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La gestion différentielle des illégalismes environnementaux

CHAPITRE 5 | DISCUSSION ET CONCLUSION

5.2. Un cadre législatif d’apparence redoutable éprouvé par une mise en application

5.2.2. La gestion différentielle des illégalismes environnementaux

Devant les nombreuses contraintes rencontrées par Environnement Canada depuis sa création, la présente étude affirme que ces dernières ont possiblement amené les agents de régulation — un peu par réaction — à adopter un traitement différentiel lors de l’application de la loi. Il s’agit d’une observation conséquente avec un courant théorique important dans le domaine de la criminalité organisationnelle et financière — mais très peu utilisé dans le domaine de la criminalité environnementale — à savoir la notion de gestion différentielle des illégalismes (Acosta, 1988; Amicelle, 2013; Fischer et Spire, 2009; Lascoumes et Nagels, 2014). Ces chercheurs allèguent l’existence d’un traitement différentiel auquel peuvent être soumis certains types de contrevenants ou types de délits, dans les dossiers saisis par les autorités. Cela a par conséquent des répercussions sur le choix des mesures répressives pour traiter les cas de non- conformité et ainsi influencer ultimement la décision de renvoyer ou non ces dossiers aux instances pénales. Ce processus différentiel peut notamment varier selon la nature du délit, des ressources humaines et financières disponibles pour détecter et enquêter sur les infractions, de l’impact des activités des entreprises sur le développement économique, du rapport de proximité des entreprises accusées avec le politique, ou bien du degré d’incertitude à l’égard de

l’application de certaines sanctions (Lascoumes et Nagels, 2014; Fischer et Spire, 2009; White, 2010).

Dans le cadre de l’analyse effectuée dans la présente étude plusieurs indications laissent effectivement présager l’existence de cette gestion différentielle dans les dossiers traités par Environnement Canada.

Tout d’abord, cette gestion différentielle s’actualise possiblement avant l’adoption de la LCPE (1999) par un recours quasi systématique aux avertissements lorsqu’une infraction est relevée par les agents de régulation. En effet, avant le début des années 2000, les agents chargés de faire appliquer la loi disposaient seulement de deux mesures pour faire observer les lois environnementales soit de remettre des avertissements ou d’intenter des poursuites. Ainsi, comme le met en lumière le témoignage d’un fonctionnaire lors de l’examen de la LCPE (1988) l’application stricte et punitive dans les cas de non-conformité à la loi, soit par l’entremise des poursuites pénales, était jugée comme trop sévère (ENVI, 1995). Ainsi, devant le peu de moyens mis à leur disposition, les agents de régulations préféraient miser sur les sanctions peu contraignantes (avertissements) et utiliser des processus de négociations pour amener les entités réglementées à se conformer à la LCPE. Cela était motivé grandement par la peur de perdre les liens qu’ils avaient cultivés avec ces dernières (Acosta, 1988; ENVI, 1995; Grandbois, 1988).

Puis, sous la période du gouvernement Harper, on assiste à un changement d’approche à l’égard de la promotion de la conformité qui a amené Environnement Canada à se concentrer essentiellement ses efforts sur les petites et moyennes entreprises (500 employés et moins), ce qui a eu indéniablement une répercussion au niveau de l’application des mesures lors de la non- conformité à la LCPE. En effet, lorsqu’on se penche plus systématiquement sur ce qui est sanctionné ainsi que les raisons sous-jacentes à ces décisions, les constats suivants s’imposent : 1) les petites entreprises sont effectivement les plus ciblées par les sanctions; 2) les interventions menant à des poursuites pénales sont survenues à la suite d’une urgence environnementale et non pas à la suite d’activités préventives plus soutenues; 3) la majorité des sanctions ont été prises en fonction de règlements portant certes sur des « menaces » ayant des effets sur l’environnement, mais qui n’ont pas eu d’impacts majeurs sur l’environnement, au point que

leur répression ne fait pas nécessairement en sorte que les problèmes environnementaux progressent moins rapidement. Ce triple constat suggère par conséquent l’existence d’un traitement différentiel dans les dossiers saisis par Environnement Canada durant la période où le gouvernement Harper a été au pouvoir.

Plusieurs raisons sont évoquées dans la littérature pour expliquer cette tendance des agences de régulation à poursuivre davantage les petites et moyennes entreprises. D’une part, comme le fait remarquer Fortney (2003), à cause de leur structure organisationnelle moins complexe, il est beaucoup plus facile de détecter les dérogations aux lois environnementales et de prouver l’intention criminelle de ces contrevenants. D’autre part, ces entreprises ont une moins grande capacité à se défendre en comparaison aux grandes entreprises, qui disposent de ressources légales et financières considérables pour contester les poursuites criminelles (White, 2010; Winfield, 2009). Or, c’est habituellement les grandes entreprises, par leur capacité d’action plus grande et souvent internationale, qui génèrent les dommages environnementaux les plus importants (White, 2010).

Dès lors, en adoptant une approche qui vise davantage sur ce type d’entreprise qui pose un défi moins grand au niveau de la surveillance et de la conformité sous la période du gouvernement Harper cela pourrait possiblement expliquer la hausse historique des activités de contrôle ainsi que le recours plus grand aux sanctions. À cet égard, il est important de préciser que cette hausse ne peut être expliquée par un plus grand nombre de règlements adopté sous cette période ou bien un plus grand nombre d’agents de régulation étant donné que leurs nombres respectifs sont restés relativement stables. Par conséquent, ce traitement différentiel dans les dossiers traités par Environnement Canada pourrait également correspondre à un effort stratégique du gouvernement conservateur de Harper afin de montrer un meilleur bilan écologique. Ainsi, en présentant des statistiques officielles illustrant une plus grande activité fédérale en matière de protection de l’environnement — tant sur l’aspect punitif que sur celui de la surveillance — il devenait plus facile pour le gouvernement Harper de justifier la pertinence de leur approche tant décriée en matière environnementale.

5.3. Les nombreux défis qui guetteront le Canada dans les années à