• Aucun résultat trouvé

3 La lumière méditerranéenne, impératif formel et thème

Dans le document L'image à la lettre (Page 52-56)

Au cinéma, la lumière joue à la fois un rôle de composition pictu-rale (dans l’espace), et de composition musicale (dans le temps). Inscrite dans la durée, elle doit être « peinture en musique » ou « musique en peinture ». En vérité, nous sommes nécessairement

face à cette double composition, quoique fasse le cinéaste.

Cette affirmation nous invite à penser le cinéma comme étant à la jonction de réalités esthétiques multiples. L’art cinématographique en effet, cherche à faire parler la lumière, voire il la théâtralise pour la rendre expressive1, artifice qui, tout en fondant la poéticité des images en mouvement, construit le réalisme.

Le cinéma classique a tendance, pour sa part, à éclairer abondam-ment et de manière signifiante : le code de la lumière, qui gère la répartition des masses et des zones d’ombres et de lumière, guide alors l’œil du spectateur dans la lecture qu’il fait de l’image donnant ainsi au monde un sens obvie. Le cinéma moderne, pour sa part, a tendance à éclairer au minimum, ce qui veut dire, dans la limite de ce qui est nécessaire à la clarté et à la lisibilité de l’image, refusant ainsi d’ajouter à la signifiance du monde2. Cette position entraîne, pour l’écriture, deux formes possibles : le continuum lumière indif-férencié, ou alors des ruptures, par la co-présence de blocs lumi-neux hétérogènes.

DansEl Sol del Membrillo, nous n’avons pas une lumière asservie au sens obvie ; le film, au contraire, explore les formes possibles de la lumière, dans le même temps qu’il en décline les « états » pos-sibles (par exemple, les trouées dans l’obscur, ou l’envahissement total du cadre par une lumière qui inonde la représentation), dans une sorte d’érotisation maximale. La magie de cette image « sculp-tée » restitue le mystère de la nature qui de facto n’est pas

enregis-1. La séquence finale en offre un excellent exemple : la lumière s’y trouve mise en scène en tant que telle, face à l’appareil de prise de vue.

2. On se remémorera les notions suggérées par Jean-Luc Godard pour signifier cette différence : le cinéma classique est « Art de l’éclairage », le cinéma moderne, « Art de la lumière ».

tré « littéralement », en dépit de la posture documentariste qui se donne à voir sous d’autres aspects du film. Au contraire, par cette stratégie d’écriture, c’est une vision culturelle qui se trouve énon-cée, et du discours s’instaure par delà la représentation et son ambi-guïté que soulignent, entre autres, les plans multiples cadrant les coings, irréductiblement présents, exhibant leur matière aux prises avec la lumière. La brutale discontinuité lumineuse qui s’observe par endroits, les variations de la palette chromatique, les sautes1

et ruptures2sollicitent l’œil, le re-captent pour mieux interpeller le sujet face au questionnement de la représentation, et à la probléma-tisation de l’irreprésentable : l’être-là lumineux de la nature.

DansEl Sol del Membrillo, l’impératif — relativement « classique » — de hiérarchisation de la lumière dans la mise en forme d’une scé-nographie du plan contribue à mettre en valeur alternativement et le peintre, Antonio Lopez, et l’objet qu’il scrute constamment, qu’il élit et qu’il désigne même, par les marques qu’il leur fait à la pein-ture blanche : les fruits de l’arbre, objets de sa fascination. L’in-tersection couleur/lumière, en effet, travaille le cadre et la scéno-graphie à maintes reprises : citons ensemble les plans rapprochés montés en accolade, les nombreux moments où l’artiste est filmé au second plan, dans une lumière forte et blanche qui modèle son visage et le fait se détacher sur fond clair, alors qu’à l’avant-plan, servant de point d’appui pour la mise en scène visuelle comme pour la vision spectatorielle, nous avons, formant sur cadre, les feuilles sombres du cognassier dont la couleur et l’aspect lisse sont parfaitement rendus. Citons encore les séries de plans d’objets qui reviennent avec régularité et donnent au film scansion et rythme. Parmi ceux-ci, je me contenterai de relever les plans montrant des fragments de corps, exhibés, eux aussi, dans leur matérialité apte à moduler la lumière : pieds sur la terre meuble, sur le sol boueux, ou sur un morceau de plastique humide ; main tenant une règle, un crayon, un pinceau, ou saisissant un fruit ; doigt maintenant

1. Je citerai pour mémoire une saute récurrente : la juxtaposition en raccord du plan de l’arbre et de celui de la tour, juxtaposition soulignant des opposites formels et conceptuels : diurneÐÑnocturne, couleur bleueÐÑcouleur verte, natureÐÑ, culture.

