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Depuis le 1° novembre 2010, il semblait que le bazar des normes qui prévalait dans le domaine puisse être réglé du fait de l’officialisation de la norme ISO 26000, norme « enveloppe » de la RSE, non certifiable donc venant offrir des lignes directrices et non des obligations. N’étant pas certifiable, elle prône l’auto-évaluation et / ou l’évaluation par des parties tierces. Mais l’ISO indique que toute norme non révisée au bout de 5 ans doive être considérée comme obsolète. Il a bien été question de la réviser en 2016, mais le comité ad

hoc a voté contre sa révision à la majorité. L’ISO 26000 est donc une norme obsolète et les

entités qui s’y réfèrent ne peuvent donc la considérer que comme un référentiel de pratiques. L’ISO 26000 vise à qualifier et rendre compte des éléments de politique de RSE mis en œuvre au regard d’un comportement qui se veut éthique et transparent (les deux attendus fondamentaux de la norme). Une importance particulière est accordée au développement durable compte tenu de ses volets « santé » et « bien-être de la société », mais il y est aussi question de la prise en compte des attentes des parties prenantes, du respect les lois en vigueur et de la compatibilité de ces actions de l’entreprise avec les normes internationales.

Elle met avant deux aspects : l’identification des impacts des décisions et activités de l'organisation au regard des logiques de l'ISO 26000 ainsi que l'identification des parties prenantes et l’établissement du dialogue avec elles. Elle conduit à recommander la définition de domaines d’action pertinents et prioritaires à partir de leurs impacts sur la chaîne de valeur (cycle de vie de l’activité, des produits et des services), de prendre en compte les sept questions centrales de la norme et de définir le périmètre de sa responsabilité vis-à-vis de ses parties prenantes.

Les sept questions centrales en sont : la gouvernance de l'organisation, les bonnes pratiques des affaires, l'environnement, les conditions de travail, les Droits de l'homme, la contribution au développement local, ou engagement sociétal, les questions relatives aux consommateurs. C’est sur ces aspects que le système de management se trouve concerné dans la mesure où c’est lui qui fournit les informations ad hoc et qui répond aux enjeux d’un audit par une partie tierce.

Yvon PESQUEUX Source : www.iso.org

I. Cadet étudie la norme ISO 26000 sous l’angle d’une « norme frontière ». Elle souligne qu’à côté de la norme juridique, « règle de conduite à valeur obligatoire221, dont la loi représente l’archétype, il existe d’autres normes de conduite : des normes techniques, à l’origine appliquées aux choses mais qui se sont étendues aux personnes par le biais des normes professionnelles et des normes de systèmes de management. Elle se sont également étendues aux organisations publiques. Elle signale aussi que, selon les systèmes juridiques, les tentatives d’encadrement de la normalisation se traduisent, tantôt par un surcroît de réglementation, tantôt par une régulation très souple.

A défaut de complémentarité ou, plus subtilement parfois, sous le prétexte d’une complémentarité présumée222, un conflit entre sources normatives s’instaure donc, dont les effets pervers ont été dénoncés dans différentes disciplines. Aussi, en droit comme en sociologie, de nombreux travaux s’intéressent à la nature des normes, leur valeur ou leur portée223. Par exemple, le réseau Tétranormalisation (cf. ISEOR224), qui travaille sur les

221 J.-L. Bergel ; « Préface », in C. Thibierge et ali. (Eds.), La densification normative, Découverte d’un processus, Mare & Martin, Paris, 2013

222 A. Van Waeyenberge, « Les normes ISO, CEN et celles issues des consortiums privés : bric à brac ou

système pour l’Union européenne ? » in B. Fryman & A. Van Waeyenberghe (Eds.), Gouverner par les

standards et indicateurs – de Hume au Ranking, Bruylant, Bruxelles, 2014

223 A. Jeammaud, « Introduction à la sémantique de la régulation, Des concepts en jeu », in J. Clam & G. Martin

(Eds.), Les transformations de la régulation juridique, Paris, LGDJ, 1998 - A. Supiot, Homo Juridicus, Essai sur

la fonction anthropologique du Droit, Seuil, Paris, 2005 - K. Benyekhlef, Une possible histoire de la norme : Les normativités émergentes de la mondialisation, Thémis, Montréal, 2008

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Yvon PESQUEUX

leviers stratégiques pour lutter contre le choc de conformité225, rejoint, à maints égards, les recherches épistémologiques des sciences juridiques.

