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La configuration spatio-organisationnelle du chantier, une genèse instrumentale

Chapitre 1. L’espace de l’activité : une construction conjointe de l’activité et de

III.2 Les configurations spatiales de l’activité de tri

IV.1.1 La configuration spatio-organisationnelle du chantier, une genèse instrumentale

Le travail des agents est réalisé au sein de « chantiers » matérialisant des

configurations spatiales évolutives dans le temps. Un chantier est un dispositif spatial

et organisationnel comportant une équipe d’agents, les matériels et les produits à

traiter dans un temps imparti. Il témoigne d’une réappropriation de la contrainte

temporelle par les agents qui la traduisent spatialement dans un dispositif technique

qui mobilise le cadre bâti et les différents objets physiques (équipements, matériels et

signalétiques). Le chantier se décline en un dispositif artefactuel matériel

(agencement spécifique de matériel roulant adossé à des éléments du bâtiment ou aux

machines) et organisationnel (ordonnancement spécifique des lots, leurs états et

priorités selon un ordre étroitement lié aux coupures à respecter par les agents).

Le chantier est un dispositif associé à un schème organisateur de l’activité. Ce

schème est un construit local par les équipes en place résultant de la prise en compte

de trois invariants organisationnels :

- (i) L’articulation des contraintes du réseau de transport au niveau national

(avions, TGV ou camions) aux particularités géographiques du sous-réseau

(camions ou petits utilitaires). Les équipes organisent le chantier dans une

configuration spatio-temporelle répondant aux modalités d’arrivée et de départ

des flux à destination et au départ du centre selon le mode de transport adopté. En

fonction, le conditionnement varie et conduit les agents à ajuster des éléments du

système artefactuel (conteneur paquets, structure à bacs à lettres ou sacs) à

organiser dans l’espace (contre un mur, autour d’un poteau, devant une

machine...).

- (ii) La pression temporelle se traduisant pour les agents par une tension entre la

nécessité d’éviter les restes (il s’agit pour eux de faire passer au tri un maximum,

voire, l’ensemble des lots à trier), et l’obligation de respecter les horaires de

coupure (c’est-à-dire décider d’arrêter l’activité de tri pour organiser le départ des

lots triés). Le chantier est une configuration organisationnelle particulière. Les

lots urgents sont disposés devant les agents avec un accès aisé à la manipulation,

les autres sont hiérarchisés par ordre de priorité derrière ou à côté, les lots non

urgents sont à ranger en encours (à reprendre ultérieurement) ou en stocks (en vue

d’une reprise par une autre équipe le lendemain ou à une autre tranche horaire).

- (iii) Les contraintes techniques liées aux caractéristiques des objets triés et aux

particularités des dispositifs de tri. Le chantier est un dispositif organisationnel

visant l’homogénéisation des lots selon les critères du système technique propre

au centre. Chaque typologie de machine exige une préparation spécifique des

lots : mode de présentation des plis, séparation entre le produit mécanisable et le

non mécanisable, des conteneurs adaptés.

Ces trois critères (géographie, temps et technique) se déclinent de façon

singulière dans la situation locale de chaque centre (figure 8).

Figure 8. Invariants organisationnels lors de l’activité de construction du chantier.

Figure 8. Organizational invariants for the construction of the site.

La construction par les agents eux-mêmes du chantier est une réponse

spatio-temporelle à des invariants organisationnels qui se traduit de façon particulière dans

chaque centre en une activité constructive au sens de Samurçay et Rabardel (1995).

Les agents, au travers de la construction du chantier, se donnent les moyens de leur

action. Le chantier est une matérialisation spatio-temporelle intégratrice des

invariants organisationnels. Il est le résultat d’une conception organisationnelle dans

l’usage (Rabardel, 1995 ; Vicente, 1999, mentionné par Béguin et Cerf, 2004) par et

au service de l’activité et ses finalités. Il est une trace spatiale des régulations et

compromis opératoires réalisés par les agents dans les choix spatiaux et

organisationnels dans une visée d’efficacité de leur action.

Le chantier, en tant que dispositif matériel et organisationnel, est un instrument

dans la réalisation de l’activité (figure 9).

Figure 9. Approche instrumentale de l’espace.

Figure 9. Instrumental approach of space.

De ce point de vue, construire le chantier constitue une activité à part entière

permettant l’action dans la situation de travail singulière dans chaque centre. C’est

une activité méta-fonctionnelle (Falzon, 1994) permettant la performance du travail.

Le chantier, un espace physique adossé à une organisation, est créé dans le déroulé de

l’activité. Il circonscrit l’action des équipes dans l’objectif d’un optimum à atteindre,

« un reste zéro à la coupure ».

Un lien peut ici être réalisé avec l’étude sur les centres de tri mentionnée

précédemment et notamment pour comprendre l’écart des résultats de performance

entre sites anciens et plus récents.

Dans les centres construits sur un modèle spatial récent (hall industriel), la

disposition des chantiers a été prescrite par l’organisation au travers de l’affectation

des zones et d’une signalétique. Le critère technique lié aux spécificités des machines

est à l’origine de la conception de la disposition des différents chantiers.

L’agencement des chantiers a été réalisé sans que les agents aient pu reconstruire de

nouveaux repères pour intégrer les impacts engendrés par la relocalisation et la

construction d’un nouvel édifice en zone industrielle sur un autre modèle d’espace.

Ce nouveau contexte déstabilise les agents dans la déclinaison des invariants

organisationnels (géographique, temporel et technique) et affecte par conséquent les

schèmes organisateurs de l’activité. Ils sont à reconstruire par les équipes par une

suite de structurations successives et itératives de l’espace de leur activité à partir des

trois invariants organisationnels mis à l’épreuve dans l’action de construction du

chantier. La situation est particulièrement délicate au niveau des chantiers totalement

construits et déconstruits par l’activité en amont et en aval du traitement sur machine

ou casiers de tri. En effet, contrairement aux agencements à proximité des machines

qui permettent de retrouver des repères se calant sur les exigences techniques de

chacune des machines de tri, les agents sur les quais sont déstabilisés dans leurs

actions. Ils réalisent le travail de tri, mais parviennent difficilement à répondre aux

objectifs de la production (qualité et productivité). Ils rencontrent des difficultés à

« être au pair » avec « des restes zéro à la coupure » et de nombreuses « fausses

directions » sont signalées.

La dimension matérielle de l’espace sur chantiers à proximité des quais se limite

à quelques chariots roulants qui dans les anciens centres sont disposés dans un ordre

et un lieu choisis par les équipes en fonction des particularités du bâtiment, des

besoins de leur activité et en intégrant les exigences de la production. Autour des

machines ou des casiers de tri, le travail sur les chantiers est moins déstabilisé. La

dimension matérielle des machines s’impose. Les zones dédiées à l’activité sont

adossées au repère du système technique (la machine ou les casiers). Les lots étant

plus homogènes, car traités par les chantiers en amont ou en aval du processus de

production, la logique technique constitue sur ces chantiers, situés généralement à

l’étage dans les anciens centres, mais de plain-pied dans les nouveaux, un repère fort

pour la constitution de l’agencement spatial. Les chantiers de ventilation et

d’homogénéisation au niveau des quais sont quant à eux totalement à construire par

l’activité des équipes qui manipulent les matériels roulants. Ils sont en amont et en

aval des chantiers mécaniques et les invariants organisationnels y sont plus nombreux

et imbriqués.