2. Un exemple est celui de la rupture qu’introduit, dans la continuité visuelle géné-rée par la régularité des fermetures au blanc, l’irruption de la fermeture au noir, lorsque la palette de couleurs se métamorphose et que le solaire bascule dans le lunaire.

avec fermeté et science la palette en bois. J’évoquerai enfin d’autres plans, comparable à ces derniers : ceux montrant les fruits à des étapes différentes de leur maturité ; ou encore ceux montrant les outils de l’artiste : pinceaux, fil à plomb, etc. On relève à chaque fois le même travail extrêmement abouti de l’éclairage : une source lumineuse pourvoyant sans artificialité des surfaces réfléchissantes, voire des points de couleur exacerbée ; et un effet de profondeur permettant d’opposer le net et le flou. Par ces moyens sont ren-dues concrètes et visibles la matérialité des objets et l’évidence lumineuse de l’image qui les capte et nous les soumet. La main de l’artiste elle-même, ou son avant-bras, sont ainsi donnés/montrés comme matièregrâce à cette lumière qui leur confère volume et modelé.

Toutes ces observations nous conduisent à aborder la question dumulti sensé(cf. l’intenté du cinéaste, la création artistique et la réalisé autonome qu’elle produit) qui se trouve transcrit/écrit dans le film à partir de la rencontre de la lumière et des rythmes visuel et narratif. DansEl Sol del Membrillos’énoncent conjointement d’une part, un propos de jouissance, et, d’autre part, un propos d’impuis-sance. La jouissance dont discourt le film est d’ordre sensoriel : les cinq sens sont en effet convoqués par la mise en fiction ou la mise en image. Présents à l’image d’une manière ou d’une autre, vue, odo-rat, toucher, goût se trouvent également transcrits par des mots qui, eux aussi, comme nombre des plans, reviennent souvent, sont res-sassés par une voix qui les profère comme avec gourmandise : « ple-nitud », « hermosura », « muy, muy bonito ». Ils le sont, qui plus est, par des phrases inachevées, laissées en suspens, sorte d’invites à humer, à voir, à consommer, destinées au spectateur rendu captif par cette forme si particulière d’énonciation. Quant à l’ouie, c’est au niveau de la représentation plus que du représenté, qu’elle apparaît dans le film : bruit du vent qui sature le micro, grondement sourd de voitures, d’avions, de trains... qui disent la constante confronta-tion entre nature et culture.

Dans le film s’affirme en conséquence un discours sur l’ inattei-gnablediscours culturellement marqué, médiateur d’une apparte-nance méditerranéenne, qui vient « paramétrer » celui tenu sur la création artistique et la représentation du monde au moyen de l’Art. Inatteignable de la couleur (impossibilité de produire des vibra-tions colorées), inatteignable de la lumière en interaction avec la

couleur, si ce n’est par le palliatif que propose la description ver-bale (et encore... si l’on considère le nombre de séquences où, lors de passages de visiteurs, le peintre s’efforce de commenter, d’expli-citer ces effets de coloration et de luminosité, le doute est permis) ; inatteignable de la nature (on soulignera ici le paradoxe de l’artiste héritier du discours normé selon lequel la beauté dans l’art se défi-nit par l’imitation de la nature), car elle est vie, évolution, temps. Elle ne peut donc être que réduite, figée, altérée par la création artistique ; elle ne peut que devenir « nature morte », ainsi que le suggère si bien la classification des genres en peinture1.

1. Ce terme désignait à l’origine des tableaux représentant des animaux morts. On se remémorera aussi le credo impressionniste : exprimer la nature dans ce qu’elle a de mouvant, de transitoire.

El cotejo de los intertextos musicales

Dans le document L'image à la lettre (Page 52-56)

Documents relatifs