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Il ressort de notre analyse que la majorité des décisions de mainlevée (73,4%) sont comprises par les deux examinateurs. A nouveau, cela ne signifie pas que sur l’ensemble de ces décisions l’indication de soins sans consentement n’était pas justifiée, mais que la position du juge était comprise au regard des éléments dont il disposait.

Cela indique qu’il est nécessaire que les psychiatres effectuent une analyse critique de leur évaluation des situations cliniques concernées, ainsi que de la qualité de l’information médicale transmise au JLD via les certificats.

Il existe cependant une proportion non négligeable de mainlevées incomprises (11 cas), qui se reflète soit par l’absence de renseignement sur la motivation de la levée, soit (pour la majorité d’entre elles) du fait de prises de position « clinique » effectuée par le JLD à l’encontre des avis psychiatriques, questionnant ainsi le rôle du JLD. Cependant, le fait que

cette position « clinique » du JLD soit essentiellement présente sur l’année 2013 indique ici un effet de mise en place de la loi.

Une jurisprudence de cour de cassation très récente [6] rappelle que le juge ne doit pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis, et qu’il doit se prononcer sur le maintien de l’hospitalisation complète au regard des certificats médicaux. Il ne peut en aucun cas substituer son avis à l’évaluation par des médecins des troubles psychiques du patient et de son consentement aux soins, dès lors que l’avis médical est suffisamment circonstancié.

Dans le cas où les certificats médicaux ne sont pas circonstanciés et ne justifient pas des critères nécessaires à une hospitalisation sans consentement, le JLD n’a pas besoin d’apporter un avis clinique supplémentaire pour justifier d’une levée. En cas de doute, le recours à une expertise reste possible et prend ici sa justification.

On peut également se demander dans quelles mesures, alors même que les certificats ne sont pas suffisamment circonstanciés, le JLD peut décider de maintenir l’hospitalisation complète devant la présentation clinique du patient. Il est effectivement difficile de demander au juge de ne pas avoir un avis subjectif sur la situation, alors qu’il lui est confié la tâche difficile de vérifier si les éléments apportés justifient d’une privation de liberté. A nouveau, cela reflète l’importance de ce qui peut se jouer à l’audience et de l’impression générale laissée par le patient au juge.

Il apparait évident que la décision du juge comporte elle-même une part de subjectivité individuelle, et dépend de son rapport personnel à la question des soins sans consentement en psychiatrie, de son expérience et de ses valeurs. L’interprétation de la loi est donc juge- dépendant, comme le prouve la grande variabilité des pratiques en France.

On peut citer comme exemple le cas d’une mainlevée survenue début 2012 (peu après la mise en application de la loi), où la sortie d’hospitalisation a été suivie du décès du patient à son domicile une semaine après celle-ci. Après cet évènement, aucune levée n’a été prononcée durant trois mois, et seulement deux l’ont été au cours de l’année 2012. On peut facilement imaginer une certaine réticence du juge après ces faits à lever une autre mesure de contrainte.

On remarque que le JLD a peu tendance à recourir à l’avis d’un expert. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il est parfois difficile d’obtenir une expertise rapidement, et qu’une demande d’expertise entraine la prolongation de l’hospitalisation sans consentement, jusqu’à la réévaluation de la situation lors d’une seconde audience (dans les 14 jours). Cette demande se doit donc d’être justifiée. Rappelons que l’expertise a pour but d’éclaircir la situation au JLD, qui n’est pas dans l’obligation de suivre son avis.

Sur les 8 demandes d’expertise seulement deux ont conduit au maintien de l’hospitalisation sans consentement, ce qui montre que dans ces situations, les doutes émis par le JLD et le recours à l’expertise semblent justifiés.

Il a été rapporté que de manière générale, il existait un accord modéré entre les deux examinateurs sur l’interprétation de l’ordonnance du JLD (Kappa de Cohen = 0,59) : dans 10 situations (12,7% des mainlevées), les avis divergeaient sur la compréhension ou non de la décision du juge. De plus, il était parfois difficile d’avoir une position tranchée sur le sujet. Cela témoigne de la complexité pour l’examinateur à porter un jugement, d’une certaine dimension subjective de celui-ci, mais également du manque de clarté de l’ordonnance délivrée par le JLD.

Cette difficulté de compréhension des ordonnances est problématique dans le sens où ce document est remis au patient et que c’est à partir de celui-ci que la suite de la prise en charge va se construire. On peut légitimement se demander quelle information est réellement transmise au patient, et comment celui-ci peut interpréter l’ordonnance de mainlevée.

Ainsi, même si la levée fait suite à une décision qui se base d’une manière générale sur l’insuffisance de la justification de la mesure par le médecin, il est important que le juge précise l’ensemble des motifs qui ont appuyé sa décision, afin que celle-ci soit comprise par les médecins et le patient. De plus, sa qualité conditionne la mise en place d’une évaluation des pratiques pertinente.