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4.3.1 Généralités sur la mère africaine.

« Dans l’Afrique traditionnelle, la stérilité était une tare sociale qui affectait profondément la personnalité de l’individu. » (Ezémbé, 2009, p.101) La maternité était une condition stricte de l’accession au statut de femme. Cette question est également reliée au statut de la femme africaine, qu’on a longtemps décrite comme opprimée. Aujourd’hui cette position est à relativiser selon l’ethnie d’appartenance et selon le milieu de vie. En effet, de manière générale les femmes accèdent de plus en plus à l’emploi et disposent de plus d’autonomie et de droits fondamentaux. L’étude sur les « tendances mondiales de l’emploi des femmes », publiée en 2009 par le Bureau International du Travail, évalue le taux d’emploi des femmes en Afrique subsaharienne à 62.9% en 2008. Cependant, la maternité, ou la non-maternité, reste encore aujourd’hui un élément prégnant du statut de toute femme africaine.

4.3.2 La relation mère-enfant. 4.3.2.1 Le portage.

En Afrique, les enfants sont traditionnellement portés au dos. La mère se baisse pour poser l’enfant sur son dos et noue ensuite un pagne sous sa poitrine pour maintenir l’enfant sur son dos en position verticale assise avec les jambes écartées. Bril a été la première à réaliser une étude systématique à ce sujet, sur des enfants maliens bambaras en 1997, et les chiffres obtenus sont bien inférieurs à ceux qu’avançaient empiriquement d’autres auteurs : les enfants seraient portés au dos environ 40% du temps à 2 mois, puis seulement 20% vers un an. Ce portage sur le dos étant systématique pour calmer l’enfant ou vaquer à des tâches domestiques ou agricoles.

80% du temps, lorsqu’il est au dos, un enfant bambara dort, il a alors les bras maintenus à l’intérieur du pagne. Le reste du temps, il est éveillé et selon son stade de développement postural il est installé différemment. Jusqu’à ce qu’il soit capable de tenir assis seul, vers 4-5 mois (âge de l’acquisition de la station assise pour ces enfants : voir sur ce sujet le paragraphe sur la précocité motrice des enfants africains p 50), il est complètement emmailloté jusqu’à la

nuque. Par la suite, on lui libère le haut du tronc et les bras, autorisant ainsi une rotation du buste et de la tête qui lui permet d’appréhender son environnement.

4.3.2.2 La toilette et les massages.

Ce rituel est long et très important en Afrique. C’est le moment privilégié pour la mère pour regarder si son enfant va bien, s’il se développe normalement. Les massages et la gymnastique concourent au bon développement de l’enfant qu’on cherche à rendre fort, beau et courageux.

On commence par effectuer à l’enfant un lavement anal, d’après les auteurs avec la bouche ou une poire à lavement selon les pays (Bonnet, 2007 p.120). Ce lavement anal, serait parfois associé à un mouchage soigneux, à un nettoyage des oreilles et à un vidage des culs-de-sac conjonctivaux ; les auteurs s’accordent dans ce domaine pour signaler que les déchets corporels du nouveau-né ne sont pas considérés comme sales ou vecteurs de maladies comme ceux des adultes.

Dans certains pays, au Burkina Faso notamment, on rapporte une ingurgitation d’eau forcée, parfois de tisanes que la mère administre en plaçant sa main en coupe sous la bouche de l’enfant, en versant le liquide dans cette main, et en lui bouchant le nez de l’autre. Cette ingurgitation aurait pour but de « solidifier » l’enfant, de le remplir pour le consolider de l’intérieur après qu’il ait été débarrassé de ses impuretés. (Bonnet 2005, p.121).

Puis le bébé est soigneusement lavé, les parties génitales avec la main gauche, et le visage avec la main droite.

Pour terminer, le nouveau-né est soumis, jusqu’à ses 6 mois environ, à un rituel de massages, souvent réalisés par la grand-mère, qui sont associés à l’acquisition d’un bon développement psychomoteur, mais également à la beauté, à la solidité de l’enfant.

Parmi ces rites, on insiste particulièrement sur une dynamique de « fermeture des orifices naturels « (fontanelle et ombilic). Puis viennent ensuite toutes les manipulations visant à rendre l’enfant « fort et solide ». On manipule ses articulations et ses tendons pour les assouplir : le cou pour élargir le champ de vision, les bras vers l’arrière pour faciliter une toilette autonome plus tard…. On étire les membres et la colonne vertébrale… On modèle également certaines régions du corps pour les adapter à des critères esthétiques : le nez qu’on affine, le cou qu’on allonge, les reins qu’on creuse, les fesses qu’on rebondit, et même les fossettes qu’on creuse à l’aide du pouce lors de la tétée. Texeira parle de « modelage » (2007 p. 130). L’objectif étant d’amener l’enfant à devenir « ferme » car on le considère à la

naissance comme « malléable » de corps et d’esprit. Les parties du corps massées sont différentes selon le sexe de l’enfant, et le type de massage dépend de la fonction de l’organe en question. Pour les filles par exemple, on insistera particulièrement sur le ventre et le bassin pour favoriser le bon déroulement de futures grossesses, ainsi que sur les traits du visage en vue de les affiner.

Puis pour finir, l’accent est mis sur le modelage du caractère : on lance l’enfant en l’air quelques secondes avant de le rattraper pour le rendre courageux.

Cette pratique est courante en Afrique et valorisée par la communauté : on considère que cela endurcit l’enfant.

