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La CIRH : la prise en main de la reconstruction 65 

La CIRH est sans doute l’élément le plus révélateur de la mainmise par l’extérieur de la chose publique haïtienne. Sa tâche consiste essentiellement dans l’approbation des propositions des projets qui répondent aux besoins établis par le PARDN. Puisqu’elle est censée agir dans la phase d’urgence — initialement prévue pour durer 18 mois —, elle bénéficie « […] des pouvoirs nécessaires en vue d’exercer efficacement sa mission » (PARDN 2010, p. 52). « Co-

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Le PARDN ajoute ainsi que « […] les investissements directs étrangers et nationaux seront déterminants pour assurer la relance de l’économie haïtienne. L’État s’engage à favoriser ces investissements par la révision du cadre légal et financier régissant les investissements dans les secteurs de la production, de la transformation, de la distribution et des services. Une politique d’incitation adéquate sera aussi élaborée pour favoriser notamment l’implantation d’industries manufacturières, de zones franches, de parcs industriels et de zones de développement touristique » (PARDN 2010, p. 26).

présidée » par le Premier Ministre haïtien Jean-Max Bellerive et l’Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies et ancien président des États-Unis, Bill Clinton, cette Commission constitue la preuve la plus évidente du « partage de la direction du pays » entre le gouvernement et la communauté internationale.

Soulignons, par ailleurs, que la formule de deux co-présidents, un haïtien et un étranger, est loin de refléter un quelconque équilibre. En effet,

« […] l’ex-président américain peut compter sur les forces dont il dispose sur le terrain (les soldats de la MINUSTHA et l’important personnel onusien déployé en Haïti par les diverses agences de l’ONU actives en Haïti). En outre, la centralisation de l’administration de l’aide à la reconstruction, la détermination des pays donneurs à la contrôler, la dépendance financière totale du gouvernement haïtien en plus du rôle prépondérant des Américains en Haïti font de l’ex-président Clinton le pôle dominant de ce tandem » (Holly 2011, p. 203).

L’inégalité des rapports de force est claire d’autant plus que la structure qui assiste les co- présidents de la CIRH se compose, au moins dans un premier temps, de 20 membres dont 17 avec un pouvoir de vote, parmi lesquels 12 sont des représentants des bailleurs de fonds102. Cependant, la composition a été revue par la suite pour faire en sorte que les membres de la CIRH aient un droit paritaire103. Encore, ne faut-il pas se tromper : la condition de dépendance d’Haïti vis-à-vis des bailleurs de fonds fait que les décisions importantes concernant la reconstruction sont prises par ces derniers. (Holly, 2011).

Reste que le pouvoir de la CIRH est tel, que « l’Arrêté présidentiel du 22 avril 2010 » fait de cet organisme le principal gestionnaire de l’économie haïtienne (voir annexe 6). Ainsi, elle n’est pas seulement chargée de « […] rechercher la planification et la mise en œuvre coordonnées, efficaces et efficientes de priorités, de plans et de projets à l’appui de la reconstruction et du développement d’Haïti […] », elle a aussi le pouvoir de définir les priorités du développement. Mieux encore, elle peut faciliter « […] l’octroi des permis, des titres de propriété et autres approbations nécessaires aux projets de développement

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Parmi les pays et organismes donateurs ayant un représentant au sein du Conseil de la CIRH se trouvent : le Canada, le Brésil, l’Union européenne, la France, les États-Unis, le Venezuela, la Banque interaméricaine de développement (BID), les Nations unies, la Banque mondiale et la Communauté des Caraïbes (CARICOM).

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L’Arrêté présidentiel du 22 avril 2010 établit que le nombre de représentants haïtiens ayant droit de vote doit être égal au nombre des représentants des bailleurs de fonds. (Holly 2011, p. 205).

économique, y compris la construction d’hôpitaux, de systèmes de production d’électricité, de ports et d’autres infrastructures104 » (FICR105 2012, p. 25 ; Holly, 2011).

La concentration du pouvoir de l’État haïtien dans les mains de cet organisme bénéficie de l’aval du gouvernement haïtien. Ainsi, lors de la Septième réunion du Conseil de la CIRH tenue à Port-au-Prince le 22 juillet 2011, le Président de la République d’Haïti, Michel Martelly, demande officiellement la reconduction du mandat de la CIRH pour une période de 12 mois :

[…] je demande à toutes les instances concernées tant nationales qu'internationales d'œuvrer conjointement et rapidement afin de renouveler le mandat de la CIRH pour une nouvelle période de 12 mois, au-delà de la date butoir du 20 octobre 2011. Nous devons absolument respecter ces échéances si nous voulons continuer à profiter d'un flot ininterrompu d'aide à la reconstruction et gérer des ressources de manière efficace dans le cadre de la plateforme stratégique que représente la CIRH. (Journal Haïti Libre, 2011).

Il existe d’autres structures de gestion de l’aide qui renforcent la situation de tutelle dans laquelle se trouve le pays comme le Fonds fiduciaire multi-donateurs106 (FFMD). À cela nous devons ajouter les nombreuses ententes bilatérales du gouvernement haïtien avec les agences de développement des bailleurs de fonds qui accentuent la mainmise de l’étranger sur l’État.

Comme constaté, à la suite du séisme, la communauté internationale saisit l’occasion pour accélérer le processus de refondation de l’État haïtien. L’affaiblissement de ce dernier facilite cette emprise par l’extérieur des affaires publiques haïtiennes. L’omniprésence de la communauté dans le débat sur la reconstruction d’Haïti et les initiatives adoptées dans ce sens, témoignent, par ailleurs, de l’incapacité du gouvernement haïtien d’assumer le développement du pays.

