• Aucun résultat trouvé

La lecture labiale, b´en´efique pour une meilleure compr´ehension de la parole, est incompl`ete et sans le son ou sans information s´emantique, il est impossible de r´ecup´erer les traits phon´etiques de nasalit´e (distinction [p] vs [m] par exemple) et de voisement (distinction [p] vs [b] par exemple).

Ceci, comme nous l’avons vu pr´ec´edemment, r´esulte de l’ambigu¨ıt´e de la lecture labiale due `a la pr´esence de sosies labiaux. Ainsi, en raison des informations insuffisantes apport´ees par la lecture labiale, l’enfant sourd ne peut acqu´erir et maˆıtriser la langue en s’appuyant seulement sur l’´education oraliste classique. Plusieurs techniques ont vu le jour pour pallier ce manque d’information. En g´en´eral, ces techniques se basent sur des indices visuels, souvent cod´es avec la main, permettant d’apporter l’information compl´ementaire. Le Cued Speech (CS) est l’une de ces techniques. Dans cette section nous pr´esenterons d’une part le CS avec un historique rapide de son d´eveloppement, et d’autre part, nous exposerons la description des principes de sa construction. Dans un autre volet, nous nous focaliserons sur l’adaptation du CS `a la langue Fran¸caise. Finalement, nous rapporterons quelques ´etudes men´ees dans le domaine de la production et la perception du CS et montrant l’efficacit´e de ce syst`eme dans les communications face `a face pour les personnes mal-entendantes, ainsi que son rˆole dans le d´eveloppement de la langue chez les enfants sourds.

1.2.1 Le Cued Speech : D´efinition et historique

Il n’y a pas mieux que les mots de l’auteur pour d´efinir son invention :”A system for support of speechreading ...” (Cornett, 1967), p.6. Le Cued Speech est un syst`eme utilisant la main en compl´ement de la lecture labiale, invent´e par le Dr. Cornett et qui a pour objectif de permettre aux personnes d´eficientes auditives l’acc`es au langage parl´e. Les raisons de la cr´eation du Cued Speech viennent de deux grands souhaits du Dr. Cornett. En effet, en ´etant le vice-pr´esident de la premi`ere universit´e pour les d´eficients auditifs aux USA, le Gallaudet coll`ege `a Washington, Cornett d´ecouvre que les enfants ayant des d´eficiences auditives profondes et pr´elinguistiques ont une faible compr´ehension de la lecture. Il a compris que l’acc`es au langage parl´e est entrav´e par leur handicap auditif et que la re-´education purement oraliste est insuffisante et donne des r´esultats peu satisfaisants. Par ailleurs, les syst`emes gestuels qui existaient tel la langue des signes ne font qu’´eloigner les personnes sourdes de la langue utilis´ee. Il a donc eu l’id´ee de cr´eer le CS, un compromis entre les communications oralistes et gestuelles. Ce syst`eme permet aux personnes sourdes de disposer d’une repr´esentation phonologique compl`ete de la langue leur permettant ainsi de d´evelopper des comp´etences en lecture comme en ´ecriture comparable

`

a celles d’une personne normo entendante (Leybaert et Charlier, 1996). Ainsi, Cornett esp`ere donner la possibilit´e `a l’enfant sourd ”d’acqu´erir un mod`ele complet et pr´ecis du langage parl´e, par le canal visuel” (Destombes, 1982), p.6. Le deuxi`eme souhait du docteur Cornett rel`eve des aspects de la vie sociale. Il souhaite r´eduire les obstacles qui compliquent la communication initiale entre les enfants sourds et leurs parents sachant que 90% de ces enfants ont des parents normo entendants (P´erier, 1987).

Le Cued Speech d´efini pour la langue anglaise utilise douze cl´es (ou ”Cues” en Anglais) de fa¸con `a ce qu’elles fournissent suffisamment d’information compl´ementaire `a la lecture labiale

1.2. LA LANGUE FRANC¸ AISE PARL ´EE COMPL ´ET ´EE 29 pour permettre une identification pr´ecise des phon`emes. Ces cl´es utilis´ees seules sans la lecture labiale sont confuses.

