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1. Les métaux dans le milieu marin

1.4. Les procédés de dépollution métallique

1.4.2. La biodépollution

La biodépollution regroupe un ensemble de méthodes biologiques visant à éliminer, dégrader ou stabiliser les polluants contenus dans les sols, les sédiments ou des effluents liquides. Elles s’appuient sur le métabolisme de certains micro-organismes et macro-organismes et leur capacité à dégrader la matière organique. Ces approches biotechnologiques sont des alternatives aux méthodes physico-chimiques classiques.

1.4.2.1. La phytoremédiation

La phytoremédiation est une méthode qui consiste à utiliser les végétaux, herbacées, plantes, arbustes, arbres, comme outils de dépollution (Raskin et al., 1997; McCutcheon and Schnoor, 2003; Pilon-Smits, 2005). En effet, de par leur immobilité, les végétaux sont soumis à de nombreuses pressions de leur environnement et ont développé des adaptations variées au cours de leur évolution. Le principal système de défense contre les changements géochimiques locaux est la mise en place de systèmes biochimiques et enzymatiques. La phytoremédiation peut être catégorisée en cinq domaines différents (Figure 3).

La phytoextraction ou phytoaccumulation consiste à utiliser la capacité des plantes à extraire et concentrer les métaux dans les tissus aériens sans impliquer leur dégradation. Il est donc nécessaire de récolter et d’incinérer ces parties aériennes à la fin du processus (Arthur et

al., 2005; Guillaume Losfeld et al., 2012). Par exemple, chez la Brassicacée Thlaspi caerulescens aussi connue sous le nom de tabouret bleu, le zinc est séquestré sous forme

soluble préférentiellement dans des vacuoles des cellules épidermales. Il peut représenter jusqu’à 1,7% de la masse sèche des feuilles (Frey et al., 2000).

31 La phytodégradation utilise la capacité des plantes à détoxifier les polluants en molécules moins toxiques par voies métaboliques mais elle ne s’applique pas aux métaux (Muchie and Akpor, 2010).

La phytostabilisation repose sur la capacité des plantes à réduire la mobilité et la biodisponibilité des polluants pour limiter leur dispersion dans l’environnement. Les racines de la plante absorbent les polluants et les conservent au niveau de la rhizosphère (Cunningham and Berti, 2000; Jadia and Fulekar, 2009).

La phytovolatilisation utilise les végétaux pour extraire les polluants d’un milieu contaminé, comme le sélénium ou le mercure. Les contaminants sont ensuite relargués dans l’atmosphère par évapotranspiration (Robinson et al., 2006).

Enfin, la rhizodégradation correspond à l’accumulation et la dégradation des polluants par l’action conjointe des racines et de leurs micro-organismes associés c’est-à-dire par la rhizosphère (Lone et al., 2008). Cette méthode n’est pas adaptée à la dépollution métallique.

La biomasse produite lors des traitement de phytoremediation est récoltée, traitée et peut être valorisée (valorisation énergétique, en métallurgie ou en biosynthèse). Par exemple, la biomasse des plantes hyperaccumulatrice de nickel, Psychotria douarrei et Geissois

pruinosa, récoltées de sols miniers de Nouvelle Calédonie, est valorisée. Le nickel extrait est

utilisé comme catalyseur acide de Lewis dans des réactions de chimie organique qui permettent de former des molécules à haute valeur ajouté (Guillaume Losfeld et al., 2012). La biomasse de la plante hyperaccumulatrice de zinc, Thlaspi caerulescens, permet de récolter du zinc qui sert à la préparation de réactif de Lucas. Ce réactif est alors utilisé dans la chloration d’alcools tertiaires, secondaires et primaires (G. Losfeld et al., 2012).

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1.4.2.2. La phycoremédiation

La phycoremédiation correspond à l’utilisation de la biomasse algale comme vecteur de sorption des métaux. Les algues marines sont facilement disponibles en grande quantité pour le développement de matériaux biosorbants. La biosorption des métaux par les algues a principalement été attribuée à la présence d’alginates, polysaccharides caractérisés par un

*

Phytoextraction Phytodégradation Composés volatiles Composés métabolisés Rhizodégradation Micro-organismes Composés dégradés

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Phytostabilisation Substances humiques

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Phytovolatilisation

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Métaux

Figure 3 : Illustration des cinq principaux mécanismes de phytodépollution que sont la phytoextraction, la phytodégradation, la phytostabilisation, la phytovolatilisation et la rhizodégradation. Modifiée d’après http://www.infovisual.info/01/003_fr.html

