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Des concepts et les outils se rapportant `a la gestion concert´ee de ressources naturelles ont ´et´e introduits dans la section pr´ec´edente. Il s’agit ici de resserrer le questionnement autour de la gestion de l’eau dans des bassins irrigu´es en France. On illustrera notre propos par une pr´esentation de la diversit´e des acteurs et des modes de gestion impliqu´es dans les dispositifs visant `a pr´eserver la disponibilit´e de la ressource sur un bassin.

2.1.1 Irrigation et gestion concert´ee de l’eau en France

Les actions de gestion concernant la ressource en eau visent `a r´esoudre des conflits d’usage, mener `a bien des projets d’am´enagement, ou encore d´evelopper une approche plus ´equilibr´ee, plus adaptative face `a des situations de crises (´etiages ou inondations).

D´efinitions

La loi sur l’eau de 1992 d´efinit la gestion ´equilibr´ee de la ressource en eau comme une gestion visant `a pr´eserver les ´ecosyst`emes aquatiques et les zones humides, assurer la pro- tection de la qualit´e de la ressource, et en promouvoir la valorisation ´economique pour r´epondre au mieux aux besoins et aux usages.

[Chocat, 1997] d´efinit la gestion int´egr´ee comme la recherche d’un ´equilibre entre milieu et usages par des actions techniques, institutionnelles, juridiques et/ou financi`eres par la coordination d’actions locales dans un cadre global.

Cadres r´eglementaires et contexte fran¸cais Avec le loi sur l’eau de 1992, l’eau devient

« patrimoine commun de la nation » . La « gestion ´equilibr´ee de la ressource en eau » est officiellement promue et des processus de d´ecision incluant l’ensemble des acteurs locaux d’un territoire, d´efini par une unit´e hydraulique consistante, sont favoris´es. A cette fin, de nouveaux outils r´eglementaires sont instaur´es :

– les SDAGE, Sch´emas Directeurs d’Am´enagement et de Gestion des Eaux, obligatoires et ´etablis par un comit´e de bassin pour chacun des six grands bassins versants fran¸cais19

« prennent en compte les principaux programmes arrˆet´es par les collectivit´es publiques et

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Ce sont les bassins couverts par les six agences de l’eau : Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhˆone-M´editerran´ee-Corse et Seine-Normandie

d´efinissent de mani`ere g´en´erale et harmonis´ee les objectifs de quantit´e et de qualit´e des eaux ainsi que les am´enagements `a r´ealiser pour les atteindre » 20.

Ce sont donc des documents cadres dont les objectifs g´en´eraux servent de balises lors de la mise en place de mesures de gestion sur des unit´es hydrographiques de taille plus restreinte, o`u les actions participatives se mat´erialisent ;

– les SAGE, Sch´emas d’Am´enagement et de Gestion des Eaux sont des documents ´elabor´es en concertation avec l’ensemble des acteurs d’un sous-bassin. Ils fixent les objectifs g´en´e- raux de gestion du milieu aquatique, ainsi que les actions `a mener pour y parvenir. Le SAGE a une port´ee juridique dans le sens o`u les d´ecisions prises par l’ ´Etat et les collec- tivit´es doivent ˆetre compatibles au document, mais il n’a pas de valeur obligatoire, ni de d´elai limite. Le SAGE n’apporte pas non plus de contribution financi`ere de l’´Etat. Le SAGE est ´elabor´e par une Commission Locale de l’Eau (CLE), coll`ege des collectivit´es locales, des usagers et des repr´esentants de l’ ´Etat. Il est ensuite approuv´e par le pr´efet, puis la CLE doit se charger du suivi de son application.

La taille des territoires des SAGE est assez vari´ee. Le texte pr´ecise juste que ce doit ˆetre une unit´e autobiographique coh´erente, `a un niveau plus local que le SDAGE.

Le dispositif des SAGE vient compl´eter et a ´et´e nourri de l’exp´erience acquise autour du dis- positif des contrats de rivi`ere. Cr´e´es en 1981, les contrats de rivi`ere sont des engagements contractuels sur 5 ans `a mettre en œuvre des actions programm´ees par une n´egociation locale et agr´e´ees par les repr´esentants de l’ ´Etat. La signature d’un contrat de rivi`ere donne lieu `a un financement de l’ ´Etat, mais n’a pas de valeur r´eglementaire et ne peut concerner que des actions donnant lieu `a une maˆıtrise d’ouvrage. Si le SAGE apparaˆıt comme un outil de r´eflexion global, le contrat de rivi`ere est moins large, mais pr´esente des aspects plus op´erationnels. Depuis la loi sur l’eau de 1992, la proc´edure de mise en place d’un contrat de rivi`ere est simplifi´ee dans le cas d’un SAGE approuv´e : le contrat de rivi`ere est appel´e `a devenir la traduction op´erationnelle privil´egi´ee du SAGE. Ainsi, l’´evolution des actions de gestion dans le sens d’une territorialisa- tion et d’une implication accrue des acteurs concern´es s’illustre en France par l’´emergence, au long des 20 derni`eres ann´ees, d’institutions de bassin mettant en place ces proc´edures de gestion participative. [Allain, 2001]

Le SAGE ne faisant que fixer des objectifs `a moyen terme et des actions globales, sa mise en œuvre passe par d’autres lieux de concertation plus sp´ecialis´es ou plus locaux, impliquant d’autre acteurs que les membres de la CLE, o`u se n´egocient les modalit´es de mise en œuvre des actions.

