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1.1. De la catégorisation des ambiances à la question du monteur son

1.1.2. L’ambiance, un objet difficile à cerner

1.1.2.2. La matière ambiantale au cinéma et dans l’audiovisuel

En marge des points que nous venons d’aborder, l’ambiance renvoie également à un terme technique faisant partie intégrante du vocabulaire des professionnels du son dans les domaines du cinéma et de l’audiovisuel (et auxquels, nous le rappelons, se destine principalement la sonothèque Sons du Sud).

Le cinéma, tel que nous le connaissons aujourd’hui, ainsi que toutes les productions dites « audiovisuelles », convoquent deux supports : l’image et le son.

Ces derniers sont généralement façonnés en différentes matières de l’expression (notion empruntée par Roger Odin au linguiste danois Louis Hjemslev désignant « la structure matérielle […] du support des significations », Odin, 1990, p. 31) dont la conjonction constitue ce qu’on appelle communément la bande sonore21. On distingue par ce principe la matière phonique (la matière du langage parlé), la matière musicale, les bruitages, les effets et les ambiances (ou matière ambiantale).

21 Si nous avons recours à l’expression « bande sonore » par commodité, nous partageons toutefois l’avis de Michel Chion pour qui la bande-son n’existe pas en tant qu’entité indépendante de ce qu’on appellerait alors la « bande image », mais qu’au contraire, images et sons, forts de leurs interactions, nourrissent conjointement la mise en sens du spectateur (1990).

Les quatre premières catégories peuvent rapidement être définies à travers les traits pertinents suivants22 :

La matière phonique (ou voix) regroupe les prestations parlées de l’ensemble des acteurs, qu’elles aient été enregistrées pendant le tournage ou a posteriori. Nous retiendrons les traits pertinents suivants : /Production de l’acteur/ et /Langue naturelle parlée/ ;

La matière musicale (ou musique) organise le support sonore de manière harmonique et rythmique. Elle est de la responsabilité du compositeur attitré de la musique film. Nous retiendrons les traits pertinents suivants : /Production du compositeur/, /Harmonicité/ et /Rythmicité/ ;

Les bruitages et les effets réunissent un ensemble hétérogène de sons, principalement des événements brefs, ponctuels et saillants. Les bruitages permettent de « combler les silences provoqués par le retrait de tous les dialogues (et donc des sons qui vont avec, présences de comédiens, bruits de pas, etc.) dans les scènes dont le son direct [le son du tournage] n’a pu être exploité ou pour la version internationale » (Balibar, 2015, p. 6). Les effets regroupent tous les sons que le bruiteur (cf. 1.1.4.1) n’est pas en capacité de fabriquer (moteurs, coups de feu, explosion, etc.) et dépendent du monteur son. Nous retiendrons les traits pertinents suivants : /Production du bruiteur ou du monteur son/, /Bref/, /Ponctuel/, /Saillant/.

L’ambiance, quant à elle, se laisse généralement décrire comme une « masse sonore globale […] pas nécessairement synchrone avec l’action qui se déroule à l’écran » (Nanteuil, 2008, p. 24). Elle s’apparente ainsi à un vaste magma homogène à l’intérieur duquel se noient les « sons d’arrière-plan » (Balibar, 2015, p. 4), c’est-à-dire des sons faibles, lointains et diffus. Néanmoins, il est quelque peu réducteur de

22 Pour plus d’informations sur les différents types de sons qui constituent une bande-son, nous renvoyons au premier chapitre de l’ouvrage très didactique de Lucien Balibar intitulé : « La chaîne du son au cinéma et à la télévision » (2015).

s’en tenir à une telle définition, car aujourd’hui, toutes les ambiances ne sont plus

« stables, permanentes ou immobiles » (Bailble, 1999, p. 248). En effet, certaines d’entre elles « peuvent au contraire être vivantes, dynamiques et ainsi se modifier dans le temps, avec l’évolution du récit. [Du reste,] si au cinéma l’ambiance peut évoluer dans sa “tonalité”, elle peut aussi évoluer dans sa densité » (Adjiman, 2015, p. 52).