Dans le syst`eme du Cued Speech, le locuteur ou l’utilisateur pointe des positions pr´ecises autour du visage en pr´esentant des formes (ou configuration) de main bien d´efinies. Les posi-tions de la main sont utilis´ees pour coder les voyelles tandis que les formes servent `a coder les consonnes. Cornett avait construit le syst`eme en se fixant deux crit`eres majeurs : le contraste visuel fourni doit ˆetre maximum tout en codant avec un effort minimum.

Ainsi, pour ´economiser l’effort, le nombre de configurations et de positions est limit´e de sorte que chaque position de la main identifie un groupe de voyelles, et que chaque configuration de la main identifie un groupe de consonnes. La version finale d´efinie par Cornett pour l’Anglais am´ericain s’appuie sur quatre positions de main et huit configurations ( quatre groupes de voyelles et huit groupes de consonnes, voir figure 1.3 ). Les phon`emes de chacun de ces groupes peuvent ˆetre diff´erenci´es par les l`evres. De mˆeme, les phon`emes qui seraient confondus entre eux au niveau labial seront distingu´es par l’utilisation des cl´es diff´erentes. Par exemple, les consonnes occlusives [p], [b] et [m] (qui ont la mˆeme forme aux l`evres) seront cod´ees respectivement par les configurations 1, 4 et 5. Ainsi, l’information de la main (position ou configuration) et la forme labiale permettent l’identification d’un percept unique.

D’un autre cot´e, la maximisation du contraste dans chaque groupe de phon`emes impose un regroupement ad´equat. Cornett a utilis´e les groupes de vis`emes ´etablis au pr´ealable par Woodward et Barber (1960) pour grouper les consonnes en ensembles visuellement contrast´es.

Les cas non trait´es par Woodward et Barber (1960) ont ´et´e class´ees par des choix empiriques.

Les tables de fr´equence ´etablies par Denes (1963) ont ´egalement servi au regroupement des phon`emes. L’utilisation de ces tables a pour objectif de minimiser l’´energie pendant le codage et de faciliter les mouvements de la main pour les combinaisons des consonnes les plus fr´equentes dans la langue. Ainsi, les consonnes les plus fr´equentes comme [m], [t] et [f] sont cod´ees par les configurations les plus faciles `a ex´ecuter et qui n´ecessitent le moins d’´energie, ici la configuration n˚ 5 pour notre exemple. Concernant les voyelles, vu que le groupement en vis`emes est d´elicat (notamment `a l’´epoque de la cr´eation du Cued Speech), Cornett s’est appuy´e sur des traits visuels comme l’ouverture, l’arrondissement et l’´etirement pour bien r´epartir les voyelles au sein de chaque position. Reste le cas des diphtongues, ils sont cod´es par des glides (glissements) de la main entre deux positions de voyelles. Dans certains cas comme pour coder le mot ”papa” o`u le code se r´ep`ete, l’ensemble main-bras effectue un mouvement avant-arri`ere pour indiquer une r´ep´etition du code. Finalement, les mouvements impliquant le codage duCued Speech peuvent ˆetre r´esum´es en 4 mouvements :

– Le d´eplacement de la main d’une position `a l’autre – Le changement de configuration de la main

– Le glissement entre deux positions pour coder les diphtongues

– Un mouvement l´eger d’avant arri`ere de l’ensemble bras-main pour indiquer une r´ep´etition du code

