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B. Concernant les difficultés rencontrées

1. La dimension individuelle

Certains médecins interrogés expliquent que l’identification et la compréhension des difficultés liées au patient dans le processus de reprise du travail après un ATLD est complexe et nécessite que le patient soit évalué dans sa globalité.

L’analyse thématique du verbatim a permis de mettre en évidence un modèle Organe Patient Environnement (OPE) qui est une présentation pratique du concept diagnostic de situation du modèle OPE de L. Lévy (53). Dans ce modèle, la porte d'entrée du raisonnement n'est plus la maladie à diagnostiquer mais la situation problématique avec ses composantes organique, personnel (psycho-relationnelle), environnementale et leurs interactions. Il s'agit d'évaluer le patient avec une approche bio-psycho-sociale.

La santé n'est plus seulement l'absence de maladie, mais l'équilibre et l'harmonie de toutes les possibilités de la personne humaine, biologique psychologiques et sociale.

L’organe selon le modèle OPE

- Les groupes de pathologies cités par tous les médecins interrogés comme étant à l'origine de difficultés à la reprise des patients en ATLD sont les pathologies ostéo-articulaires, principalement représentées par les atteintes rachidiennes, des épaules et des troubles musculo squelettiques et les pathologies psychiatriques représentées par la dépression, les troubles anxieux, les syndromes d'épuisements et le burn-out.

Ces résultats sont comparables à l’étude Malakoff de 2019 (24) qui montrait que les arrêts de longue durée étaient essentiellement dus à un accident ou traumatisme (25 %), à des troubles psychologiques ou un épuisement professionnel (24 %) ou à des troubles musculosquelettiques (TMS) (23 %).

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Ces résultats convergent également avec l’étude réalisée en Ille-et-Vilaine par Ruello qui retrouve ces deux principales pathologies responsables de difficultés inhérentes à la prescription d’arrêt de travail par les médecins généralistes (44).

Elles présentent pour les médecins interrogés les difficultés suivantes :

- La douleur qui pose le problème de son évaluation et qui est le principal symptôme présent dans les pathologies ostéo-articulaires. Cette plainte est subjective, tout comme son évaluation et son interprétation. Les données issues du congrès national de santé au travail de juin 2014 sur la prévention de la désinsertion professionnelle montre que les éléments à l’origine d’arrêts de travail initiaux sont des facteurs biomédicaux, comme la douleur et l'impotence fonctionnelle, responsable de l'incapacité de travail alors qu'avec le temps, la part psychosociale dans l'incapacité de travail prend une place importante en comparaison à la part somatique. Ceci est lié en grande partie aux références implicites des praticiens au modèle biomédical (54).

- Concernant la pathologie psychiatrique, les médecins interrogés expriment qu'elle apparaît chez des individus avec une fragilité psychologique constitutionnelle à la suite d’un facteur déclenchant d'origine bio-psycho-social. Elle est responsable d’arrêts de longue durée et de rechutes. Son évaluation, au même titre que la douleur, et sa prise en charge sont également difficiles. Ces éléments sont retrouvés dans l’étude de Saint-Arnaud et al. sur la désinsertion professionnelle à la suite d’un arrêt de travail pour un problème de santé mentale (55).

La personne selon le modèle OPE

Le patient a une importance capitale dans le processus de reprise après un arrêt de longue durée. Ainsi le manque d'investissement et de volonté du patient, cités par une majorité de médecins interrogés, sont responsables de difficultés à la reprise du travail. Ces résultats sont comparables aux travaux de Descazaux (56) ainsi qu’aux résultats de l’étude lorraine de 2016 sur le maintien en emploi (40), qui considèrent que la réussite de toute démarche de maintien en emploi requiert une implication active du patient, qui est de ce fait l'acteur central.

La personnalité, les motivations, les croyances et les peurs du patient sont autant d'éléments mis en avant par les médecins interrogés pouvant être à l'origine de difficultés à la reprise du travail après un arrêt de longue durée.

Tous ces éléments ont une influence sur la représentation et le vécu que le patient a de sa maladie, de son handicap, sur l'évolution du processus de deuil de l'état de bonne santé antérieur. L'interprétation du patient de ces capacités, et ce indépendamment de la lourdeur de la maladie, est à l'origine de peur et d'inquiétude quant à son avenir professionnel et sociétal.

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Ces résultats sont retrouvés dans les recommandations de bonne pratique concernant la surveillance médico-professionnelle du risque lombaire pour les travailleurs exposés à des manipulations de charges (57). En considérant la lombalgie selon un modèle biopsychosocial, les caractéristiques biomécaniques seraient moins importantes que la représentation (appelée « peurs et croyances » dans la littérature anglo-saxonne) que se font les travailleurs des risques encourus, de leurs conditions de travail et du climat social dans les phénomènes de chronicité de la lombalgie. Ce modèle est important car il permet de mieux théoriser les phénomènes de chronicité et d’incapacité lombalgique qui mettent en défaut le modèle biomécanique lésionnel de la lombalgie.

