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Chapitre 2 : Le rôle des transporteurs dans la pharmacologie des médicaments

3. La superfamille des transporteurs ABC

3.1. La P-glycoprotéine

3.1.1. Structure, localisation et fonction

La P-gp est une glycoprotéine phosphorylée transmembranaire de 170 kDa, codée par le gène ABCB1 situé sur le chromosome 7. Elle a été découverte en 1976 par Juliano et Ling sur des cellules CHO (cellules ovariennes de hamster chinois) résistantes à la colchicine (Juliano et Ling, 1976). Elle est constituée de deux domaines intracellulaires permettant la liaison à l’ATP (domaines NBD) et de deux domaines transmembranaires comprenant chacun six hélices a qui s’assemblent pour former un pore pour le passage des composés (Schinkel et Jonker, 2003) (Figure 24). Ces domaines transmembranaires contiennent aussi les résidus responsables de la spécificité de reconnaissance des substrats.

Figure 24. Structure tridimensionnelle de la P-glycoprotéine (d’après Syed et al., 2017).

La P-gp est constituée de deux domaines transmembranaires (MSD) et de deux domaines intracellulaires (NBD).

La P-gp a été localisée dans de nombreux tissus sains, notamment au niveau des barrières physiologiques impliquées dans la pharmacocinétique des médicaments, comme par exemple l’intestin, le foie, les reins et la barrière hémato-encéphalique (Canaparo et al., 2007 ; Thiebaut et al., 1987). Elle est exprimée au pôle apical des cellules (Figure 25) et joue un rôle de protecteur cellulaire en limitant l’accumulation intracellulaire des composés exogènes. La P-gp possède une spécificité de substrat extrêmement large, avec une tendance pour les substances lipophiles et cationiques.

Figure 25. Expression et localisation apicale de la P-gp sur des cellules Caco-2 (d’après Belliard et al., 2004)

P-gp est marquée en vert au niveau apical des cellules. Barre d’échelle = 20 µm.

3.1.2. Implications de P-gp en pharmacologie

La liste des médicaments substrats et/ou inhibiteurs de P-gp ne cesse de croître, incluant notamment des anticancéreux, des antibiotiques/antiviraux, des immunosuppresseurs ou encore des antiarythmiques (Schinkel et Jonker, 2003 ; Chan et al., 2004). Une liste non exhaustive des substrats, inhibiteurs et inducteurs identifiés et reconnus par la Food and Drug Administration (FDA) est illustrée par la Table 2.

Cette grande variété de substrats et d’inhibiteurs est à l’origine de nombreuses interactions médicamenteuses cliniquement pertinentes. Ceci explique le fait que la FDA recommande depuis quelques années l’évaluation systématique de l’implication de la P-gp dans la prise en charge d’une molécule lors de son développement (FDA, 2012).

Table 2. Liste non exhaustive de substrats, inhibiteurs et inducteurs de la P-gp, d’après la FDA (FDA, 2012).

Classes thérapeutiques Substrats Inhibiteurs Inducteurs

Antiarythmiques Digoxine Amiodarone,

dronédarone, propafénone - Antibiotiques - Azithromycine, clarithromycine, érythromycine Rifampicine Anticancéreux Topotécan, vinblastine - - Antidiabétiques Saxagliptine, sitagliptine - - Antidiarrhéique Lopéramide - - Antiépileptiques - - Carbamazépine, phénytoïne Antifongiques Posaconazole Itraconazole,

kétoconazole - Antigoutteux Colchicine - - Antihistaminiques Fexofénadine - - Antihypertenseurs Aliskiren, ambrisentan Captopril, diltiazem, félodipine, vérapamil - Antithrombotiques Dabigatran étéxilate Ticagrelor -

Antirétroviraux Maraviroc Lopinavir, ritonavir,

saquinavir, tipranavir -

Antiviraux - Télaprévir -

Bétabloquants Talinolol carvédilol -

Diurétique Tolvaptan - -

Immunosuppresseurs Évérolimus,

sirolimus Ciclosporine, tacrolimus - Inhibiteurs de tyrosine

kinase

Imatinib, lapatinib,

nilotinib Lapatinib -

Normolipémiant - - Avasimibe,

Autres Quinidine, ranolazine Zosuquidar, quercétine,

Le substrat le plus connu et le plus étudié dans les interactions avec la P-gp est la digoxine car elle a l’avantage de ne pas être métabolisée par les cytochromes P450 (Lacarelle et al., 1991). Plusieurs études chez l’homme ont rapporté une diminution de l’exposition à la digoxine en présence de rifampicine, un inducteur de P-gp (Greiner et al., 1999) (Figure 26), ou au contraire une augmentation de son exposition en présence d’inhibiteurs comme la clarithromycine (Tanaka et al., 2003) ou le ritonavir (Ding et al., 2004 ; Penzak et al., 2004).

Figure 26. Effet d’une coadministration de rifampicine sur la concentration plasmatique de digoxine administrée

par voie orale (a) ou injectable (b) (d’après Greiner et al., 1999)

Greiner et al. ont montré que l’administration concomitante de rifampicine et de digoxine par voie orale conduisait à une diminution de la biodisponibilité de la digoxine (passant de 63% à 44%). L’absence d’effet lors d’une administration par voie injectable suggère que cette diminution est due à une augmentation de l’expression de la P-gp au niveau intestinal. Les répercussions cliniques de l’inhibition ou de l’induction de la P-gp sont d’autant plus importantes que les molécules concernées ont une faible biodisponibilité orale ou un index thérapeutique étroit. Enfin, les inhibiteurs de P-gp étant également pour la plupart des inhibiteurs des cytochromes P450, des interactions liées au métabolisme peuvent aussi être associées à celles liées au transport par la P-gp.

Bien que beaucoup de mutations de P-gp aient été identifiées, seul l’impact de trois polymorphismes génétiques, 1236C>T, 2677G>T/A et 3435C>T a été bien étudié. La

fréquence de distribution de ces variants est hautement dépendante de l’origine des populations (Table 3).

Table 3. Liste et fréquence des variants de P-gp dans trois populations ethniques (d’après Ieiri, 2012)

Le variant 3435C>T a été associé à une diminution de l’expression intestinale de P-gp chez les homozygotes TT, entraînant des concentrations plasmatiques plus élevées de digoxine après une administration orale comparé aux homozygotes CC (Hoffmeyer et al., 2000 ; Kurata et al., 2002). Cependant, ces observations ne concordent pas avec d’autres études utilisant les mêmes substrats et les mêmes populations. En effet, d’autres équipes ont à l’inverse rapporté que l’ASC de la digoxine tendait à être plus faible chez les homozygotes TT que chez les homozygotes CC (Sakaeda et al., 2001 ; Kim et al., 2001). Bien que la ciclosporine, comme la digoxine, soit un bon substrat pour étudier la P-gp, les résultats varient quant aux effets des mutations 3435C>T et 2677G>T/A sur sa pharmacocinétique (Ieiri, 2012). Dans leur méta- analyse, Jiang et al. n’ont pas réussi à définir clairement l’impact du variant 3435C>T sur la pharmacocinétique de la ciclosporine (Jiang et al., 2008). De plus, il a été montré que les trois principaux polymorphismes de P-gp (1236C>T, 2677G>T et 3435C>T) n’affectent pas le transport du vérapamil par P-gp au niveau de la BHE (Takano et al., 2006). Toutes ces études suggèrent que, s’il y a une modification de l’activité de P-gp liée aux polymorphismes, celle-ci semble très faible.

3.2. La Breast Cancer Resistance Protein

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