Dans le but de produire et transmettre les cl´es du Cued Speech `a un d´ebit proche de celui de la parole non cod´ee (Attina, 2005) rel`eve que le d´ebit d’une parole non cod´ee, est un peu moins de 5Hz), le Cued Speech est par d´efinition un syst`eme syllabique o`u la syllabe CV est

consid´er´ee comme l’unit´e fondamentale. Ainsi, la main dans un mouvement simultan´e pointe une position et pr´esente une forme pr´ecise pour fournir le code de la consonne C et celui de la voyelle V pour la syllabe CV. L’association de la position et de la configuration de la main permet `a l’interlocuteur (r´ecepteur), par exemple, de diff´erencier la syllabe [ma] de [pa] ou de [mi]. Dans les cas particuliers d’une consonne isol´ee ainsi qu’une voyelle isol´ee, une position et une configuration neutres ont ´et´e pr´evues. En effet, une consonne isol´ee est cod´ee par une main pr´esentant la forme correspondante et pointant la position cot´e, la position ”neutre”. De mˆeme, une voyelle isol´ee est cod´ee par une main en position correspondante avec la configuration n˚5, la configuration ”neutre”.

Fig. 1.3 – Cl´es manuelles duCued Speech con¸cu par Cornett pour l’anglais am´ericain.

Rappelons que pour r´esoudre la probl´ematique de l’ambigu¨ıt´e de la lecture labiale, plusieurs autres syst`emes manuels compl´ementaires ont ´et´e d´evelopp´es. Par exemple, Wouts (1982) a cr´ee l’Alphabet des Kin`emes Assist´es (AKA). C’est un syst`eme gestuel syllabique qui traduit chacun des mouvements bucco-faciaux identifiables (on les appelle des kin`emes) en une s´erie de gestes facilement reconnaissables qui sont cod´es `a cot´e de la bouche, mais qui de plus traduisent en mˆeme temps les mouvements de la phrase et de l’intonation. Chaque kin`eme comprend souvent plusieurs phon`emes. Il s’agit donc d’un codage des caract´eristiques articulatoires des phon`emes (chaque phon`eme a son code). S’appuyant sur une approche phon´etique, l’AKA favorise donc l’apprentissage des personnes sourdes au langage parl´e. L’inconv´enient de ce syst`eme est la

1.2. LA LANGUE FRANC¸ AISE PARL ´EE COMPL ´ET ´EE 31 complexit´e de son acquisition. En effet, l’apprentissage du AKA est plus complexe et n´ecessite beaucoup plus de temps. Ceci rend compliqu´e la tˆache des parents normo-entendants souhaitant communiquer avec leurs enfants sourds. A cet effet, une dizaine d’heures peut ˆetre suffisante pour apprendre le Cued Speech. La simplicit´e du Cued Speech est la principale raison qui a pouss´e Cornett `a abandonner l’approche bas´ee sur la phon´etique pour d´evelopper leCued Speech, malgr´e l’efficacit´e av´er´ee de l’approche ”phon´etique” chez les enfants sourds.

1.2.2 LPC : la version fran¸caise du Cued Speech

Le Cued Speech a ´et´e adapt´e `a plus de 60 langues et dialectes `a travers le monde entier, dont la langue fran¸caise. Le Cued Speech a ´et´e import´e en France vers 1977. Son adaptation a ´et´e d´enomm´ee la premi`ere fois le Langage Cod´e Cornett (L.C.C.). Puis, l’Association pour la promotion et le d´eveloppement du LPC (l’A.L.P.C.) l’a ´evolu´e vers Langage Parl´e Compl´et´e (le L.P.C.). Et r´ecemment le nom a chang´e en Langue fran¸caise Parl´ee Compl´et´ee (L.P.C.) afin d’insister sur le fait que le code LPC est bas´e compl`etement sur la langue fran¸caise.

