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2. La subjectivité créatrice I

2.2 Les figures de la créativité

2.2.2 La métaphore

La créativité est un jeu d’éloignement et de rapprochement, un jeu de séduction dans lequel l’autre se tient à distance quoique toujours à vue. Nous pourrions parler de la créativité comme d’un jeu de la dualité. Pour mieux saisir la créativité, nous nous servirons de la métaphore, de l’herméneutique, de la temporalité, du chemin, du mouvement comme manifestation originelle de la distance ontologique. Comme le remarque Ricoeur, «la créativité humaine se laisse discerner et cerner dans des contours qui la rendent accessible à l’analyse. La métaphore vive et la mise-en-intrigue sont comme deux fenêtres ouvertes sur l’énigme de la créativité»236. À

234 G. Vattimo, Ibid., p. 142.

235 M. Foucault: Dits et écrits I. Paris, Gallimard, 1994, p. 804-805.

ce stade-ci de notre analyse, nous utiliserons seulement la dimension métaphorique de la créativité Ultérieurement, lorsque viendra le temps de cerner le mode du dire de la subjectivité nous reviendrons sur la mise-en-intrigue

Le modèle de la métaphore, en faisant de celle-ci une figure de transport et de l’exil, de la déviation et de la transformation, de l’identité et de la transgression,237 est tout indiqué pour expliciter le jeu de la créativité En faisant de l’humain un être métaphorique, nous n’affirmons pas qu’il est un être qui se définit ainsi parce qu’il serait l’être qui utilise des métaphores, mais parce que nous croyons qu’il est de la nature de son être, de sa pensée et de son esprit d’opérer ainsi L’humain

est

métaphore, transport, déviation, transgression De plus, on peut ajouter que la métaphore, en la calquant sur la dynamique créatrice de l’être humain, n’est plus conçue seulement à l’intérieur du domaine de l’esthétique et de la rhétorique, mais à l’intérieur aussi du domaine de l’anthropologie, de l’épistémologie et de la métaphysique238

Mais de Platon à Heidegger, la métaphore n’a pas toujours eu bonne presse Pour Heidegger «La métaphore n’existe qu’à l’intérieur des frontières de la métaphysique»239 Mais si à partir de Platon jusqu’aux années 60, la métaphore a été discréditée, et nous verrons pourquoi, à partir de l’article de Max Black nous avons assisté à un foisonnement d’articles et de livres sur le thème de la métaphore II est bien entendu que pour nous, il ne s’agira pas d’éplucher l’ensemble de la littérature, mais comme nous l’avons fait pour le concept de subjectivité, et comme le remarque Bouchard׳ «Lorsqu’on aborde un sujet aussi souvent étudié que la métaphore, il est en effet indispensable de tenir compte des travaux antérieurement effectués

237 Patricia A Parker, The Metaphorical Plotin Miall (Ed), Metaphor Problems and Perspectives. New Jersey, The Harvester Press-Sussex Humanities Press, 1982, p 155

238 Mark Johnson, Introduction, Metaphor in the Philosophical Traditionin Mark Johnson (Ed), Philosophical Perspective on Metaphor, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1981, p 3 239 Martin Heidegger, Le principe de raison. Pans, Gallimard, Tel, 1962, p 126, GA 10, p 72

et de ne pas afficher une originalité dont le seul fondement serait l’ignorance de la problématique du sujet»240.

Dès le début de la tradition philosophique, qu’on fait commencer généralement avec Platon, un soupçon est jeté sur la métaphore dans la mesure où la métaphore, qui est une figure du langage ou une image, se tient à distance de la réalité,241 c’est-à-dire les Idées, et par conséquent, au lieu de calmer nos passions les animent242. Donc, la métaphore perpétue l’illusion, l’erreur et notre enchaînement au monde des sens. Pour Aristote, faire des métaphores consiste à nommer une chose à partir d’un nom qui appartient à autre chose243. La métaphore devient le transfert ou le transport du genre à l’espèce ou de l’espèce au genre, de l’espèce à l’espèce ou d’après un rapport d’analogie. Ce qui crée le transfert ou le transport, est une déviance de l’usage littéral provoquant ainsi une signification nouvelle fondée sur le caractère similaire entre les choses. Alors faire des métaphores implique un oeil pour détecter les ressemblances244. Avec Cicéron et Quintilien, la métaphore est valorisée comme un style d’ornementation qui donne une certaine force, une certaine clarté et un certain charme au langage245. Hobbes reprendra cette idée de la métaphore comme un genre secondaire ou pernicieux. Chez Hobbes nous abusons du langage de quatre façons. Un de ces abus se produit lorsqu’on utilise les mots métaphoriquement, c’est-à-dire dans un sens différent de celui qu’ils sont supposés posséder246. Chez Locke on peut aussi abuser du langage par l’emploi de