C’est pourquoi le mixeur William Flageolet distingue deux types d’ambiances, dites « fonctionnelles » et « narratives »23, entre lesquels il est possible d’introduire une troisième catégorie intermédiaire que l’on peut, en référence à la terminologie de Michel Chion (1990), qualifier de « territoire ». Comme nous allons le voir, ces trois niveaux – qu’il sera possible, à certains égards, de rapprocher de la théorie de Pascal Amphoux décrite un peu plus haut (en particulier les ambiances territoires et narratives) – témoignent parfaitement du caractère protéiforme de l’ambiance qui, dans son acception cinématographique ou audiovisuelle, nous semblait difficile de circonscrire en seulement deux catégories dichotomiques :

Les ambiances fonctionnelles (ou « fonds d’air ») s’apparentent à un silence ou à un souffle. Ce sont elles qui raccordent, c’est-à-dire qui s’harmonisent avec le son du tournage ainsi que les éléments de décor visibles à l’écran. Il s’agit généralement de

« sons seuls » enregistrés sur les lieux de tournage ou de sons issus de sonothèques.

Elles permettent d’assurer un niveau fondamental de continuité par lequel « l’image obtient sa liberté de coupures, ses ruptures d’axe ou de rattrapage de point » (Deshays, 2010, p. 32). Les ambiances dites fonctionnelles confèrent également quelques premières indications sur l’« environnement sonore » filmique et imposent une signature à l’espace. Elles servent à la fois de soubassement pour les événements sonores les plus saillants tels que les voix ou les effets, ainsi que de

« filet de sécurité » si certains sons venaient finalement à disparaître pendant l’étape finale de mixage (cf. 1.1.4.1), car « tout autant que la nature, le film a horreur du vide sonore » (Bonamy, 2011, § 1) ;

23 https://www.sounddesigners.org/forum/montage-son-sound-design/memoire-sur-le-montage-son-5132.html?p=61480#p61480

Les ambiances « territoires » ou « englobantes » permettent d’envelopper une scène, son espace, « sans qu’elles ne soulèvent la question obsédante de la localisation et de la visualisation de leur source : les oiseaux qui chantent ou les cloches qui battent [mais aussi le vent qui s’engouffre dans les arbres, le bruit des vagues, la circulation urbaine, etc.] servent à marquer24 un lieu, un espace particulier de leur présence continue et partout épandue » (Chion, 1990, p. 67) ainsi qu’à illustrer, circonscrire et caractériser par le son les modalités spatiales de l’image, pour en faire un espace à la fois remarquable et cohérent avec les éléments présents à l’écran. Les ambiances territoires permettent de matérialiser le « milieu sonore » (pour paraphraser la définition de Pascal Amphoux) dans lequel est susceptible d’évoluer l’ensemble des protagonistes d’un film. Elles sont une « expression » de la dimension sonore d’un monde en cours d’édification, associée à une écoute flottante et dont les critères d’évaluation, d’idéalisation et d’imagination s’articulent autour de son « hospitalité » et de son « habitabilité » : que l’habitant en question soit le personnage ou la projection du spectateur (Odin, 2000a, p. 22) ;

Les ambiances narratives sont celles qui, de manière coïncidente et concomitante aux forces en présence dans le film (et non plus nécessairement dans une volonté de cohérence avec l’image), œuvrent dans le sens du récit et de la narration (ce qui concerne donc en premier lieu les films de fiction) : elles incarnent une appréciation sensible, esthétique et différée ainsi qu’une certaine « saisie » (pour reprendre la définition que donne Amphoux au « paysage sonore ») de la dimension sonore de l’univers filmique, associée à une écoute affective, émotive et contemplative ; comme cela peut être le cas dans la séquence finale de Je rentre à la maison de Manoel de Oliveira dont Robert Bonamy propose l’analyse suivante :

« L’air qui entoure les personnages est envahi par des sonorités qui évoquent de façon insistante la disparition initiale des membres de la famille dans un accident de voiture. Dans les derniers plans, on retrouve les bruits de la circulation routière, parmi lesquels s’immisce une voix lointaine […]. Une poétique de l’absence se combine ici avec la dimension de ce qui fait retour dans l’intime de l’être […] par la mise en jeu du fond sonore envisagé comme un “autre audible” cinématographique. » (2011, § 21)

24 Difficile de ne pas penser ici à la notion de « marqueur sonore » (« soundmark » dérivé de « landmark ») de R.

Murray Schafer (1977) qui « renvoie au marquage territorial, à la délimitation, à la borne qui jalonne des parcelles » (extrait de l’appel à communication du 9ème Colloque de Sorèze intitulé « Paysage sonore, échographie du monde », 2012).

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