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Nous avons précédemment mis en évidence les difficultés rencontrées dans la communication entre juges et psychiatres. Elles tiennent notamment à la différence entre les conceptions médicale et judiciaire de la capacité à consentir aux soins, à la définition mouvante du champ de la psychiatrie, à la complexité de la rédaction des certificats médicaux, et aux difficultés à comprendre certaines ordonnances de mainlevée transmises par le JLD.

La qualité de ce dialogue est pourtant essentielle, devant la complexité de la tâche du JLD : face à une pluralité de discours croisés, celui-ci doit parvenir à se positionner vis-à-vis de la nécessité de poursuivre la mesure de soins, en prenant en compte l’ensemble des droits fondamentaux du patient.

De plus, la décision judiciaire va avoir un impact sur la prise en charge thérapeutique, puisqu’elle est susceptible de renforcer ou de fragiliser l’alliance thérapeutique du patient. C’est donc le devenir à moyen et long terme de la prise en charge du patient qui sera profondément impacté par la décision du JLD.

Elle peut en effet entamer le lien de confiance lorsqu’elle va à l’encontre de celle du médecin, qui reste par ailleurs le médecin référent du patient concerné.

Cependant, la plupart du temps, elle contribue plutôt à renforcer cette alliance en apportant à la décision du médecin une forme de légitimité supplémentaire aux yeux du patient et de sa famille. Le passage par l’audience et l’intervention du juge dans la prise de décision peut en effet augmenter le sentiment de justice vécu par le patient, au sens ici de la « justice procédurale ». Celle-ci concerne les processus et les mécanismes par lesquels on aboutit au résultat (ici la décision de maintenir ou de lever la mesure de soins sans consentement) et non le résultat en lui-même. Voir que les choses se font dans les formes et que sa parole a pu être écoutée assure au patient qu’il a bénéficié d’un traitement équitable, ce qui contribue à faciliter son acceptation de la décision et peut améliorer ainsi la relation thérapeutique.

Cette perception par le patient d’une « justice procédurale » concerne plusieurs aspects qu’il convient de renforcer [45] :

- Le patient doit avoir l’impression d’être traité de façon équitable et juste, ce qui passe par une information claire des procédures et des motifs des décisions finales.

- Le patient doit prendre part activement à la procédure, être entendu et considéré avec respect.

- Il doit avoir le sentiment que les professionnels impliqués agissent par intérêt sincère pour lui.

En ce sens, on peut considérer que le juge prend place ici dans le processus thérapeutique du patient, notamment en ce qui concerne son adhésion aux soins. Conscient de cet aspect, il nous semble cependant nécessaire que le juge puisse se dégager de la question du soin, et conserver la neutralité nécessaire à sa fonction.

Si la relation médecin-patient est une relation entre deux personnes, le fait que la loi (ici en la personne du juge) intervienne et encadre cette relation offre au patient, selon Paul Ricœur [43], une garantie éthique que ses droits individuels sont bien respectés. En effet, Ricœur affirme que la dimension éthique d’une relation de soin se joue à trois niveaux. Le premier niveau est celui de la relation interpersonnelle entre le patient et son médecin : on attend ici du médecin qu’il juge, dans chaque situation particulière à laquelle il est confronté, de la meilleure solution possible à proposer au patient. Le deuxième niveau (appelé « déontologique ») est celui des normes (règles, codes déontologiques, lois…) qui dépassent la relation médecin-patient et qui s’imposent à chaque acteur pour venir encadrer la relation de soin. Le troisième niveau est celui d’une réflexion éthique où l’on tente de prendre du recul par rapport aux deux autres, en questionnant les pratiques et les normes qui les encadrent (par exemple lors de comités d’éthique).

Au premier niveau, le soin repose sur une relation de confiance qui doit pouvoir s’instaurer entre le médecin et le patient. Cette relation doit prendre la forme d’un « pacte de soin » où le patient et le médecin luttent ensemble contre « l’ennemi commun » qu’est la maladie. On retrouve ici l’idée selon laquelle le processus de soin repose toujours sur une bonne alliance thérapeutique. Cependant, Ricœur montre la fragilité de ce « pacte de soin » et

la difficulté qu’il y a à mettre en place une relation de confiance réciproque entre patients et médecins. Cela vient notamment du fait, selon lui, que la relation de soin est une relation qui est toujours d’abord asymétrique, ce qui peut générer de la méfiance du côté du patient via des soupçons d’abus de pouvoir de la part des membres du corps médical. Cela est particulièrement vrai dans le cas des hospitalisations sous contrainte en psychiatrie. En effet, dans le cas de l’administration des soins sans consentement, nous sommes forcés de reconnaître la dimension radicalement asymétrique (au moins momentanément) entre le patient et le médecin, puisque l’on se trouve dans une situation où l’on déclare que la parole du patient ne peut être prise intégralement en compte du fait de l’altération temporaire de son discernement. Or pour Ricœur, c’est justement pour répondre à la fragilité du pacte de soin, voire à son absence dans le cas qui nous intéresse, qu’il est nécessaire d’effectuer un passage du premier niveau au deuxième niveau (celui des règles déontologiques). C’est selon lui par l’intervention de la justice que la relation thérapeutique est rééquilibrée, en assurant que les deux personnes sont bien respectées dans leurs droits et engagées dans leurs devoirs.

En ce sens, il semble bien que le juge soit partie prenante de la relation thérapeutique,

même quand sa décision vient à l’encontre de celle du médecin. En effet, c’est la possibilité

même d’un désaccord qui offre finalement la garantie que le juge est indépendant dans la prise de décision, et peut permettre au patient de se fier plus facilement à sa décision et, quand il y a accord, à celle de son médecin.

Pour conclure, il ressort de notre travail que toutes les conditions sont réunies pour que la communication entre psychiatres et juges soit ardue. Et pourtant, c’est la qualité du dialogue instauré qui est seule à même d’assurer au sujet souffrant que c’est bien son état de santé et les soins à lui prodiguer qui feront l’objet de l’audience, et que les différents professionnels impliqués agissent dans son intérêt.