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La réputation est une notion aujourd’hui convoquée pour fonder un type d’avantage concurrentiel où elle est considérée comme un actif dans lequel il est possible d’investir et qu’il est crucial d’entretenir. Elle est considérée comme la production majeure des politiques de RSE.

Elle peut être considérée comme un mécanisme de contrôle social et de régulation au sein des relations entre groupes et personnes234. Elle reflète le regard des autres235 et la mesure dans laquelle une personne, un groupe ou une organisation sont connus pour être dignes de

234 R. Axelrod, Donnant Donnant : Théorie du comportement coopératif, Odile Jacob, 1992. 235

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confiance236. Son évaluation relève donc d’un jugement de valeur au regard de la distance entre le « dire » et le « faire », l’adéquation entre ces deux aspects étant constitutive de la réputation organisationnelle. P.-M. Chauvin237 considère la réputation comme le résultat provisoire et localisé de processus d’évaluations conduisant à une représentation sociale partagée associée à un nom (marque, individu, produit, organisation, label, lieu, etc.).

Elle est mentionnée dans les avantages concurrentiels d’une mise en œuvre des catégories de ISO 26000, comme étant génératrice comme source de confiance.

Il est important de souligner la pluralité de sens de la notion de « réputation ». Il est associé à celui de confiance dans la mesure où la réputation prend en compte des événements passés. Comme la confiance, la réputation se base sur une relation affective visant à faire du lien et de la réciprocité. La confiance communautaire, évoquée par D. M. Kreps, repose sur l’idée que la réputation peut se transmettre à des tiers et donc qu’elle est utilisable dans de nouvelles relations. J. S. Coleman238 parle de l’existence d’une « chaîne de confiance ». A. Ogien & L. Queré239 proposent quatre formes de type « logiques de proposition » de la confiance : la forme logique du pari (il existe une liberté d’autrui à respecter ou pas la parole donnée), la forme logique du sacrifice (arrêt de tout jugement ou évaluation de la fiabilité de celui auquel on fait confiance), la forme logique du défi (mise en danger délibérée) et la forme du gage (un bien est proposé comme garantie du respect de la parole donnée). La confiance est le fait de s’en remettre à quelqu’un pour qui on a des raisons de croire qu’il sera dans son intérêt de se montrer digne de confiance. Cet « enchâssement des intérêts » relève le plus souvent de la relation directe, même s’il existe aussi à distance (cf. R. Hardin240 et la « confiance réputationnelle »). Pour R. Hardin, la réputation est consolidée par « le fait que celui qui a une bonne réputation s’efforce d’agir pour être à la hauteur ».

La littérature sur la réputation et l’étude de ses phénomènes est très hétérogène. Elle a été d’abord mobilisée dans des études américaines classiques sur la stratification sociale et les statuts sociaux (W. Lloyd Warner241 ; P. F. Lazarfeld242 ; R. K. Merton243) et en sociologie de l’art (H. Becker244

; G. E. Lang & K. Lang245 ; R. E. Kapsis246 ; P. Bourdieu247 ; S. Zafirau248 ;

236

R. S. Burt, « Gossip and Reputation », in M. Lecoutre & P. Lièvre, Management Et Réseaux Sociaux :

Ressource pour l'action ou l’outil de Gestion ?, Hermès science publications, 2008, pp. 27-42.

237 P.-M. Chauvin, Le Marché des Réputations : Une sociologie du monde des vins de Bordeaux, Féret,

Bordeaux, 2010

238

J. S. Coleman, Foundations of Social Theory, Cambridge, Harvard University Press, 1990

239 A. Ogien & L. Queré, Les moments de la confiance : connaissance, affects et engagements, Économica,

Paris, 2006

240

R. Hardin, Trust and Trustworthiness, Sage, 2002.


241 W. Lloyd Warner, « Color and Human Nature: Negro Personality Development in a Northern City »,

Greenwood Pub Group, 1941.

242 P. F. Lazarfeld, Academic Mind. Social Scientists in a Time of Crisis, The Free Press, Glencoe, Ill.1958. 243

R. K. Merton, « The Matthew Effect in Science », Science, vol. 159, 5 janvier 1968, pp. 56-63.

244 H. Becker, Outsiders, Métailié, Paris, 1985, (Ed. originale : 1963).

245 G. E. Lang & K. Lang, « Recognition and Renown: The Survival of Artistic Reputation », American Journal of Sociology, vol. 94, Jul. 1988, pp. 79-109.

246 R. E. Kapsis, « Reputation Building and the Film Art World: The Case of Alfred Hitchcock », The Sociological Quarterly, vol. 30, n° 1, 1989, pp. 15-35.

