• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Recension des écrits

2.1. La neurophysiologie de la douleur procédurale

La douleur, qui se définit comme étant une expérience sensorielle et émotionnelle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle (International Association for the Study of Pain, 1979), est un phénomène hautement variable et subjectivement vécu d’une personne à une autre et c’est pour cette raison que seule la personne qui la ressent est en mesure de la définir (Davis et al., 2015; Lundeberg, 2015). Bien que la douleur soit à présent considérée comme étant le cinquième signe vital (Drendel, Kelly, & Ali, 2011), sa dimension subjective en rend difficile l’évaluation et le traitement, ce qui en fait une des pathologies les plus sous-diagnostiquées et sous-traitées (Turk et al., 2008).

La douleur procédurale se définit comme étant une douleur brève et intense pouvant durer de quelques secondes à plusieurs heures et étant à l’origine de procédures diagnostiques, thérapeutiques ou préventives (Smeltzer & Bare, 2011). Au Canada, un enfant hospitalisé subi

en moyenne 6,3 procédures douloureuses par période de 24 heures (Stevens et al., 2011). Parmi les procédures les plus fréquentes, notons entre autres les ponctions veineuses, l’insertion de cathéters IV, l’insertion de cathéters urinaire, les ponctions lombaires, l’insertion de tubes nasogastriques et les changements de pansements (Curtis, Wingert, & Ali, 2012; Stevens et al., 2011). D’ailleurs, les procédures impliquant les aiguilles, telles que les ponctions veineuses et l’insertion de cathéters IV, sont considérées comme étant la plus importante source de douleur procédurale chez les enfants (Friedrichsdorf et al., 2018; Friedrichsdorf et al., 2015; Jeffs et al., 2011; Leahy et al., 2008; Thurgate & Heppell, 2005; Walther-Larsen et al., 2017; Wilson et al., 2010).

Afin de bien cerner le phénomène de la douleur, il est important de se pencher sur ses composantes, son fonctionnement et ses différents mécanismes.

2.1.1. Les fibres nociceptives et non-nociceptives

La douleur procédurale, et plus spécifiquement les procédures impliquant des aiguilles, est à l’origine d’une stimulation nociceptive de nature mécanique. Les fibres Ad et C, communément appelés nocicepteurs, sont les récepteurs sensoriels à l’origine de la transmission de l’influx nerveux (douloureux) provoquant la sensation de douleur (Beaulieu, 2013; Walker & Baccei, 2014). Les fibres Ab, quant à elles, sont des fibres non-nociceptives responsables de la transmission des messages non-nociceptifs, mais elles jouent toutefois un rôle important dans la modulation de la douleur (Marchand, 2009).

Les fibres Ab. Les fibres Ab sont des fibres myélinisées non-nociceptives de gros calibre qui se caractérisent par une conduction très rapide (Marchand, 2009). Elles transmettent des informations nociceptives reliées à des stimulations mécaniques de faibles intensités seulement (Beaulieu, 2013; Fein, 2012). Ces fibres jouent un rôle dans la modulation du message douloureux en produisant une inhibition localisée de celui-ci lors d’une stimulation nociceptive légère, telles qu’un massage ou une vibration (Marchand, 2009).

Les fibres Ad. Les fibres Ad sont des fibres myélinisées de petit calibre qui sont relativement rapides (mais beaucoup moins que les fibres Ab) et qui s’assurent de transmettre

de manière rapide et précise l’information nociceptive (Marchand, 2009; Walker & Baccei, 2014). Grâce à leur rapidité, ces fibres sont responsables de la première douleur ressentie, soit une douleur aiguë brève et localisée rappelant une piqûre (Fein, 2012; Marchand, 2009). Les fibres Ad sont des mécanorécepteurs, c’est-à-dire qu’elles répondent aux stimuli de nature mécanique, et sont particulièrement réceptives aux piqûres et aux pincements (Beaulieu, 2013; Marchand, 2009). Ces fibres réagissent intensément aux stimuli pouvant potentiellement endommager les tissus cutanés (Marchand, 2009). Par exemple, lors d’une procédure impliquant des aiguilles, les fibres Ad sont responsables de la sensation douloureuse brève et intense ressentie au moment où l’aiguille transperce la peau. Cette première douleur est responsable du réflexe de retrait qu’ont la plupart des enfants lors d’une procédure douloureuse (Fein, 2012; Marchand, 2009).

Les fibres C. Les fibres C sont des fibres amyéliniques de petit calibre qui ont une vitesse de conduction lente. Ces fibres sont donc à l’origine d’une douleur plus tardive et diffuse évoquant une sensation de brûlure, et sont, par conséquent, associées à la seconde douleur (Fein, 2012; Marchand, 2009). Les fibres C sont des nocicepteurs qualifiés comme étant polymodaux, c’est-à-dire qu’ils répondent à des stimulations d’origine mécanique, thermique et chimique (Beaulieu, 2013; Smith & Lewin, 2009). Étant principalement stimulées par des stimuli intenses provoqués par des objets pointus, les fibres C jouent un rôle central quant à l’intensité de la douleur ressentie (Marchand, 2009). Par exemple, lors d’une procédure impliquant des aiguilles, les fibres C provoquent une sensation importante de douleur plus tardive et diffuse (seconde douleur) qui est par la suite maintenue, à un degré plus faible. De plus, cette sensation douloureuse peut persister une fois la procédure terminée (Fein, 2012; Marchand, 2009).