Elle nous rappelle que la plasticité des objets et des formes ainsi que la diversité des acteurs et des destinataires de la normalisation, inquiètent. L’inflation des normes et du nombre d’organismes de normalisation crée des « interférences »226

en raison des « normativités concurrentes »227. Mais plus que leur prolifération, c’est leur intrusion dans toutes les activités humaines, aux confins des normes sociales, juridiques ou éthiques qui interpelle. L’histoire des normativités émergentes montre que cette montée en puissance de nouvelles formes de normes bouscule l’ordre juridique. Il s’agit de « phénomènes d’internormativité »228

. Par « internormativité », elle met en avant l’existence d’un effet système entre les normes, cet « effet système » étant aussi, en même temps, instauration d’une hiérarchie entre les normes. La circulation entre les normes sème la confusion et participe à l’affaissement de la règle de droit, en passant outre les différences de fondement et de fonction des normes. Hier, au nom de la liberté d’entreprendre, aujourd’hui au titre de l’intérêt général, les frontières entre normalisation et règle de droit s’effritent et les niveaux se tassent.

C’est par exemple le cas de la norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale, définie comme « la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et

activités sur la société et l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société, prend en compte les attentes des parties prenantes, respecte les lois en vigueur tout en étant en accord avec les normes internationales de comportement, est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations ». I. Cadet souligne qu’au-

delà de l’isomorphisme de la norme ISO 26000 avec les normes juridiques, il est intéressant de souligner le caractère énigmatique de cette norme qui se positionne « à la frontière de la normalisation »229entre normes techniques, sociales et normes juridiques. L’Organisation

Internationale de Normalisation (ISO), en construisant un pont entre normes de champs et de

niveaux différents, a réussi à se glisser parmi les instances reconnues dans la gouvernance mondiale. Certains auteurs n’hésitent pas à parler de « révolution silencieuse »230

. La norme ISO 26000 a trouvé sa place, comme « norme de gouvernance »231, nouvelle catégorie de normes. Elle a vocation à supplanter les Etats, en imposant aux organisations de pallier les défaillances des Etats, au-delà des exigences légales ou, parfois même, à défaut. Dans l’interstice normatif laissé par les pouvoirs publics, « l’ISO providence »232

tente de succéder

225

H. Savall & V. Zardet, Tétranormalisation, défis et dynamiques, Economica, collection « Recherche en Gestion », Paris, 2005 - L. Cappelletti et ali., Dynamique normative, Arbitrer et négocier la place de la norme

dans l’organisation, EMS Management & Société, collection « Gestion en liberté », Paris, 2015 226

A. Pomade, « L’internormativité et la densification normative : connexion ou séparation ? Pistes de réflexion en droit de l’environnement », in C. Thibierge, op.cit., 2013

227 I. Hachez et al. (Eds.) Les sources du droit revisitées, (Vol.3) Les normativités concurrentes, Anthemis,

Paris, 2012

228

J. Carbonnier, Essais sur les lois, Dalloz, Paris, 1979

229 P. Mazeau, « La responsabilité sociétale : une nouvelle frontière pour la normalisation », Revue Responsabilité & Environnement, Eska, juillet 2012, pp. 70-76

230 C. Saïsset, « ISO 26000, une révolution silencieuse ? » Actu-environnement, 8 octobre 2008, www.actu-

environnement.com/ae/news/ISO_26000_5908.php4 (consulté le 29 janvier 2017)


231

I. Cadet, « L’« ISO 26000 washing », un risque lié au statut de la Norme IS0 26000 », Revue de

l’organisation responsable, vol. 10, n° 1

232 I. Cadet, « La norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale : une nouvelle source d’usages

Yvon PESQUEUX

à l’Etat providence. L’ISO 26000 substitue en effet la RSO (responsabilité sociétale des organisations) à la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise). Indépendamment de cette analyse d’une norme obsolète, les arguments développés restent valables pour les normes ISO pour ce qui concerne la RSE qui succède à la « vieille » RSE d’avant les Accords de Paris de 2015 et la pandémie du covid-19 de 2020.