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La Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels

Chapitre 1 : Le fichage de la délinquance sexuelle

1.2. Le fichage de la délinquance sexuelle au Canada : un système polymorphe d’influence américaine

1.2.3. La Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels

La Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels a été promulguée le 15 décembre 2010. Elle est entrée en vigueur le 15 avril 2011 et elle a changé de manière substantielle le régime de la LERDS* que nous venons de présenter, et ce, tant à l’égard de la phase judiciaire que de la phase d’exécution du fichage. Avant de faire la présentation des modifications, il faut rappeler et souligner deux critiques formulées à l’égard du système établi par l’ancienne version du fichage. Ces critiques ont en effet inspiré la

transformation de la LERDS*. Ces remarques critiques ont été faites devant le Comité permanent de la sécurité nationale et publique responsable de la révision de la LERDS*279.

D’abord, les policiers qui ont témoigné devant le Comité permanent ont souligné que la LERDS* ne leur permettait pas de prévenir activement le crime, puisqu’ils pouvaient consulter la banque de données dans le seul cadre d’une enquête sur un crime dont la nature sexuelle est patente. Souvent, les policiers ne soupçonnent pas être en présence d’un crime de nature sexuelle et c’est au cours de l’enquête qu’ils le découvrent. Dans de tels cas, des policiers ont prétendu que la LERDS* entravait leur travail puisqu’ils ne pouvaient avoir accès à la banque de données de la LERDS* pour mener à bien leur enquête280.

L’autre critique concerne le fait que le fichage soit enclenché à la suite de l’unique initiative du poursuivant. Malgré le caractère étendu du fichage selon la loi, dans les faits, il n’y aurait que 50 % des délinquants sexuels condamnés pour une infraction désignée qui feraient l’objet d’une ordonnance de fichage281. Malgré des statistiques variables sur ce point, on peut formuler quelques hypothèses sur l’apparente restriction personnelle des procureurs de réclamer l’ordonnance de fichage : les négociations sur la peine ou carrément, l’oubli d’un procureur de demander l’émission d’une ordonnance d’enregistrement en raison du volume de travail. On peut également penser que les procureurs font une application raisonnable de la LERDS*. On a donc plaidé devant le Comité permanent en faveur d’un fichage encore plus extensif.

279 Art. 21.1 LERDS*; PARLEMENT DU CANADA, « Rapport du Comité permanent de la sécurité publique et

nationale. Examen de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels », (en ligne) : http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=4277019&Mode=1&Parl=40&Ses=2&La nguage=F (consulté le 31 janvier 2011).

280 BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT,« Résumé législatif. Projet de loi S-2 : Loi protégeant les victimes des

délinquants sexuels », (en ligne) :

http://www.parl.gc.ca/About/Parliament/LegislativeSummaries/bills_ls.asp?ls=s2&source=library_prb&Parl= 40&Ses=3&Language=F (consultée le 3 mars 2011).

Avec la Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels, le législateur prend acte de ces critiques et les faits siennes. D’abord, la nouvelle loi modifie la LERDS* en élargissant son objectif à « […] aider les services de police à prévenir les crimes de nature sexuelle et à enquêter sur ceux-ci »282. En rendant ainsi explicite la finalité de prévention du crime, on vise à répondre aux préoccupations des services policiers qui considèrent que la

LERDS* entravait leur travail. Les pouvoirs des services policiers quant à l’utilisation et à

la communication des renseignements sont par conséquent élargis283.

En vertu des nouvelles dispositions, un délinquant dispose d’un délai plus court pour procéder à sa comparution initiale auprès des services policiers (soit sept jours au lieu de quinze jours) et aviser de tout changement le concernant284. On demande au contrevenant sexuel de fournir plus de renseignements, à savoir « le numéro de [s]a plaque d’immatriculation, la marque, le modèle, le type de carrosserie, l’année de fabrication et la couleur de tout véhicule à moteur immatriculé à son nom ou qu’il utilise régulièrement »285. La réduction du délai pour comparaitre et les nouvelles informations requises sont des preuves que le législateur a une conception monolithique et imaginaire du délinquant sexuel : il serait un prédateur sexuel. En ce sens, la Loi protégeant les victimes des

délinquants sexuels constitue une véritable expression politique de la communauté de peur

à laquelle réfère Beck et perpétue la méconnaissance du législateur sur la criminalité sexuelle.

La Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels ajoute un nouvel art. 15.1 à la LERDS dont l’objectif est de favoriser la communication entre les services correctionnels et les forces policières. En vertu de cet article, le Service correctionnel du Canada ou un responsable d’un établissement correctionnel provincial est dorénavant autorisé à

282 Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels, préc., note 1, art. 28. 283 Id., art. 44.

284 Id., art. 30, 31, 33, 35 et 36. 285 Id., art. 34(2).

communiquer au préposé à la collecte de renseignements (1) la date à laquelle un délinquant est écroué, (2) l’absence temporaire du délinquant du pénitencier ou de la prison ainsi que son lieu de séjour, et (3) la date de sa libération conditionnelle ou définitive286.

La phase judiciaire du fichage est modifiée de façon importante également. Le juge doit désormais automatiquement émettre une ordonnance d’enregistrement lors du prononcé de la peine ou du verdict de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux – et non plus après le prononcé de la peine, comme c’était le cas avec l’ancien art. 490.012*

C.cr. La mesure d’exemption prévue par l’art. 490.012(4)* C.cr. est pour sa part abrogée287. Il y a donc élimination d’un côté de l’exigence voulant que la poursuite fasse d’abord la demande d’une ordonnance de fichage et de l’autre, de la discrétion judiciaire dans l’évaluation d’une demande d’exemption ou de dispense288. On a par conséquent émission judiciaire impérative d’une ordonnance au moment de l’imposition de la sentence. Le caractère obligatoire de l’ordonnance constitue une preuve supplémentaire de la priorité accordée au droit pénal préventif en matière de fichage de la délinquance sexuelle.

Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, il convient de le préciser, ne recommandait pas l’élimination de la discrétion judiciaire. En effet, dans sa deuxième recommandation, le Comité estimait que l’enregistrement devrait être automatique, mais que le juge pouvait la refuser dans des circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire si le fichage avait un effet nettement démesuré sur la vie privée et la liberté du contrevenant par

286 Id., art. 43.

287 Id. Le dispositif de dispense demeure toutefois au Code criminel.

288 Il faut toutefois préciser qu’avec les nouvelles dispositions, dans les cas d’infractions désignées aux al. b)

et f) (c’est-à-dire les infractions qui ne sont pas de nature sexuelle, mais qui sont commises avec l’intention de faire un crime de nature sexuelle), le poursuivant devra continuer à enclencher le processus en formulant une demande en ce sens au juge : Id., art. 5. De même, il importe de noter qu’il sera toujours possible pour un délinquant de demander, selon le cas, la révocation ou l’extinction de l’ordonnance – c’est seulement la possibilité de demander une exemption qui est abrogée.

rapport à l’intérêt public289. Le comité reconnaissait donc l’utilité du dispositif d’exemption de l’ancien art. 490.012(4)* C.cr., mais le législateur a opiné autrement. Peut-être le Comité était-il conscient de la vulnérabilité constitutionnelle de ce régime obligatoire absolu, on peut également le penser.

Finalement, La Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels élargit le champ d’application du fichage afin d’y inclure une nouvelle catégorie de contrevenants. Ce sont les personnes qui s’établissent au Canada après l’entrée en vigueur des modifications législatives et qui ont commis à l’étranger une infraction désignée à l’al. a) de l’art. 490.011

C.cr. Dorénavant ces personnes seront assujetties au fichage. À cette fin, la Formule 54 est

intégrée au Code criminel et le procureur général de la province ou le Ministre de la Justice doit la faire signifier en personne au nouvel arrivant290. L’assujettissement des nouveaux arrivants au système de fichage démontre une fois de plus que ce sont les idéologies de la peur, de la prévention et de la sécurité qui ont présidé à l’élaboration du fichage canadien. On peut se demander de toute façon si en connaissant le passé criminel de cette personne, elle peut obtenir un quelconque statut au Canada!