Le cadre applicatif de la th`ese sera constitu´e par les discussions entre acteurs visant `a d´efinir des modalit´es permettant d’atteindre les objectifs fix´es vis `a vis de l’irrigation et de la gestion des ´etiages dans le SAGE de la rivi`ere Drˆome.

La Directive Cadre Europ´eenne de 2000 vient confirmer ces orientations en soumettant toute action de gestion de l’eau `a la participation du public et en recommandant l’implication des acteurs, ainsi qu’une gestion `a l’´echelle du bassin.

Gestion concert´ee et irrigation L’irrigation constitue un usage majeur de la ressource en eau, de par l’importance des ses pr´el`evements, mais aussi `a cause de la sp´ecificit´e du monde

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agricole et de sa capacit´e de mobilisation et de lobbying fortes vis `a vis des pouvoirs publics. L’irrigation a ´et´e un facteur cl´e de l’intensification agricole et a, `a ce titre, longtemps b´en´efici´e d’un appui fort de la part de l’ ´Etat. Ainsi, les surfaces irrigu´ees en France ont doubl´e entre 1976 et 1995.

Cet appui s’est accompagn´e d’une politique d’accroissement de l’offre par la mise en place d’am´e- nagements. Cette gestion est all´ee de pair avec un arsenal de mesures `a court terme pour faire face `a des situations de crise ou de d´es´equilibre : arrˆet´es pr´efectoraux d’interdiction de pr´el`eve- ment, mal accept´es et mal contrˆol´es ou mise en place d’obligations de d´eclaration de pr´el`evement ent´erinant souvent des situations de d´es´equilibre.

Ces mesures portent par ailleurs sur des territoires administratifs, dont les fronti`eres sont diff´e- rentes de celles des bassins. Elles sont de plus fr´equemment contourn´ees par un sur´equipement des agriculteurs. Malgr´e des am´eliorations, assolements et pratiques restent un sujet tabou dans les ar`enes de concertation, si bien que la demande n’est jamais remise en question.

Avec l’arriv´ee des SAGE et l’´emergence d’actions de gestion concert´ee, l’objectif devient d’ajuster la demande `a l’offre disponible en am´eliorant efficience de l’irrigation et allocation des ressources. [Garin et al., 2000]

2.1.2 Caract´eristiques des syst`emes irrigu´es

L’irrigation couvre des r´ealit´es tr`es vari´ees. On peut commencer par diff´erencier irrigation individuelle, o`u les ´equipements de captage et de distribution de l’eau appartiennent `a l’agricul- teur, et sont utilis´es librement dans le cadre des autorisations de pr´el`evement locales, et irrigation collective, o`u la distribution de l’eau `a l’agriculteur est r´ealis´ee via un p´erim`etre irrigu´e appar- tenant et g´er´e par une institution. L’agriculteur est alors contraint dans son utilisation de l’eau par les r`egles collectives de l’institution. En France, 60% des terres irrigu´ees le sont `a partir d’´equipements individuels [Bouleau, 2001].

L’irrigation collective peut prendre des formes diverses, tant physiquement que socialement. Ainsi, physiquement, les p´erim`etres irrigu´es peuvent varier :

– par la taille et structure du r´eseau de distribution – par le mode de distribution : gravitaire ou sous pression

– par le mode de captage de l’eau : d´erivation d’une rivi`ere, r´eservoir, rempli quotidien- nement ou annuellement, pompage dans une rivi`ere ou dans une nappe, captage d’un karst. Un mˆeme r´eseau peut combiner diff´erents modes de capture.

Et socialement, les p´erim`etres irrigu´es peuvent varier :

– par l’institution responsable de la gestion du r´eseau : administration nationale ou r´egionale, structure communale ou intercommunale, entrepreneur priv´e, groupe d’usagers. Des institutions diff´erentes peuvent ˆetre en charge de diff´erentes fonctions d’un p´erim`etre irrigu´e (e.g. gestion financi`ere et administrative et gestion technique). Le fonctionnement du p´erim`etre sera tr`es diff´erent selon que le gestionnaire est une grande soci´et´e d’am´e- nagement, ou bien une association d’usagers. Dans ce dernier cas, les r`egles d’allocation s’adapteront plus facilement aux sp´ecificit´es individuelles, mais le contrˆole social sera plus fort.

