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La bonne foi, outil d’interprétation du contenu contractuel

Section 2. La bonne foi dans l’explicitation du contenu contractuel

A) La bonne foi, outil d’interprétation du contenu contractuel

Dans l’appréciation du contenu contractuel, il s’agit peut-être de la fonction de la bonne foi qui créée le moins de remous et qui peut lui être accordée : l’interprétation du contenu. Il s’agit de la situation dans laquelle le contrat est silencieux, ou il ne prévoit rien, ou qu’il prévoit quelque chose de trop général, imprécis, flou. Il faut dans ce cas que le juge

intervienne pour : clarifier la situation, rendre précises certaines dispositions ou éclairer la lettre du contrat. Mais, il ne le fait pas de manière divinatoire ou du moins pas seulement, car il dispose d’outils à sa disposition. Comme le souligne Messieurs Le Tourneau et Poumarède157, de nombreux textes, internationaux notamment, confient à la bonne foi ce rôle de guide d’interprétation : la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises158 devra être interprétée à la lumière de la bonne foi, idem pour la convention des Nations-Unies relatives aux garanties indépendantes et aux lettres de crédit stand-by159.

La bonne foi contractuelle de l’article 1104 ne semble pas pour autant justifier une telle approche. Or, si on s’intéresse à son passé, on peut alors noter que l’article 1134 alinéa 3 avant de connaitre son ascension fulgurante n’était censé qu’être « une règle technique

marquant l’abandon d’une distinction romaine entre contrat de droit strict et contrat de bonne foi »160, ces derniers étant ceux pouvant être soumis à interprétation. La boucle ne serait-elle pas bouclée ? En réalité, il semble que l’explosion de la bonne foi contractuelle ait fait oublier ce qu’il se passait autrefois en mettant en avant la fonction classique de la bonne foi, appréciation du comportement contractuel. Si la bonne foi a arrêté de jouer ce rôle, c’est parce que le code civil avait prévu d’autres dispositions pour l’interprétation du contenu contractuel. En effet, le nouvel article 1188 reprend une solution déjà existante depuis 1804 en disposant que « le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en

s'arrêtant au sens littéral de ses termes (al. 1). Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation (al. 2) ». C’est le fondement des règles d’interprétation du contrat. Elles

permettent de guider le juge et de ne pas lui laisser la porte ouverte à une intrusion trop importante. Il peut s’introduire dans le contrat mais il le fait en suivant des règle strictes. Or, ces règles paraissent imprégnées d’une certaine idée de bonne foi.

LE TOURNEAU (P.), POUMARÈDE (M.), « Bonne foi », Rép. droit civ., Paris : Dalloz, 2017, §71. 157

Conv. Vienne, 11 avr. 1980, art. 7.1 : « Pour l’interprétation de la présente Convention, il sera tenu

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compte de son caractère international et de la nécessité de promouvoir l’uniformité de son application ainsi que d’assurer le respect de la bonne foi (…) ».

Conv. N.-U., 11 déc. 1995, art. 5 : « Pour l'interprétation de la présente Convention, il sera tenu

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compte de son caractère international et de la nécessité de promouvoir l'uniformité de son application et d'assurer le respect de la bonne foi dans la pratique internationale (…) »

LE TOURNEAU (P.), POUMARÈDE (M.), « Bonne foi », Rép. droit civ., Paris : Dalloz, 2017, §70.

On retrouve de nouveau la bonne foi plus philosophique, celle qui inspire d’autres notions. Et les règles d’interprétation semblent découler d’un esprit de bonne foi. Si l’alinéa 1er de l’article vient consacrer la règle selon laquelle il faut interpréter le contrat selon son

esprit et non sa lettre, l’alinéa second vient prévoir qu’en cas d’impossibilité il faudra alors interpréter le contrat comme une personne raisonnable le ferait. C’est par ce biais que la bonne foi fait une entrée dans l’interprétation contractuelle. En effet, il faut faire valoir l’esprit du contrat sur sa lettre et le faire s’il le faut en passant par le truchement de la personne raisonnable. Autrement dit, il faut faire prévaloir l’esprit du contrat mais en réalité l’esprit est nécessairement teinté de bonne foi dans la mesure où tout le contrat est fondé dessus, dès la négociation. On ne parle pas de la bonne foi dans cet article mais nécessairement elle est présente, implicite, souterraine. C’est d’une manière logique qu’elle trouve sa place au sein de l’interprétation. La personne raisonnable, remplaçante du bon père de famille « mis sur la touche », qui permet au juge d’interpréter le contrat lorsque l’intention ne peut être décelée est forcément de bonne foi. La raison fait qu’elle est de bonne foi car c’est ainsi que les contrats doivent être exécutés. L’article 1104 le précise et la bonne foi brigue toute la vie contractuelle, comme cela a essayé d’être démontré, c’est aussi le cas implicitement lors de l’interprétation du contenu contractuel. L’interprétation n’est qu’une étape de l’exécution qui doit être de bonne foi. Cette affirmation que tout personne raisonnable est forcément de bonne foi est aussi une vision qu’ont certains textes comme les principes du droit européen des contrats. L’article 1:302 de ces articles dispose explicitement que « doit être tenu pour raisonnable aux termes des présents Principes ce que des personnes

de bonne foi placées dans la même situation que les parties regarderaient comme tel »161. Cette formule alambiquée et sans portée contraignante devrait néanmoins être suivie par le juge. La bonne foi est utilisée ici comme synonyme d’équité comme le démontre la suite de cet article faisant penser à notre article 1194 du code civil. D’ailleurs, même avant la réforme, les auteurs précités écrivaient que « la jurisprudence s’appuie parfois directement sur la

notion de bonne foi pour justifier ses interprétations sans s’appuyer sur les articles relatifs à l’interprétation du contrat »162.

Principes européens du droit des contrats, art. 1:302, cité par LE TOURNEAU (P.), POUMARÈDE 161

(M.), « Bonne foi », Rép. droit civ., Paris : Dalloz, 2017, §71.

LE TOURNEAU (P.), POUMARÈDE (M.), « Bonne foi », Rép. droit civ., Paris : Dalloz, 2017, §71.

Ainsi, il apparait que s’il est un domaine de l’appréciation contractuelle dans lequel la bonne foi contractuelle aura certainement un rôle à jouer, c’est l’interprétation contractuelle. Ne semblant pas susciter de débats outre-mesure, c’est ce rôle qui parait le plus propice à l’utilisation de la bonne foi. Le lien est ici le plus direct, contrairement aux autres fonctions déjà évoquées. Une dernière fonction reste quant à elle à être étudiée et ne fera certainement pas consensus : l’adaptation du contenu contractuel via la bonne foi (B).