240 Guy Bouchard, Le procès de la métaphore. Ville La Salle, Hurtubise HMH, 1984, p. 11. 241 Platon, Rep. X 597 e.

242 Ibid.. Reo. X 606 d.

243 Aristote, Poétique. 1457 b 6. 244Ibid.. 1459 a8.

245 Cicéron, De Oratore. 3.41.

termes figurés lorsque la vérité est en cause Par conséquent, l’emploi de métaphore est accepté à l’intérieur de la rhétorique et de discours qui cherche à plaire et divertir247

De Platon à Hegel et S Mill, voire Heidegger, la métaphore est conceptualisée à l’intérieur du champ de l’esthétique et de la rhétorique, c’est-à-dire de l’ornementation Elle est établie sur la séparation entre le monde sensible et le monde intelligible (non-sensible), entre le visible et 1 ’ invisible, entre le physique et le non-physique C ’ est pourquoi Heidegger dira de la métaphore qu’elle se meut à l’intérieur du champ de la métaphysique Donc, tous ces philosophes lui ont retiré sa valeur épistémologique Comme le remarque Berkeley, à la suite de Locke, «a

philosopher should abstain from metaphor

»248

Ce n’est qu’avec Kant, et auparavant Rousseau, que la métaphore trouvera une nouvelle dimension L’originalité de Kant consiste à avoir montré que !’imagination n’est pas que reproductrice, mais aussi créative Dans notre histoire descriptive de la subjectivité nous avons vu que Kant instaure un nouveau paradigme le paradigme expressif Avec la notion de métaphore, Kant demeure toujours la pierre angulaire pour le passage du paradigme mimétique au paradigme expressif L’imagination en étant productive, produit un «idéal esthétique» qui donne à penser sans référence à un concept qui soit adéquat à cette représentation249 Bref, !’imagination offre plus à penser que ne peut faire aucun concept Aucun concept ne peut englober la totalité de ce qui est donné à penser

Si, avant Kant, on dénigrait la métaphore en raison du fait qu’elle ne nous fournissait aucune connaissance, après Kant, c’est-à-dire le mouvement romantique, à cause de l’exercice de !’imagination qui, dans sa capacité de créer des métaphores, dépasse la compréhension

247 Locke, An Essay concerning Human Understanding. Book III

248 Berkeley, De motu in Berkeley’s Philosophical Writings. New York, Collier Books, 1965, p 251 249 E Kant, Critique de la faculté de meer. Pans, Vnn, 1986, § 49, p 143

scientifique du monde, on valorisait la métaphore Avant Kant, la problématique de la métaphore était son adéquation au réel, tandis qu’après Kant, la problématique se déplace pour se centrer sur le caractère expressif de la métaphore, sur sa capacité justement de nous sortir du réel, d’aller plus loin et plus haut, et cela jusqu’au sublime Nietzsche dans la même veine affirmera que la métaphore n’est pas seulement une entité linguistique, mais aussi un processus à partir duquel nous rencontrons le monde Nietzsche refuse que les mots soient seulement des signes correspondant à des expériences originales et indépendantes saisissant ainsi l’essence des choses expérimentées Au contraire, les mots désignent plusieurs choses semblables Et c’est ainsi que nous faisons l’expérience de la réalité métaphoriquement Ce que nous connaissons, nous le connaissons métaphoriquement Les «vérités fixes» de notre culture ne sont rien d’autres qu’une compréhension métaphorique devenue conventionnelle, qu’une compréhension qui s’est sédimentée au point d’oublier son origine métaphorique