– par le mode de calcul des redevances : avec partie forfaitaire ou non, selon le volume utilis´e ou pas.

– par les r`egles d’allocation de l’eau utilis´ees : – `a la demande

– programmation quotidienne centralis´ee – partage du d´ebit

– tour d’eau : et alors fonctionnement de la rotation

On retrouve la mˆeme diversit´e des modes de captage dans l’irrigation individuelle. Mais les agriculteurs recourant `a ce type d’irrigation se retrouvent directement soumis aux r´eglementa- tions pr´efectorales, `a moins de s’ˆetre constitu´es en association. Ce n’est qu’alors que l’irrigation individuelle peut devenir un interlocuteur dans les concertations sur l’am´enagement de modalit´es de gestion de l’eau `a l’´echelle d’un bassin.

2.1.3 Acteurs de la gestion de l’eau agricole

Outre les agriculteurs et les organisations en charge de la gestion des p´erim`etres irrigu´es, on peut identifier d’autres acteurs qui interviennent directement dans la gestion de l’eau agricole [Montginoul, 1997] :

– l’ ´Etat qui est garant de l’int´erˆet g´en´eral. Son intervention la plus directe se fait `a travers les arrˆet´es pr´efectoraux d’interdiction d’irriguer, mais il se manifeste aussi `a travers la police des eaux, et les SAGE ;

– des soci´et´es de gestion de grands am´enagements, publiques ou priv´ees, peuvent interve- nir `a travers une r´eglementation ou une contractualisation des pr´el`evements agricoles sur leurs ouvrages. Ces soci´et´es traitent alors avec des gestionnaires de p´erim`etres irrigu´es, ou bien directement avec des irrigants individuels ;

– les Agences de l’Eau qui pr´el`event des redevances li´ees `a la quantit´e des pr´el`evements et aux pollutions engendr´ees. Mais le faible niveau de ces redevances n’en fait pas des mesures incitatives.

Mais la gestion de l’eau agricole ne constitue pas un syst`eme isol´e, et d’autres acteurs peuvent intervenir indirectement notamment en influant sur les pratiques des agriculteurs : entreprises fixant des normes sur la production de cultures sous contrats, syndicats ou organisations pro- fessionnelles, coop´eratives offrant des d´ebouch´es aux productions ou un acc`es `a des machines collectives, ou simples associations informelles o`u se fait un partage d’´equipement ou d’informa- tion.... De plus, les proc´edures de gestion int´egr´ee contraignent le monde agricole `a s’ouvrir vers des acteurs dont les usages ont gagn´e en l´egitimit´e (pˆeche, environnement, tourisme...).

2.1.4 Instruments de gestion de l’eau agricole

Diff´erents types d’instruments de gestion peuvent influer sur la gestion de l’eau agricole [Gleizes, 1999,Feuillette, 2001] :

– outils techniques :

– outils visant `a accroˆıtre la disponibilit´e de la ressource : mise en place de retenues, modernisation des r´eseaux de distribution ;

– outils visant `a agir sur la demande :

– outils de r´egulation des pr´el`evements : modernisation de l’irrigation au niveau de la parcelle (e.g. micro-irrigation) ou au niveau de la prise d’eau (e.g. limitateurs, vannes) ; – outils de mesure et de contrˆole : compteurs, tableaux de bord ;

– outils d’information : tableaux de bord, sensibilisation, conseil ;

– outils r´eglementaires. Ce sont les r`egles prescrivant les droits d’acc`es, impos´ees ou n´e- goci´ees, et s’appliquant `a un certain groupe d’usagers :

– normes sur des techniques ou des pratiques (issues d’organisations professionnelles ou de contrats de culture par exemple) ;

– droits d’eau : ces droits peuvent ˆetre d´efinis en d´ebit, en volume, en temps pour les usagers d’un p´erim`etre irrigu´e ;

– obligations de d´eclaration de pr´el`evement, arrˆet´es pr´efectoraux d’interdiction de pr´el`eve- ment. Dans ces cas l`a les mesures portent sur l’ensemble des usagers d’une circonscription administrative ;

– outils ´economiques :

– propres `a des contrats de gestion entre gestionnaires d’une ressource et pr´eleveurs : quotas, syst`eme de tarification ;

– incitations financi`eres : Contrats Territoriaux d’Exploitation ou mesures agri-environnementales par exemple.

Ces mesures, de natures tr`es diff´erentes, peuvent bien entendues ˆetre combin´ees. Elles s’ap- pliquent `a des ´echelles d’intervention vari´ees, dans le temps et dans l’espace, et `a des groupes d’acteurs d´efinis de mani`eres diverses.