247 P. Bourdieu, Les règles de l'art : genèse et structure du champ littéraire, Seuil, Paris, 1992.

248 S. Zafirau, « Reputation Work in Selling Film and Television: Life in the Hollywood Talent Industry », Qualitative Sociology, n° 31, 2008, pp. 99-127.

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C. Guichard249). Plus récemment, la réputation a été mise en avant dans le champ de la sociologie économique (D. M. Kreps250 ; D. W. Diamond251 ; W. Raub & J. Weesie252, M. Kandori253 ; C. Mayoukou254 ; S. Guennif255 ; L. Karpik256 ; R. S. Burt257 ; P.-M. Chauvin ; P. François258) et, plus relativement la sociologie de la culture (V. Dubois259 ; P.-M. Menger260), des médias (J. Sabater & C. Sierra261 ; J. S. Beuscart262) et du territoire (M. Marwann263). Elle fait l’objet de nouvelles questions de recherche autour de la célébrité (S. Merry264

, R. Dunbar265, 1996, M. P. Allen & N. L. Parsons266 ; N. Heinich267 ; C. Rojek268 ; G. A. Fine & P. Turner269), de la politique (G. A. Fine270 ; J. C. Pope & J. Woon271), de l’emploi (D. M. Cable & D. B. Turban272), de la communication (S. L. Wartick273 ; N. D’Almeida274 ; T.

249 C. Guichard, « La signature dans le tableau aux XVII° et XVIII° siècles : identité, réputation et marché de

l’art », Sociétés & Représentations, vol. 1, n° 25, 2008, pp. 47-77.

250

D. M. Kreps, Théorie des jeux et modélisation économique, Dunod, 1999

251 D. W. Diamond, « Reputation Acquisition in Debt Markets », Journal of Polical Economy, vol. 97, août

1989, pp. 828-862 – « Monitoring and Reputation: the Choice between Bank Loans and Directly Placed Debt »,

Journal of Political Economy, vol. 99, novembre 1991, pp. 689-721.

252 W. Raub & J. Weesie, « Reputation and Efficiency in Social Interaction: an Example of Networks Effect », American Journal of Sociology, vol. 96, n° 3, 1990, pp. 626-654.

253 M. Kandori, « Social Norms and Community Enforcement », Review of Economic Studies, n° 59, 1992, pp.

63-89.

254

C. Mayoukou, Le système des tontines en Afrique : un système bancaire informel, L’Harmattan, Paris, 1994.

255 S. Guennif, « Cadre d'analyse et mode de coordination des transactions illicites de drogue : réseau et

confiance », colloque « Mondialisation économique et gouvernement des sociétés : l'Amérique latine, un laboratoire ? », IRD, 2000.

256

L. Karpik, L'économie des singularités, Gallimard, Paris, 2007.

257 R. S. Burt, Brokerage and Closure: An Introduction to Social Capital, Oxford University

Press, 2005.

258

P. François, Vie et mort des institutions marchandes, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2011.

259

V. Dubois, La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Éditions Economica, Paris, 1999.

260 P.-M. Menger, « Talent et réputation. Les inégalités de réussite et leurs explications dans les sciences sociales

», in P.-M. Menger, Le travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Gallimard-Seuil, collection « Hautes études », Paris, 2009.

261 J. Sabater & C. Sierra, « Reputation and Social Network Analysis in Multi-Agent Systems », Proceedings of the first international joint conference on Autonomous Agents and Multiagent Systems (AAMAS-02), Bologna,

2002, pp. 475-482.

262

J.-S. Beuscart, « Sociabilité en ligne, notoriété virtuelle et carrière artistique. Les usages de MySpace par les musiciens autoproduits », Réseaux, vol. 6, n° 152, 2008, pp. 139-168.

263 M. Marwann, « Les affrontements entre bandes : virilité, honneur et réputation », Déviance et Société, vol.

33, n° 2, 2009, pp. 173-204.

264

S. Merry, « Rethinking Gossip and Scandal », in D. Black, Toward a General Theory of Social Control, vol. 1, Academic Press, New York, 1984, pp. 271-302.

265 R. Dunbar, Grooming, Gossip and the Evolution of Language, Harvard University Press, 1996. 266

M. P. Allen & N. L. Parsons, « The Institutionalization of Fame: Achievement, Recognition, and Cultural Consecration in Baseball », American Sociological Review, vol. 71, n° 5, 2006, pp. 808–825.

267 N. Heinich, De la visibilité : Excellence et singularité en régime médiatique, Gallimard, Paris, 2012. 268 C. Rojek, Celebrity, Reaktion Books, Londres, 2001.

269

G. A. Fine & P. Turner, Whispers on the Color Line: Rumor and Race in America, Chicago Press, 2004.

270 G. A. Fine, « Reputational Entrepreneurs and the Memory of Incompetence: Melting Supporters, Partisan

Warriors, and Images of President Harding », American Journal of Sociology, vol. 101, n° 5, 1996, pp. 1159- 1193.