Même si Kant a marqué un tournant, la persistance du paradigme mimétique à dénigrer la métaphore ou le langage figuratif s’est poursuivi jusqu’au XXième siècle dans le cadre du positivisme logique Pour tous ceux qui défendent le positivisme logique, la métaphore ne possède qu’une fonction émotive, par conséquent ne possède pas d’utilité pour la philosophie d’autant plus que la science, en tant que modèle de la connaissance, peut être restructurée dans un langage idéal consistant dans des affirmations littérales offrant la possibilité d’être vérifiées ou falsifiées

Ce n’est qu’avec IA Richard avec

The philosophy of Rhetoric

publié en 1936 que la métaphore retrouvera sa noblesse et une nouvelle vie qui se mesure à la très grande quantités des publications apparues Pour y arriver, Richard élargit l’horizon de la métaphore Celle-ci n’est plus seulement une substitution de mot, c’est-à-dire une affaire de langage, comme la tradition, depuis Aristote, nous avait habitué à le penser C’est un principe de la pensée

«Thought is metaphoric, andproceeds by comparison and the metaphors of language derive

therefi'om

»25° De plus, la métaphore n’est pas seulement une affaire de déviation du langage ordinaire, elle est impliquée dans tous les discours Même notre système conceptuel est structuré métaphoriquement, de sorte que prétendre pouvoir fonctionner sans métaphore est un

«bluff»250 251

Ainsi la métaphore n’est plus seulement une affaire de rhétorique ou d’esthétique Au contraire, la métaphore possède des implications métaphysiques et épistémologiques On a qu’à penser comment la pensée métaphorique influence notre expérience Richard suggère que notre monde soit un monde projeté Le monde perçu est un produit métaphorique à partir des métaphores qui nous précèdent252 C ’ est pourquoi d’ailleurs si pour Aristote faire des bonnes métaphores ou avoir un oeil pour percevoir les ressemblances n’est pas donné à tout le monde, il en va autrement pour Richard, car nous apprenons à faire des métaphores à partir de notre rencontre d’autrui avec et à travers le langage que nous apprenons L’origine de la fabrication de métaphores est !’utilisation du langage qui est lui- même métaphore253 Seul un langage métaphorique peut donner naissance à d’autres métaphores.

Richard, en s’inspirant de Samuel Johnson qui affirme que la métaphore nous offre deux idées dans une, montre qu’une métaphore possède deux membres (ce que nous appellerons deux pôles) «teneur» et «véhicule» Ces deux pôles servent à indiquer qu’il y a une idée originale (le pôle mimétique) et une idée empruntée (le pôle expressif) Mais c’est !’interaction entre ces pensées co-présentes254 ou la co-appartenance entre le véhicule et le teneur qui donne un sens nouveau irréductible à chacun des pôles255 D’ailleurs lorsqu’une métaphore n’implique plus

250 1 R. Richard, The Philosophy of Rhetoric. Oxford, Oxford University Press, 1936, p 94 251 Ibid. 92 פ

252 Ibid, p 108-109 253 Ibid., p 90 254 Ibid, p 93 255 Ibid, p 100

deux idées et une certaine ambiguïté comme le montre l’exemple du canard-lapin de Wittgenstein ou l’exemple du

pharmakon

de Derrida, mais seulement une idée, alors, selon Richard, nous n’avons plus une métaphore, sinon une métaphore morte,256 c’est-à-dire une métaphore qui colle tellement à la réalité qu’il n’y a plus le jeu de la distance. C’est comme si le pôle mimétique l’emportait sur le pôle expressif.

Quelques années plus tard, Max Black reprend la problématique en insistant sur le fait que la métaphore n’est pas réductible à son expression littérale, c’est-à-dire n’est pas un substitut à une expression littérale257. Black élabore sa conception de la métaphore dans le cadre du paradigme expressif dans la mesure où la métaphore plutôt que d’exprimer simplement les similarités qui existent déjà, les crée.