Enfin, lors d’une procédure impliquant des aiguilles, les fibres Ad et C sont respectivement responsables de la première et de la deuxième douleur en raison de leur vitesse de conduction distincte (Fein, 2012; Marchand, 2009). Toutefois, il est possible de bloquer temporairement, de manière individuelle, chacune de ces douleurs en stimulant légèrement les fibres Ab avec l’aide d’interventions pharmacologiques et/ou non-pharmacologiques (Marchand, 2009). Ces différentes interventions seront présentées dans le cadre de ce chapitre de recension des écrits.

2.1.2. Les mécanismes physiologiques de la douleur

Entre le moment où notre corps reçoit une stimulation mécanique douloureuse (ex : pénétration de l’aiguille dans notre peau lors d’une ponction veineuse) et le moment où l’on ressent la sensation douloureuse y étant associée, il se produit une cascade de réactions électriques et chimiques caractérisées par trois étapes, soit la transduction, la transmission et la perception (Figure 1, p.40) (Fields, 1987).

Figure 1. - Mécanismes physiologiques de la douleur (Beaulieu, 2013)

Transduction. Lors d’une procédure impliquant des aiguilles, il y a activation de nocicepteurs (fibres nociceptives Ad et C) qui vont générer le codage du message sensoriel afin que l’information nociceptive (influx douloureux) soit conduite, par le neurone primaire,

jusqu’aux cornes postérieures de la moelle épinière (Beaulieu, 2013; Marchand, 2009). Le phénomène de la transduction renvoi à la dépolarisation des nocicepteurs par des récepteurs nociceptifs canaux situés dans les cornes postérieures de la moelle épinière. Cette dépolarisation permet l’activation des canaux sodiques dépendant du voltage qui vont inciter la génération et la propagation de potentiels d’action (Beaulieu, 2013; Wang & Woolf, 2005; Woolf & Ma, 2007). La création de ces potentiels d’action va favoriser l’entrée de calcium qui, par le fait même, libérera dans la fente synaptique des neuro-modulateurs (inhibiteur ou excitateur) ainsi que des molécules de signalisation (Beaulieu, 2013; Woolf & Ma, 2007).

Transmission. La transmission sensorielle s’effectue selon trois étapes, soit de la périphérie à la moelle épinière, de la moelle épinière au tronc cérébral, puis du thalamus au cortex (Beaulieu, 2013). Le potentiel d’action nociceptif généré par le phénomène de transduction progresse donc jusqu’aux nocicepteurs des cornes dorsales de la moelle épinière, où il y a un premier contact synaptique avec les neurones secondaires des voies spinothalamiques et spinoréticulaires (Marchand, 2009). Avant d’être acheminés vers les centres supérieurs, les neurones secondaires projettent l’information nociceptive vers les noyaux du thalamus somato-sensoriel qui peuvent être divisés en deux groupes, soit les noyaux du complexe ventro-basal et les noyaux du complexe centro-médian (Marchand, 2009). C’est à ce niveau qu’il y a un second contact synaptique avec le troisième neurone qui se charge de transporter l’information nociceptive vers certaines régions du cortex somato-sensoriel et certaines structures limbiques (Marchand, 2009). Ainsi, les noyaux du complexe ventro-basal reçoivent l’information sensorielle des voies spinothalamiques (fibres Ab et Ad) et projettent l’influx nerveux vers les cortex primaire et secondaire qui sont responsables de la composante sensori-discriminative de la douleur (Fontaine, Blond, Mertens, & Lanteri-Minet, 2015; Marchand, 2009). Cette composante nous informe des qualités sensorielles de la douleur, soit sa localisation, sa nature et son intensité (Willis, 1985). Les noyaux du complexe centro-médian, quant à eux, reçoivent l’information sensorielle des voies spinoréticulaires (fibres C) et transportent l’influx nerveux vers les différentes structures du système limbique qui sont responsables de la composante motivo-affective de la douleur (Fontaine et al., 2015; Marchand, 2009). Cette composante renvoie à la sensation désagréable de la douleur, au danger qu’elle représente ainsi qu’à sa mémorisation (Willis, 1985).

Perception. La perception de la douleur, qui réfère à l’acheminement de l’information nociceptive dans les centres supérieurs au niveau du cortex, dépend de l’interprétation personnelle du stimuli nociceptif (Marchand, 2009). Ainsi, pour une même procédure impliquant des aiguilles, le stimuli nociceptif va provoquer, d’un enfant à un autre, des douleurs très différentes (McMurtry et al., 2015). Bien qu’on ait actuellement que des connaissances partielles du phénomène de la douleur procédurale en raison de sa complexité, on sait que des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux peuvent en influencer sa perception (Cohen, Maclaren, & Lim, 2008; Craig, 2009; Kazak & Kunin-Batson, 2001; Young, 2005).

Documents relatifs