respectés et craints par beaucoup de gens au Sénégal. Des fois on ne peut pas aller au bout des choses dans un article »463; « On ne traite pas les

questions religieuses de la même manière par contre, [nous sommes] peut-être à la limite plus indulgents. »464; « Il y a un risque de se retrouver victime d’un lynchage »465.

Dans certains cas, les marabouts interviennent parfois dans les médias et peuvent menacer à mots couverts ou plus ouvertement les journalistes comme l'a relaté Malick Diagne dans son article: « Je [Cheikh Modou Kara] veux qu’on laisse la famille de Serigne Touba. Qu’on arrête tout de suite de parler d’elle dans les journaux pour rappeler les faits du passé, dans le seul but de vendre des journaux. Ils parlent des choses qui divisent la famille. Ils ne parlent que rarement des choses qui les unissent. […] Je veux que cela cesse. Je le dis pour la première et la dernière fois. Je m’adresse à tous les journalistes. Je ne permets plus à personne de parler de la famille de Serigne Touba »466. Cette prise de

position eut lieu après que des journalistes de Wal Fadjri aient fait un dossier au sujet de la famille de Serigne Touba qu’il nous a été impossible de consulter.

En dépit de ces menaces, certains journalistes ont abordé ces questions. Le journaliste Mohamed Lamine Thioune a ainsi montré les divergences entre les marabouts de la