L’apparition à un âge tardif ainsi qu’un niveau socio-culturel bas, en particulier dans la pathologie ostéo-articulaire, sont responsables de difficultés de reclassement et formation professionnelles selon les médecins de notre étude. Ce sont des procédures longues qui nécessitent un bagage intellectuel suffisant pour bénéficier d'un enseignement et envisager une réorientation dans une profession non manuelle (39). Ces résultats sont également retrouvés dans les travaux de thèse de Descazaux (56) et Ruello (44).

L’environnement selon l’OPE

- L'ENVIRONNEMENT PROFESSIONNEL :

Les médecins interrogés ont déclaré que les activités professionnelles physiques, représentées par les activités manuelles, les travaux de manutentions ou les métiers aux mouvements répétitifs sont de nature à favoriser ou provoquer des pathologies ostéo- articulaires.

La reprise est rendue difficile si l'activité favorisant ou provoquant la pathologie et symptômes ne peut être corrigée. Pour la réintégration professionnelle, l'adaptation de poste nécessite que le poste soit aménageable et que l'employeur soit d'accord. Les mesures de réorientation professionnelle et de reclassement sont limitées, comme citées précédemment, par le niveau socio-culturel et l’âge tardif d'apparition des troubles.

Ces résultats coïncident avec les données issues du congrès national de santé au travail de juin 2014 : « Sur le plan professionnel, les facteurs biomécaniques et les facteurs

psychosociaux exercent une forte influence sur le résultat du processus. Un travail physique lourd et l’exposition à des contraintes bio-mécaniques constituent des facteurs prédictifs négatifs, d’autant plus que les possibilités d’aménagement de poste sont restreintes. De plus, un contexte professionnel psychosocial défavorable est un facteur retardant le retour au travail. » (54).

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L'étude de la DARES de 2004 constate également le lien entre le niveau d'études, la catégorie socio-professionnelles et le type de pathologie des patients en arrêt de travail de longue durée (58). Ces données sont aussi retrouvées dans l'étude toulousaine de Descazaux sur la prévention de la désinsertion professionnelle (56).

Les médecins déclarent également que, lorsque la pathologie est d'origine professionnelle et déclarée comme telle, c'est-à-dire en accident de travail ou en maladie professionnelle, elle est responsable de difficultés plus importante à la reprise. Elle offrirait une meilleure indemnisation au patient. Ceci soulève l’existence de facteurs économiques ayant un impact sur la reprise du travail. Cela coïncide avec les travaux de Pichené-Houard : « Le

délai de retour au travail est d’autant plus court que le niveau des revenus du ménage est faible et d’autant plus long que les indemnités d’incapacité de travail sont élevées et prolongées. » (54).

Les risques psychosociaux sont décrits par tous les médecins généralistes interrogés. Ils se présentent généralement sur un tableau de souffrance ou de conflit au travail responsable de pathologies psychiatriques comme la dépression, le syndrome d'épuisement ou burn- out, de pathologies ostéo-articulaires de type TMS ou encore des pathologies cardio- vasculaires. Ces risques sont liés à un monde du travail devenu difficile et exigeant, guidé par des impératifs économiques et de performance. Ils sont également liés au manque de reconnaissance socio-économique du travail et à l'offre d'emploi insuffisante qui ouvre peu de possibilité de changement. Ces résultats sont corroborés dans la thèse de Begue sur la prise en charge de la souffrance psychique au travail par les médecins généralistes (59). Ainsi, nos résultats sont étayés par l'étude de Vallier et al. qui retrouvait que les ouvriers et les employés en arrêt de travail de deux à quatre mois avaient comme principales pathologies les maladies du système ostéo-articulaire tandis que les cadres et professions intellectuelles supérieures et des professions intermédiaires étaient en arrêt de travail pour des troubles mentaux (60).

- L’ENVIRONNEMENT DE L’ARRET DE TRAVAIL :

Les médecins interrogés ont déclaré que le risque de désinsertion professionnelle dépendait de la durée de l’arrêt. Nos résultats sont corroborés par ceux de l’ANAES (13) ainsi que ceux de Pichené-Houard (54) : « Les chances de reprise du travail dans la même entreprise

sont inversement proportionnelles à la durée d’absence : moins de 50 % dans le cadre d’un arrêt de 3 à 6 mois, moins de 20 % dans le cadre d’un arrêt de plus d’un an et moins de 10 % dans le cadre d’un arrêt de plus de 24 mois. »

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