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CHAPITRE II LE PARADIS PERDU

2.3 La perfection des origines

Dans ce chapitre, on voit bien comment les deux œuvres s'efforcent de fusionner plusieurs mythes, en partie afin de montrer que les différentes mythologies ne forment qu'une seule et même histoire de l'humanité. Le concept de paradis perdu, d'endroit parfait où l'homme a vécu à ses débuts, avec tout le sentiment nostalgique qui l'entoure, est ici exprimé autant grâce au mythe de l'Atlantide qu'au jardin d'Éden, qui sont souvent étroitement entrelacés dans les récits. Simonay va encore plus loin en ajoutant une référence à l'Avallon des légendes arthuriennes, et aussi une allusion au mythe des âges de l'humanité d'Hésiode qui commence ainsi :

D'après les légendes les plus anciennes, [les hommes] vivaient autrefois en compagnie des dieux, qui n'étaient pas invisibles comme aujourd'hui. Ils se mêlaient aux humains et leur apportaient savoir et sagesse. On a appelé cette période l'âge du Soleil. C'était une ère de paix, où l'on ignorait la maladie, la famine et la souffrance77.

Le nom de la période et sa description font référence à l'âge d'or décrit par Hésiode dans Les

Travaux et les jours et par Ovide dans Les Métamorphoses. L'âge d'or ressemble à l'Éden

sous plusieurs points et l'on comprend que Simonay fait ici le rapprochement avec cette autre version du paradis terrestre puisque ces « légendes anciennes » décrivent l'époque du règne des Titans en Atlantide78. Nous ne nous attarderons pas plus longtemps à ce mythe, car il faut

choisir les plus importants des romans étudiés. Mais ce passage illustre encore une fois le

77 Id., Le Prince déchu, p. 105.

78 Simonay traite ensuite d'un âge de la Nuit, qui représente la chute, et d'un âge des Glaces, au cours duquel se

souci de Simonay de rapprocher plusieurs mythologies dans cette notion de paradis perdu qui préoccupe tant les auteurs de notre corpus. Ce mythème occupe une place primordiale dans le récit des origines de l'homme. Les titres à l'étude nous conduisent même à constater qu'il s'agit du mythème le plus essentiel de notre sujet. À l'origine, l'homme vivait dans un monde de rêve, où il était fondamentalement heureux et bien. Cette idée n'est pas présente au sein de toutes les mythologies, mais elle prédomine dans le pays d'origine de Bernard Werber et Bernard Simonay, qui est majoritairement chrétien. Tous les mythes étudiés dans ce chapitre ont en commun une conception eschatologique du temps. L'Atlantide et l'Éden font miroiter la possibilité que cette société idéale ait déjà existé dans un passé lointain et les auteurs personnalisent le récit mythique pour qu'il offre la manière de pouvoir recréer ce monde de rêve. Notre corpus peut sembler aller à l'encontre de ce désir d'évasion, puisqu'il se préoccupe de la science, s'ancrant ainsi mieux dans la réalité. Cependant, certaines justifications scientifiques offertes par Werber et Simonay visent à faire taire les objections contemporaines face à la nouvelle version de l'histoire de l'humanité présentée, ce qui contribue à l'émerveillement en détachant le récit du réel et en lui conférant un certain mystère. Donc, pour créer une fiction qui se fonde sur la réalité, mais qui se veut plus merveilleuse que celle-ci, pour échapper à la science, les écrivains défendent à l'aide de la science le monde qu'ils ont inventé. Ajoutons que, bien qu'elle soit plus terre à terre que les autres genres de l'imaginaire, la science-fiction offre aussi une manière de s'évader en présentant un univers souvent futuriste dans lequel les prouesses de la science ouvrent toutes

les possibilités. Le lecteur, découvrant un paradis en cette Atlantide située dans le passé et actualisée, se voit aussi confronté à une pseudohistoire affirmant la disparition de cet endroit idéal. C'est pourquoi le récit des origines relie les notions de paradis et de perte de manière indissociable. Au sein de notre sujet, ce mythème n'est pas compris comme le lieu de repos suivant la mort ; c'est un endroit auquel les humains avaient accès de leur vivant avant la chute. Le paradis perdu fonde l'impression nostalgique qui se dégage des récits, surtout au sein des Enfants de l'Atlantide, qui est beaucoup plus tourné vers le passé que Troisième

humanité. Le récit originel étant modifié par notre corpus pour s'adapter au genre science-

fictionnel, le paradis y prend une forme nouvelle. Il porte le nom d'Atlantide, un royaume qui n'est aucunement lié aux commencements dans la mythologie grecque, mais qui fascine souvent les auteurs de science-fiction79. Cette île, à laquelle Platon attribue une valeur

historique, aurait été engloutie par les eaux. Une telle explication crée une aura de mystère autour du mythe qui suscite la curiosité pseudoscientifique et contribue au besoin d'évasion en insinuant que si l'Atlantide avait existé, elle serait encore aujourd'hui cachée sous les eaux, attendant qu'on la redécouvre pour s'émerveiller de sa grandeur passée. Un passage du Secret

interdit s'accorde bien avec cette idée de mystère : « Ce qui reste d'Avallon repose désormais

au fond de l'océan, là où plus personne ne pourra jamais l'atteindre80. » Beaucoup de lecteurs

79 Le genre étant souvent tourné vers le futur, plusieurs œuvres y décrivent une Atlantide aux technologies très

avancées qui aurait survécu au cataclysme et aurait continué de se développer en cité sous-marine ou spatiale. Pour approfondir cette question, voir « Mythe et roman : L'Atlantide de Platon dans la littérature de science- fiction » de Chantal Foucrier, que nous avons déjà mentionné dans notre bilan de la production savante.

de science-fiction et de néo-fantastique sont ainsi fascinés par les fictions racontant l'existence d'un monde caché et extraordinaire. L'Atlantide a tout de même des traits communs avec le jardin de la religion chrétienne, et la présentation qu'en font Simonay et Werber le relie étroitement à la notion de paradis perdu.

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