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Selon la FICR, des projets pour un total de 1,6 milliards de dollars américains ont été approuvés par la CIRH entre le 17 août et le 6 octobre 2010. Ces projets touchent les secteurs suivants : agriculture, santé, eau et assainissement, énergie, éducation, enlèvement des débris, infrastructure, logement, financement et investissement, et création d’emploi. Il est nécessaire de souligner que pour la mise en opération des projets, l’État haïtien se voit attribuer le titre « d’exécutant » au même niveau qu’une agence de développement ou une ONG (voir FICR 2012, p. 26).

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Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge.

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En effet, ce fonds, dont l’administration est confiée à l’AID de la Banque mondiale, regroupe les montants d’aide des différents bailleurs pour des « programmes de grande envergure ». Selon le PARDN, ce fonds reflète la volonté de la communauté internationale d’harmoniser et coordonner et assurer une saine gestion des fonds voués à la refondation d’Haïti. Les 391 millions de dollars américains qui ont été versés au FFMD servent essentiellement à financer des projets de réhabilitation, de retrait des débris et de reconstruction des infrastructures physiques (voir Fonds pour la reconstruction d’Haïti [FRH/FFMD]).

Les structures de coordination de l’aide internationale étant déjà en place (CIRH, FFMD, MINUSTAH, etc107), reste à savoir comment l’aide canadienne s’articule dans ce processus de refondation de l’État haïtien.

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Rappelons que le document « Principes pour l’engagement international dans les États fragiles et les situations précaires » de l’OCDE établit dix principes censés compléter la Déclaration de Paris. Parmi ces dix prérogatives, la huitième est particulièrement intéressante puisqu’elle demande aux pays bailleurs de « […] s’accorder sur des mécanismes concrets de coordination de l’action des acteurs internationaux » (OCDE, 2007). Ainsi, dans le cas d’Haïti, ce principe se matérialise par la création d’un « mécanisme de coordination stratégique » comprenant deux plateformes : le Groupe restreint et le Comité exécutif de partenaires techniques

et financiers (G11). Le premier est un groupe de coordination politique composé par les représentants des

missions diplomatiques en Haïti, l’Union européenne, la BID, la Banque mondiale et le FMI. Quant au second, il est composé des onze bailleurs présents en Haïti, à savoir, l’UE, la Banque mondiale, la BID le FMI, l’ONU, le Canada, l’Espagne, la France, les États-Unis, le Japon, en plus d’un représentant des pays ABC (Argentine, Brésil et Chili) [OCDE, 2010]. Se référer à l’annexe 7.

CH A P I T R E III : L’A I D E C A N A D I E N N E : L A P O U R S U I T E D E L A C O N T R I B U T I O N A L A C O N S T R U C T I O N D’U N ÉT A T « E F F I C A C E »

Dans les chapitres précédents nous avons vu que la coopération canadienne à Haïti s’inscrit dans une stratégie coordonnée des bailleurs de fonds pour remodeler l’État haïtien. Cette réforme est nécessaire à la transformation du pays en terrain favorable aux investissements de capitaux privés étrangers, renforçant du coup le mouvement d’accumulation du capital.

À la suite du tremblement de terre, le Canada s’engagera à redoubler ses efforts pour la reconstruction. Aussi, annoncera-t-il, lors de la Conférence de New York, le versement de 400 millions de dollars canadiens entre 2010 et 2012 afin « […] de donner suite aux priorités du gouvernement haïtien en matière de reconstruction et de développement » annoncées dans le PARDN (ACDI 2011, p. 15). Il sera également membre des organismes de gouvernance et de coordination de l’aide internationale (CIRH et Fonds fiduciaire multi-donateurs [FFMD]) dans le but de mettre à contribution son expertise au service de la communauté des bailleurs. Parallèlement, il contribuera à la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH)108 en y affectant, en réponse au séisme, 65 policiers et 5 officiers en plus de ceux déjà en place109.

Une fois passée la stupeur du séisme, le Canada annoncera la poursuite de sa contribution en faveur de la reconstruction d’Haïti. En effet, la stratégie canadienne ne changera pas comme en témoigne le « Rapport sur les Plans et priorités (2011-2012) » : l’ACDI, y lit-on, « […] poursuivra ses activités […] tout en intensifiant ses efforts pour promouvoir une croissance économique durable, en renforçant les organismes gouvernementaux haïtiens et en répondant aux besoins urgents » (ACDI 2011, p. 15). Encore, faut-il rappeler que les bailleurs de fonds ne peuvent pas se soustraire de leurs engagements en matière d’efficacité. La Déclaration de Paris est formelle sur ce point : le renforcement de l’efficacité de l’aide dans les États fragiles exige un engagement international à long terme en vue de mettre en place des institutions nationales « légitimes, efficaces et solides » (DP, 2005).

Parce que l’affaiblissement des capacités des institutions haïtiennes le permet, le Canada renforcera alors sa volonté de poursuivre dans cette orientation favorable à la création

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En effet, la crise qui s’installe à la suite du séisme pousse le Conseil de Sécurité des Nations unies à adopter, le 19 janvier 2010, la résolution 1908 qui augmente le nombre d’effectifs de la MINUSTAH. Ainsi, les effectifs militaires passent de 6 940 à 8 940 soldats tandis que le corps policier passe de 2 211 à 3 711 membres.

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d’institutions soucieuses d’efficacité. Nous le verrons à travers son apport renouvelé à la réforme de la police et de la justice, et à la réforme de la gestion publique haïtienne.