<dt would be more illuminating in some of these cases

to scry that the métaphore creates the similarity than to scry that it formulates some similarity

antecedently existing

»258. Dans le sillage de Richard, Black met l’emphase sur le caractère interactif de la métaphore, sur le jeu de renvoi entre l’ancienne et la nouvelle signification. Si la métaphore en tant que substitut et comparaison peut être remplacée par une traduction littérale en sacrifiant son charme et sa vivacité sans perdre de son contenu cognitif, il en va autrement de la métaphore dite «interactive». Celle-ci n’est pas remplaçable. La métaphore possède deux sujets distincts: un sujet principal auquel s’applique un sujet ajouté

{subsidiary)

qui est un système d’implication. Cette utilisation du sujet ajouté, servant à organiser des relations dans un domaine différent, est une opération intellectuelle qui demande une conscience simultanée des deux sujets sans que ceux-ci soient réductibles à une comparaison entre eux259.

256 Ibid., p. 101.

257 Max Black, Metaphor in Johnson, Mark (Ed), Philosophical Perspectives on Metaphor. Minneapolis, University of Minnesota Press, 1981, p. 72.

258 Ibid., p. 72. 259 Ibid., p. 79.

C’est àRicoeur que revient le mérite d’avoir poussé plus loin !’investigation du caractère créatif de la métaphore. Ricoeur conçoit la métaphore sur le plan de l’énoncé, et non sur le plan des mots, de sorte que, contrairement à Aristote et Goodman, l’énoncé métaphorique relève davantage d’un acte de prédication, quoique impertinent, que d’un acte de dénomination. Cependant, même si l’énoncé est fondamental, la référence est l’essentiel. La métaphore ne peut pas être séparée de l’ontologie. Bref la métaphore n’est pas un mot, mais un énoncé prédicatif insolite qui fournit une redescription heuristique de la réalité. Cet acte de créativité ne ressemble en rien à la production d’images. Sa fonction, en créant du sens nouveau, est de découvrir un “monde” ou une réalité indépendante du monde littéral ou commun260. La métaphore, comme la Poésie chez Heidegger, fait apparaître un monde. Et c’est ce qui rend la métaphore vivante261. Comme le remarque Vattimo à propos de l’oeuvre d’art comme «mise en oeuvre de la vérité» chez Heidegger: «L’expérience d’un monde, c’est le sens qu’a l’oeuvre comme ouverture historique»262. L’oeuvre est une ouverture sur un au-delà d’elle-même. Dans cette perspective, Vattimo met en relation avec l’esthétique de Heidegger l’esthétique de Bloch et Adomo, en plus de celle de Gadamer et de Ricoeur dans la mesure où l’oeuvre permet de «prospecter des possibilités d’existence alternatives»263. Ricoeur lui-même dans

Temps et Récit

montre que «l’oeuvre littéraire se transcende en direction d’un monde»264. Le texte littéraire n’est pas clos sur lui-même: «Le monde du texte marquait l’ouverture du texte sur son ‘dehors’, sur son ‘autre’»265. Mais l’originalité de la métaphore n’est pas tant d’ouvrir un monde nouveau qui se suffirait à lui-même, mais de le faire à partir de ce qui existe déjà et à notre portée. Et c’est l’articulation de la tension entre l’ancien monde et le nouveau monde qui

260 Dabney Townsend, Metaphor, Hermeneutics, and Situations in L. E. Hahn (Ed), The Philosophy of Paul

Ricoeur. Chicago and La Salle, Open Court, The Library of Living Philosophers,, 1995, p. 196. 261 Paul Ricoeur, La métaphore vive. Paris, Seuil, 1975, p. 361.

262 Giani Vattimo, La fin de la modernité. Paris, Seuil, 1987, p. 129. 263 Ibid., p. 129.

264 Paul Ricoeur, Temps et récit 3: le temos raconté. Paris, Seuil, 1985, p. 286. 265 Md, p. 286.

rend la métaphore vive. Bref, l’innovation sémantique apparaît dans le jeu de !’interaction entre la structure de l’oeuvre et le monde de l’oeuvre. L’innovation sémantique chez Ricoeur ne surgit pas du jeu entre une identification linguistique et une déviance sémantique ou de la tension entre l’identité et la différence comme chez Beardsley qui voit dans la contradiction logique des règles internes le déclenchement de la déviance sémantique et comme chez Black pour qui la déviance sémantique est déclenchée à partir d’une sélection et une restriction de la dénotation.