La conception protectionniste des pratiques françaises où ce genre de lâchers est loin d’être préconisé est très éloignée ce ces observations. On invoque le risque d’induire chez l’enfant une sensation très insécurisante de vide, voire même des lésions neurologiques (bébé secoué). De même, le massage des enfants, même s’il commence à être adopté par certaines mères en quête de solutions de maternage nouvelles et alternatives, ne fait pas du tout partie des rituels pratiqués quotidiennement en France.

4.3.2.3 L’allaitement et le nourrissage.

Comme le rappelle Ezémbé (2009 p. 105), si elle n’a pas de problèmes de santé, la mère allaite l’enfant dès sa naissance. L’enfant est généralement nourri à la demande, de jour comme de nuit, dans presque toutes les situations de la vie quotidienne. Ainsi si la mère travaille au marché, elle emmène son enfant avec elle et le nourrit très fréquemment sur son étal. De même, il n’est absolument pas choquant qu’une femme allaite dans la rue, dans un magasin ou dans une église. Le sevrage intervient généralement entre 18 et 24 mois quand l’enfant marche déjà.

4.3.2.4 A propos de l’angoisse de séparation.

« L’angoisse de séparation ou angoisse du 8e mois est la première manifestation d’angoisse qui se produit chez le bébé, en l’absence de sa mère et en présence d’un étranger qui est identifié par le bébé comme non familier différent de la mère. » (Brin et al, 2004, p.17).

La littérature est étrangement pauvre concernant ce point, sur les relations des bébés africains à leur mère. Toutefois, Ortigues et Ortigues évoquent la possibilité que la sécurité éprouvée par le bébé du fait de sa très grande proximité avec sa mère tout au long de la journée, et le

fait qu’il soit nourri toutes les heures avant même d’avoir faim ; génèrent un attachement secure au point que cette angoisse soit minimisée chez le bébé africain.

Les auteurs relient cette observation à la quasi inexistence du stade anal chez les enfants africains qu’ils ont suivis en consultation. Cette particularité serait due à l’absence d’objets médiateurs dans la relation mère-enfant. En effet, un bébé africain et sa mère sont en contact direct l’un avec l’autre de façon quasi-permanente et peu d’objets (qu’ils soient jouets ou instruments de toilette par exemple) s’immiscent dans cette relation. Sur le plan de l’angoisse de séparation, cela aurait pour effet de sécuriser les enfants quant au retour de leur mère. Puisque les objets n’ont pas valeur de séparateurs du couple mère-enfant, l’enfant n’a pas de raison de s’inquiéter : sa mère lui reviendra.

4.3.2.5 A propos de la précocité motrice.

Nous nous appuierons pour cette partie, sur l’extraordinaire étude menée par Bril sur des enfants maliens, coréens et français en 1997. Première étude systématique du genre, elle analyse et quantifie plusieurs facteurs jusqu’alors supposés être les causes de la précocité motrice des enfants africains. Nous ne détaillerons pas ici toutes ses observations, le lecteur pourra se reporter à l’article pour plus de précisions. Relevons tout de même certains points qui nous paraissent particulièrement significatifs.

Bril rappelle que ce n’est pas parce que la plupart des échelles de développement psychomoteur ont été crées par des scientifiques occidentaux à partir d’observations d’enfants occidentaux, que les standards de développement de l’enfant européen ou américain doivent s’appliquer à tous. Sur ce plan, « ce qui apparaît trop souvent comme une norme incontestable […] ne semble en fait qu’un cas particulier parmi d’autres » (1997 p.313).

Car en effet, on observe bien une précocité psychomotrice des enfants africains, notamment quand ils sont élevés en milieu rural traditionnel. Ainsi, Bril rapporte les études faites en 1973 par Geber : les enfants ougandais tiennent leur tête à 1 mois, tiennent assis seuls à 4 mois, marchent à 10 mois et courent à 14. Cette avance est plus marquée pour les enfants vivant en milieu rural et à tendance à régresser vers 18 mois au moment du sevrage pour rattraper la courbe de développement des enfants européens.

Les facteurs qui expliquent cette avance selon Bril sont, bien plus les pratiques de gymnastique, de massages et d’élongations que nous avons décrites plus haut ; ainsi qu’un emploi du temps postural particulier que nous allons détailler ; plutôt que le portage au dos comme le croient généralement les occidentaux.

« L’emploi du temps postural » décrit par Bril consiste à quantifier, de manière longitudinale au fil de la croissance de l’enfant, le temps qu’il passe dans diverses positions. Ainsi, les enfants maliens passent beaucoup moins de temps en position horizontale et ce dès leurs toutes premières semaines (20% du temps à 2 mois contre 65% du temps pour les enfants français au même âge), et ne sont quasiment plus jamais allongés dès l’âge de 4 mois.

Le temps passé en position assise est également très révélateur. A 4 mois l’enfant malien est assis pendant 60% du temps, contre à peine 5% pour un enfant français. Cette différence importante tient au portage au dos dans lequel l’enfant est maintenu assis durant la journée, tandis qu’en France l’enfant n’expérimentera la position assise, qu’à partir du moment où il sera capable de la rechercher tout seul, vers l’âge de 10 mois environ.

Enfin, un des facteurs qui semble déterminant pour expliquer cette « avance » dans le développement, est la fréquence à laquelle les enfants sont amenés à changer de partenaire interactif au cours de la journée. Les enfants maliens changeant jusqu’à 40 fois de partenaire au cours de la journée, ce qui est trois fois plus que pour un enfant français du même âge.