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La multiplicité des opérateurs, une construction historique

Dans le document Rapport LECOCQ (Page 78-82)

SE CONTENTER DE RESULTATS HONORABLES

2 L E DIAGNOSTIC DES AVANTAGES ET LACUNES DU SYSTEME EST LARGEMENT PARTAGE

2.9 Le système d’acteurs en prévention est devenu illisible et son efficacité est réduite par une gouvernance et un pilotage complexes

2.9.1 La multiplicité des opérateurs, une construction historique

La multiplicité des acteurs intervenant dans le champ des risques professionnels est reconnue par tous. Plusieurs acteurs auditionnés par la mission, ayant tenté leur propre cartographie du système, l’ont illustré en lui présentant leur propre schéma. Le schéma reproduit ci-dessous, en s’abstenant de rendre visibles les interactions entre chaque organisme ou institution, apparait très simplifié.

Cette multiplicité est en général associée à la complexité et donc la moindre lisibilité et accessibilité du dispositif. Elle n’est toutefois pas le propre de la France, comme l’attestent les tableaux comparatifs de six pays du l’Union européenne pris en exemple, joints en annexe 3 du présent rapport.

Tableau 9 : Le système français de prévention des risques professionnels

Source : d’après Bilan des conditions de travail (DGT)

2.9.1.1 La stratification des organisations : une construction historique qui fait moins sens

Notre paysage institutionnel de la prévention des risques professionnels est hérité d’une construction qui prend ses racines à la fin du 19ème siècle puis s’est renforcé progressivement pour se stabiliser dans sa forme actuelle durant la seconde moitié du vingtième siècle. Il repose sur deux piliers, l’Etat (première colonne du tableau supra) et la sécurité sociale (troisième colonne), dotés de représentations centrales à l’échelon national et de relais locaux pour le déploiement opérationnel de leurs politiques. Le système s’appuie sur des instances de consultation et de concertation avec les partenaires sociaux, elles aussi nationales et régionales (deuxième colonne).

Ces piliers sont en outre épaulés par des opérateurs techniques peu ou prou rattachés (tutelle) à l’un de ces deux piliers, ce que les coloris des différents cas du tableau tentent d’illustrer (quatrième colonne).

Les institutions qui composent ce système ont été créées successivement en réponse à des besoins circonstanciés, obéissant à des finalités, une logique institutionnelle et donc une organisation propre, aisément identifiable et circonscrite. Elles étaient incarnées par les expertises respectives du juriste, du technicien et du médecin que sont l’inspecteur du travail, l’agent de prévention de la Cram (devenue Carsat) et le médecin du travail :

 Le premier est garant de l’application des lois protectrices et peut sanctionner leur non-respect ;

 Le deuxième est dans une logique gestionnaire d’assurance du risque et apporte des conseils techniques de nature à réduire l’occurrence ou la gravité des sinistres ;

 Le troisième, agissant exclusivement à des fins préventives, garantissait jusqu’il y a peu à l’employeur l’aptitude médicale de ses salariés.

Cette articulation lisible se traduit très concrètement par la présence des trois acteurs aux réunions de CHSCT dans une répartition claire des rôles aux cotés des employeurs et représentants du personnel. Ainsi, dans un fonctionnement idéal, le médecin du travail peut alerter sur l’état de santé des collectifs de travail exposés à des risques professionnels, l’agent de prévention de la sécurité sociale, outillé par l’INRS, apporte des conseils techniques sur les moyens de s’en prémunir tandis que l’inspecteur du travail rappelle le droit qui sous-tend les actions à prendre et veille à sa mise en œuvre.

Ce trio est rejoint par le représentant de l’OPPBTP lorsqu’il s’agit des activités de bâtiment et des travaux publics, seul organisme de branche dont l’existence s’explique dès sa naissance par les spécificités du secteur, tant en termes d’activités (mobilité des chantiers, importance des risques) que de configuration des entreprises concernées (taille des effectifs) et de sinistralité. L’Anact apparaît plus tard (1973), dans un contexte de crise et de transition économique, pour compléter la palette et intégrer les dimensions organisationnelles, participatives et managériales des conditions de travail, non prises en charge par les organismes spécialisés existant.

Aussi longtemps que des progrès ont été enregistrés, c’est-à-dire que l’action respective de ces organismes s’est accompagnée d’une baisse sensible de la sinistralité, peu importait qu’il soit impossible de déterminer la part attribuable à chacun, ce schéma n’avait pas lieu d’être interrogé.

2.9.1.2 L’émergence de la demande en pluridisciplinarité : une évolution insuffisamment pensée et non coordonnée

Si le paysage des opérateurs a fait preuve d’une grande stabilité, le monde du travail a en revanche considérablement évolué. Chaque organisme a dû s’adapter, à partir de sa propre lecture de ces évolutions, en élargissant ses champs d’intervention, afin d’intégrer des risques émergents, liés à des modèles économiques et organisationnels nouveaux dans les entreprises et pour mieux prendre en compte leurs effets sur les conditions de travail.