La métaphore reproduit le mouvement du sens qui dépasse le champ référentiel connu où le sens est déjà constitué vers le champ référentiel inconnu où le sens est projeté. Ce mouvement Ricoeur le fait correspondre à deux énergies: d’une part, l’effet gravitationnel et, d’autre part, le dynamisme de la signification. À cet égard, la métaphore reproduit le mouvement de la métaphysique, le mouvement du dépassement vers un au-delà indéterminé. Ainsi la métaphore opère un arrachement et un transfert. La métaphore crée un écart qui nous permet d’échapper à la banalité. Cet écart se produit par emprunt à un domaine d’origine, car la métaphore opère à partir d’un langage déjà constitué. Et c’est par rapport à ce langage déjà connu et familier que la métaphore se vit comme la violation de l’ordre logique du langage. La métaphore est une transgression catégorielle, car pour un seul mot, elle doit déranger tout un réseau. Nous pouvons alors penser la métaphore comme un désordre dans la classification. Cette transgression produit un sens nouveau. De ce fait, comme le dit la

Rhétorique

d’Aristote, le poète nous instruit, car la métaphore porte une information: elle re-décrit la réalité. Dès lors, la métaphore possède une fonction heuristique. Ce procédé de la métaphore comme transgression est le même d’où procède toute classification. La «métaphore n’engendre un ordre nouveau qu’en produisant des écarts dans un ordre antérieur»266. La métaphore est paradoxale dans la mesure où elle est une déviance par rapport à une

doxa

antérieure. Ce dépassement du champ référentiel se déploie dans la projection d’un sens nouveau sur les ruines

de la prédication littérale267. Ce sens nouveau, la métaphore l’indique seulement, elle ne le détermine pas268. Avec l’affirmation poétique de la métaphore est incluse la négation, la suspension du monde familier qui se tient en amont de la métaphore. Le langage poétique ou métaphorique réfère à la réalité par le biais d’une stratégie complexe. D’un côté, elle implique une suspension du langage ordinaire, qui obéit à nos impératifs de contrôle, de manipulation et d’activité pragmatique, pour ensuite construire un mode indirect de référence qu’est la projection. En raison de son caractère innovateur, une métaphore vive ne peut pas être traduite ou réduite à une signification littérale.

Bref, la métaphore reproduit le jeu de la transition entre le pôle mimétique et le pôle expressif tout en accordant la co-habitation entre le regard mimétique qui est un regard jeté vers !’arrière, le passé et le regard expressif qui est un regard jeté vers l’avant, le futur. Schiller a très bien vu cette dynamique lors qu’il utilise le mot «naïf» et «sentimental» pour désigner deux modes différents de la connaissance esthétique. La connaissançe naïve est imitative dans la mesure où elle cherche à copier la réalité donnée dans la nature, tandis que la connaissance sentimentale cherche à représenter l’idéal. La connaissance naïve regarde vers !’arrière, vers ce qui est reçu et établi, tandis que la connaissance sentimentale regarde vers l’avant, vers ce qui est transitoire.

Si la métaphore re-décrit la réalité, c’est que le langage, contrairement à ce que pensent les structuralistes, n’est pas fermé sur lui-même, mais ouvert sur le monde. Ici Ricoeur reprend à son compte Kant. Le langage vise toujours quelque chose; ce que la phénoménologie nous a enseigné, et ce quelque chose est connaissable seulement à travers le langage; ce que l’herméneutique nous enseigne. Si chez Kant ce sont les structures a priori de l’esprit qui permet la rencontre du monde, chez Ricoeur c’est le langage tel qu’il se montre à nous dans les différentes formes de discours.

267 Paul Ricoeur, Du texte à l’action. Paris, Seuil, 1986, p. 218. 268 Paul Ricoeur, La métaphore vive, p. 379.

La métaphore re-décrit la réalité à laquelle elle réfère, et ce faisant augmente notre compréhension de soi et de notre situation dans le monde. De plus, cette redescription de la réalité n’est pas défavorable au discours philosophique, spéculatif et conceptuel. Au contraire,