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La mise en œuvre d’une prévention de l’inexécution

Section II Le droit à l’exécution des décisions de justice, enjeu majeur pour le justiciable

A. La mise en œuvre d’une prévention de l’inexécution

En tout premier lieu, la prévention des risques d’inexécution appartient au juge lui-même (1) mais également aux justiciables grâce à la faculté de demander un éclaircissement (2).

1. Le juge comme garant prétorien de l’exécution de ses décisions

Historiquement, le Conseil d’Etat n’a pas hésité à présenter dans la motivation de ses décisions, une véritable méthodologie des mesures d’exécution devant être prises. La décision

Rodière569, rendue dans la matière complexe que constitue la reconstitution de carrière, illustre cette mise en œuvre prétorienne du Conseil d’Etat. S’il eût été possible d’estimer que l’adoption de la loi du 8 février 1995 relative aux injonctions aurait permis de mettre fin à cette faculté du juge administratif, il n’en a rien été.

En effet, le Conseil d’Etat continue à le faire même lorsque le demandeur n’a pas entendu présenter des conclusions à fin d’injonction comme ce fût le cas dans la décision d’Assemblée Vassilikiotis.570

Néanmoins, il faut souligner le fait que cette disposition législative a offert un moyen supplémentaire au juge de garantir l’exécution de ses décisions au travers des injonctions.

Force est de constater en premier lieu, que sous l’angle des justiciables, le régime des injonctions n’apparait pas égalitaire. Si pendant longtemps le juge administratif se refusait à formuler des injonctions à l’administration571, il en allait différemment pour les justiciables

privés. Ces derniers pouvaient se voir enjoindre de quitter une dépendance du domaine public illégalement occupée572 ou encore de restituer des moules de construction à un office public

569 CE, 26 décembre 1925, Rodière, rec. p.10650.

570 CE, Ass, 29 juin 2001, Vassilikiotis, n°213229, rec. p.303: « Qu’il appartient aux autorités compétentes,

jusqu’à ce que l’arrêté du 15 avril 1999 ait été complété dans les conditions exposées ci-dessus, de délivrer aux ressortissants communautaires qui en font la demande, une carte professionnelle, en décidant, au cas par cas, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les titres et les diplômes présentés peuvent être considérés comme offrant, du point de vue des intérêts généraux que l’article 13 de la loi du 13 juillet 1992 a pour objet de sauvegarder, des garanties équivalentes à celles qui résultent de la possession des titres et diplômes français .»

571 Voir supra : Partie II, Chapitre 1, Section I, §1, B, 1 sur l’acculturation de l’urgence dans le procès

administratif.

d’HLM573par exemple. Pourtant là encore, ce pouvoir d’injonction n’était pas absolu,

puisqu’en vertu de la jurisprudence Préfet de l’Eure574, l’administration ne peut demander au

juge des mesures qu’elle peut elle-même adopter.

La loi du 8 février 1995 a toutefois corrigé en partie cette inégalité en mettant en place

des « injonctions préventive.»575 Cette avancée a d’ailleurs été soulignée par le

Professeur Chapus qui a pu dire « que la jurisprudence a reçu de la loi un élan qui l’a portée,

dès les premières années de ce nouveau siècle, à reconnaitre au juge administratif un pouvoir d’injonction qui, au service également de la chose jugée, double ou prolonge utilement celui qu’il tient de la loi.»576

Il est à noter enfin que le législateur est également intervenu au soutien du juge. Ainsi l’article 1er de la loi du 16 août 1980577 permet aux condamnations pécuniaires de prendre tous leurs effets. Cette loi permet de faire échapper à la bonne volonté de l’ordonnateur la mise en œuvre de ces condamnations puisqu’elles valent ordonnancement d’office, et qu’il appartient au comptable public de s’assurer de sa bonne exécution. De plus, la personne publique qui aura manqué à cette obligation sera passible de poursuites devant la Cour de discipline budgétaire et financière pouvant conduire à la condamnation à l’amende prévue à l’article L.313-1 du code des juridictions financières.

Ce mécanisme législatif étant en lui-même suffisant, le Conseil d’Etat a estimé dans sa décision Lother578, qu’il était exclusif de toutes autres procédures d’exécution telle que

l’injonction.

Pour autant, toute la diligence de la juridiction administrative ne suffit pas toujours à prévenir ces risques et une demande d’éclaircissement auprès des juridictions peut s’avérer nécessaire.

573 CE, Sect, 13 juillet 1959, Office public d’HLM du département de la Seine, n°37656, rec. p.338.

574 CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, n°49241, rec. p.583, repris récemment par CE, 7/2 SSR,

24 février 2016, Département de l’Eure, n° 395194.

575 CHAPUS René, op. cit., p. 974. 576 Ibid.

577 Loi n°80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à

l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public, JORF du 17 juillet 1980 page 1797 ; aujourd’hui repris à l’article L.911-6 du CJA.

2. La demande d’éclaircissement formulée par l’administration

Conscient de cette nécessité d’apporter une aide à l’exécution, le décret du 30 juillet 1963579 va créer la commission du rapport, qui deviendra par la suite la Section du rapport et des études, compétente pour « éclairer l’administration sur les modalités

d’exécution de la décision de justice.»580

Néanmoins, il a été procédé récemment581 à une « déconcentration relative de la

procédure d’éclaircissement.»582 Hors les cas où le Conseil d’Etat a lui-même rendu une

décision ou que celle-ci l’a été par une juridiction spécialisée, il incombe au président de la juridiction la charge de procéder à cet éclaircissement. Mais celui-ci conserve la faculté de renvoyer la demande au Conseil d’Etat au titre de la bonne administration de la justice.583

Pourtant, il apparait qu’il est finalement peu fait usage de cette possibilité par l’administration ; le Professeur Chapus en faisait le constat : « les ministres n’ont jamais

abusé de la faculté de saisir la section du rapport et des études de demandes d’éclaircissement.»584 Cette constatation n’a pas connu d’évolution significative. Le rapport

annuel 2019 relève que pour l’année 2018 seules deux demandes d’éclaircissement ont été formulées devant la Section du rapport et des études, une devant les cours administratives d’appel et onze devant les tribunaux administratifs.585

Malgré ce dispositif, il arrive parfois que l’administration face preuve de mauvaise foi en inexécutant intentionnellement la décision. Cela a conduit à sanctionner pareille situation car « la question, en effet, n’est pas une question de quantité. Il n’est jamais acceptable que la

chose jugée soit méconnue.»586

579 Décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 portant règlement d'administration publique pour l'application de

l'ordonnance 45-1708 du 31 juillet 1945 et relatif à l'organisation et au fonctionnement du conseil d’État.

580 Article R.931-1 du CJA.

581 Article 21 du décret n° 2015-1145 du 15 septembre 2015 modifiant le code de justice administrative,

JORF n°0215 du 17 septembre 2015, p.16289.

582 GOHIN Olivier et POULET Florian, Contentieux administratif, LexisNexis, 2017, p. 453. 583 Article R.921-1 du CJA.

584 CHAPUS René, op. cit., p. 1163.

585 CONSEIL D’ETAT, Rapport Public 2019 : activité juridictionnelle et consultative des juridictions

administratives en 2018, La Documentation française, 2019, p. 181‑ 182.

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