271 J. C. Pope et J. Woon, « Measuring Changes in American Party Reputations, 1939- 2004 », Political Research Quarterly, vol. 62, n° 4, 2009, pp. 653-661.

272 D. M. Cable et D. B. Turban, « Establishing the Dimensions, Sources and Value of Job Seekers, Employer

Knowledge during Recruitment », Personnel and Human Resources Management, vol.20, 2001, pp. 115-163.

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Wellhoff275). Il est aujourd’hui question d’e-réputation (J.-S. Beuscart ; J.S. Beuscart & T. Couronné276).

La notion de statut est également proche de celle de réputation, mais la temporalité de la réputation est plus courte que celle du statut.

L’image de marque (en particulier l’image perçue) est proche de la notion de réputation. C’est « une représentation mentale qui décrit les divers qualités et défauts attribués par le

consommateur à la marque » (T. Albertini et al.277, p. 90). J.-J. Lambin278 parle « personne ou groupe de personnes » qui se construisent une représentation mentale de l’image de marque à partir de trois composantes : l’image perçue (manière dont le segment cible – le public visé – voit et perçoit la marque), l’image vraie (celle qui est connue et ressentie par l’organisation) et l’image voulue (manière dont l’organisation souhaite être perçue par le segment cible - décision de positionnement). Une politique d’image de marque vise à limiter les écarts et les dissonances entre ces trois types d’image et, à la différence de la réputation, ne concerne donc pas seulement l’image perçue.

La notoriété est, selon Larousse, « [le] caractère de ce qui est notoire, connu d'un grand

nombre de personnes » ; en marketing, elle est le degré de connaissance de la marque par un

public ou une clientèle donnée (T. Albertini et al.). Elle est quantifiable et s’exprime en pourcentage d’un public ayant entendu ou non parler d’une marque. La notoriété est la résultante des politiques organisationnelles en matière d’image de marque et de sa réception par le public. Pour sa part, la réputation est une réception de type subjectif, même si on peut dire que la notoriété contribue à la réputation.

La réputation n’est pas ce que nous faisons mais ce que les autres racontent de ce que nous faisons. Ces récits relèvent des processus de sociabilité (R. S. Burt279) dans lesquels il y a du partage émotionnel et de la réciprocité. La réputation est donc un des éléments constitutifs du capital social. C’est en cela qu’elle « fait réseau ». B. Lewis280 explique que cette image partagée n’est pas seulement ce que l’on se remémorent du passé dans la mesure où ce passé peut être embelli, et même inventé, pour servir des fins plus actuelles. Pour R. S. Burt, la réputation peut se définir comme la mesure dans laquelle une personne, un groupe ou une organisation sont connus pour être dignes de confiance. La réputation est donc le regard des autres, un mécanisme de contrôle social. Dans une perspective économique, D. M. Kreps considère la confiance interpersonnelle comme le résultat d’un calcul rationnel entre les individus, la réputation ayant un rôle d’amplification de la confiance dans un jeu répété entre acteurs. Pour R. Axelrod281, l’incertitude et le flou donnent de l’importance à la réputation

2002, pp. 371-393.

274 N. D’Almeida, La société du jugement, Armand Colin, Paris, 2007.

275 T. Wellhoff, Les valeurs : Donner du sens, Guider la communication, Construire la réputation, Éditions

d’organisation, Paris, 2009.

276

J.-S. Beuscart & T. Courronné, « La distribution de la notoriété artistique en ligne. Une analyse quantitative de MySpace », Terrains & Travaux, vol. 1, n° 15, 2009, pp. 147-170.

277 T. Albertini, J.-P. Helfer & J. Orsoni, Dictionnaire du marketing, Vuibert, Paris, 2008.

278 J.-J. Lambin, Marketing stratégique et opérationnel - Du marketing à l’orientation de marché, Dunod, Paris,

2008.

279

R. S. Burt, « Gossip and Reputation », in M. Lecoutre & P. Lièvre, Management Et Réseaux Sociaux :

Ressource pour l'action ou l’outil de Gestion ?, Hermès science publications, 2008, pp. 27-42. 280 B. Lewis, History - Remembered, Recovered, Invented, Princeton University Press, 1975. 281

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comme mécanisme garantissant la confiance que l’on met, ou peut mettre, dans une personne, un groupe ou une organisation.

Le risque de réputation participe et influence la construction de la réputation comprise comme diminuant ce risque.

Dans l’idéologie actuelle d’extensivité de l’usage de la notion de « capital », le « capital de réputation » peut être défini comme un ensemble d’actifs immatériels qui participent à la construction d’une réputation et à son maintien (une marque, la fidélité des clients, un réseau, une qualité perçue, etc.).