La compréhension de plus en plus fine du caractère multifactoriel des risques tels que les troubles musculo-squelettiques (TMS) ou les risques psychosociaux (RPS) a conduit à développer le concept de pluridisciplinarité, seul à même d'appréhender ces problématiques complexes dans toutes leurs dimensions. Mais cette pluridisciplinarité s’est paradoxalement construite de manière cloisonnée et non concertée. Elle a conduit à une réponse indisciplinée des organismes qui ont voulu la mettre en œuvre chacun de leur côté. On a pu l’observer jusque dans les recrutements opérés au sein de chaque institution, chacune recourant aux compétences de spécialistes de disciplines dont elle ne disposait pas jusque-là. Les Direccte ont ainsi recruté des ingénieurs et des médecins dans leurs cellules pluridisciplinaires régionales, les Carsat ont recruté des psychologues, les services de santé

au travail des ergonomes et des techniciens, l’INRS a fortement investi le champ des RPS, etc. Il pourrait être intéressant d’examiner en détail la manière dont les profils des personnels de chaque institution ont évolué mais il est certain que la traditionnelle dichotomie entre médecins, juristes et techniciens qui structurait et identifiait chaque acteur s’est estompée au fil du temps.

Faute d’un pilotage concerté, chaque opérateur a en quelque sorte développé la « pluridisciplinarité en chambre » et investi les mêmes objets avec sa logique propre, donnant lieu, notamment, à la production d’une multitude d’outils127 portant sur les mêmes sujets dans le même secteur. Faute d’avoir été pensée et coordonnée, cette évolution a certainement contribué à donner l’impression que « tout le monde s’occupe de tout » et à brouiller les cartes et la compréhension des missions de chacun. Le phénomène a probablement été accentué par l’exercice incertain de tutelles dites stratégiques, au demeurant variées, et des fonctionnements en réseau peu maitrisés au sein même de chaque structure lorsqu’elle dispose d’antennes territoriales.

2.9.1.3 L’offre de service privée de prévention s’est structurée et professionnalisée

La santé au travail a longtemps été portée par les seuls opérateurs institutionnels et les organismes de vérification de conformité, privés mais agréés par l’Etat, auxquels les employeurs ont pris l’habitude de sous-traiter le mesurage des paramètres soumis à des valeurs limites réglementaires (bruit, agents chimiques, etc.) ou à des exigences particulières de conformité (machines, installations électriques, etc.).

Une offre de service privée a cependant vu le jour au fur et à mesure que la santé au travail est devenue une préoccupation majeure dans l’entreprise. Obligation de sécurité oblige, cette offre s’est professionnalisée et même structurée pour devenir une discipline voire un marché à part entière.

Les diplômes universitaires et l’offre de formation spécialisée en santé et sécurité permettent désormais aux entreprises de recruter des responsables HSE au sein d’une filière fournie128. Ces spécialistes sur site s’entourent eux-mêmes de nombreux conseils spécialisés : consultants en santé et sécurité, certificateurs de systèmes, fournisseurs de solutions, etc. Les RPS et la QVT n’ont fait qu’amplifier le phénomène. Le monde du travail dispose donc désormais d’un écosystème public/privé conséquent, qui maille l’ensemble du territoire. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’ampleur et le succès des salons d’exposition dédiés à la santé et sécurité au travail129.

Il faut prendre acte de cet environnement enrichi d’expertise, accessible aux employeurs et aux représentants des salariés aux côtés des acteurs institutionnels historiques, mais s’interroger en retour sur le rôle et le positionnement dévolus à ces derniers dans ce nouveau contexte. On notera au passage que de nombreuses auditions ont révélé la perception ambivalente des employeurs à l’égard du médecin du travail et du préventeur en Carsat, qu’ils assimilent peu ou prou, au regard de leurs prérogatives, à une fonction de contrôle. Certains employeurs privilégient donc le recours à un consultant extérieur qu’ils choisissent même si sa compétence n’a pas de garantie formalisée. Il y a matière, dès lors, à s’interroger sur la manière dont la fonction d’accompagnement à la prévention peut-être mieux identifiée, encadrée130 et distinguée de fonctions régaliennes ou assurantielles.

127 Ces outils ne sont pas nécessairement contradictoires ou ne recouvrent pas totalement mais peuvent être redondants alors que certains risques ou secteurs seront au contraire peut ou pas du tout couverts.

128 Ce qui est sans rapport avec le déficit de sensibilisation aux conditions de travail et de la formation des futurs managers dans les écoles d’ingénieurs et de commerce régulièrement constaté par ailleurs.

129 Preventica, Expoprotection etc… ;

130 La directive du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (89/391/CEE) prévoit (article 7) :

2.9.2 La multiplicité des opérateurs nuit à la compréhension et donc à l’utilisation

Dans le document Rapport LECOCQ (Page 78-82)

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