H´erit´e du Cued Speech, le code LPC a maintenu les crit`eres principaux `a sa construction, `a savoir la maximisation du contraste visuel dans chaque groupe de cl´es LPC et la minimisation de l’effort. Le principe de fonctionnement reste ainsi le mˆeme. L’unit´e de codage est toujours la syllabe CV. Cependant, l’adaptation `a la langue fran¸caise suscite quelques changements par rapport au regroupement des phon`emes et au nombre de cl´es (voir figure 1.4). Pr´ecis´ement, cinq positions de la main sont utilis´ees pour coder les voyelles et huit configurations de la main sont utilis´ees pour coder les consonnes. Il n’y a par ailleurs aucun changement en ce qui concerne les r`egles pour les phon`emes isol´es : la position ”‘cˆot´e”’ reste toujours la position ”neutre” et la configuration n˚5 (main compl`etement d´eploy´ee) reste aussi la configuration ”neutre”. L’en-semble des mouvements mentionn´es pour le Cued Speech restent donc les mˆemes `a l’exception du glissement entre deux positions pour coder les diphtongues inexistants en Fran¸cais.

Enfin, il est tr`es important de mentionner que le code LPC s’appuie sur la transcription phon´etique de ce qui est prononc´e et non sur l’orthographe du mot. Ainsi, un locuteur com-municant avec des personnes sourdes code tout ce qu’il prononce (de la syllabe `a la phrase en passant par le mot), tout en tenant compte des liaisons entre les mots. Ceci permet donc de transmettre sans ambigu¨ıt´e ni confusion tous les contrastes phonologiques.

1.2.3 Efficacit´e du code LPC

1.2.3.1 Efficacit´e perceptive

L’int´erˆet du code r´eside dans son efficacit´e `a am´eliorer la perception de la parole. D’ailleurs, c’est la raison principale pour laquelle ce syst`eme a ´et´e invent´e. L’expansion du Cued Speech dans le monde entier par ses adaptations aux diff´erentes langues et son utilisation croissante dans plusieurs milieux (en famille ou `a l’´ecole), t´emoignent de l’efficacit´e de ce syst`eme pour une bonne r´eception de la parole. Le site internet de l’ALPC pr´esente des t´emoignages concrets de parents utilisant le code LPC pour communiquer avec leurs enfants sourds et qui atteste de l’apport perceptif du code LPC.

Fig. 1.4 – Cl´es manuelles du code LPC.

Sur le plan exp´erimental, plusieurs ´etudes ont ´et´e men´ees sur la r´eception des diff´erentes versions du Cued Speech dans le monde. Pour le Cued Speech, dans sa version originale nous pouvons citer les travaux de Ling et Clarke (1975), Clarke et Ling (1976), Nicholls et Ling (1982), et Uchanski et al.(1994). Pour la version fran¸caise du code nous trouvons par exemple les ´etudes de Charlier et al. (1990) et Alegria et al. (1999). Nous nous contentons par la suite de d´ecrire deux de ces travaux ((Nicholls et Ling, 1982) ; (Alegria et al., 1999)). La description des autres travaux est pr´esent´ee en annexe B.

Dans une ´etude consid´er´ee comme la premi`ere v´eritable ´etude syst´ematique relative `a la perception du Cued Speech, Nicholls et Ling (1982), testaient la r´eception dans sept conditions diff´erentes de plusieurs messages par 18 enfants sourds ˆag´es de 9 `a 16 ans. Les enfants participant, choisis parmi des ´el`eves sourds d’une ´ecole australienne o`u le Cued Speech ´etait pratiqu´e depuis une dizaine d’ann´ees, ´etaient expos´es au moins 4 ans au Cued Speech avant cette exp´erience.

Les messages per¸cus par ces sujets ´etaient de deux types. Il s’agissait soit de syllabes de type consonne-voyelle (CV) ou voyelle-consonne (VC) soit de mots cl´es dans des phrases. Les stimuli syllabiques ´etaient construits par la combinaison de 28 consonnes et les 3 voyelles [a], [i] et [u]. Les mots cl´es ´etaient ins´er´es `a la fin de phrases simples dans deux contextes s´emantiques : soit dans un contexte pouvant faciliter la pr´ediction du mot cl´e (High-Predictability, HP) ou non (Low-Predictability, LP). Par exemple, la pr´ediction du mot ”purse” peut ˆetre consid´er´ee comme facile dans le contexte ”Mum’s money is in her purse”. En revanche, la tˆache semble moins facile

Documents relatifs