33 faible rapport acide mannuronique / acide guluronique. Elle est favorisée par la porosité des parois cellulaires. L’échange d’ions serait le principal mécanisme mis en place dans la biosorption (Fourest and Volesky, 1997; Figueira et al., 2000). La plupart des algues, et notamment les algues brunes, ont la propriété d’accumuler les métaux lourds, comme les plantes terrestres. Par exemple, certaines espèces des genres Durvillaea, Laminaria, Ecklonia et Homosira sont capables d’adsorber le cadmium (Figueira et al., 2000). L’algue brune

Sargassum sp., collectée dans la baie de Naples, est capable de fixer l’uranium (Yang and

Volesky, 1999). L’algue rouge Laurencia obtusa, les algues brunes Sargassum asperifolium,

Cystoseira trinode et Turbinaria decurrens récoltées sur une plage de la Mer Rouge dans la

région égyptienne de Hurghada sont capables de séquestrer le chrome, le cobalt, le nickel, le cuivre et le cadmium avec des niveaux d’accumulation dépendant à la fois du biosorbant et de l’espèce métallique à traiter (Hamdy, 2000).

De nouvelles techniques de dépollution innovantes découlent des propriétés des algues marines à accumuler les métaux. Par exemple, AlgaSORB est une colonne chromatographique composée de polyélectrolytes cationiques, poly (N-xylène-N,N′ dicyclohexyl éthylène diamine dibromide) qui sont associés de façon électrostatique avec un biofilm de l’algue Spirogyras sp. immobilisé sur gel de silice. Ce système est utilisé pour isoler le cuivre (II) à partir d’échantillons aqueux contaminés (Singh and Prasad, 2000).

1.4.2.3. La bioremédiation

La biorémédiation englobe toutes les techniques qui utilisent le potentiel métabolique des micro-organismes, en particulier des bactéries, pour traiter in situ ou ex situ les sols, les boues, les sédiments ou effluents liquides contaminés. Cette technique permet d’augmenter la biodégradation des polluants soit par innoculation de souches bactériennes ou fongiques spécifiques, soit par biostimulation de l’activité de dégradation des populations microbiennes environnementales, par exemple, par un apport de nutriments au milieu (Boopathy, 2000). Le développement de l’engineering moléculaire permet d’utiliser les capacités de détoxification des souches bactériennes pour créer des outils de détection et de biorémédiation des métaux dans les environnements pollués (Lloyd, 2002). Ce point sera détaillé dans le paragraphe 2.3.

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1.4.2.4. La zooremédiation

Les connaissances sur les capacités bioremédiatrices des animaux sont encore peu explorées à cause de problèmes d’éthique et des intérêts économiques et commerciaux que représentent les organismes aquatiques comme produits de consommation humaine.

Un certain nombre d’organismes aquatiques ont pourtant été décrits pour leurs propriétés d’hyperaccumulation, de stabilisation, de dégradation et de résistance aux métaux (Gifford, Dunstan, et al., 2006). Ces organismes doivent par ailleurs avec une valeure économique pour financer en retour la remédiation. Un intérêt croissant a été porté aux mollusques bivalves comme les huîtres perlières (Gifford et al., 2004, 2005; Gifford, Macfarlane, et al., 2006) ou les moules (Jana and Das, 1997; Gifford et al., 2004) et mollusques gastéropodes (Hossain and Aditya, 2013) pour leur capacité à accumuler et dépolluer les métaux toxiques (Tableau 2).

Tableau 2 : Quelques exemples de capacité d'accumulation métallique chez des organismes marins.

Classe Espèce Métal Accumulation

(mg.kg-1)

Référence

Mollusques bivalves

Crassostrea virginica cuivre 2013 Olivier et al., 2001

Mytilus edulis plomb 506 Bourgoin, 1990

Pinctada albina albina cadmium 108 Francesconi, 1989

Crassostrea rhizophorae aluminium 2240 Sbriz et al., 1998

Crassostrea virginica zinc 9077 Olivier et al., 2001

Lamellidens marginalis cadmium > 500 Jana and Das, 1997

Démosponge Halichondria panicea cadmium 271 Hansen et al., 1995

1.4.2.4.1. La zooremédiation par les mollusques bivalves

De nombreuses espèces de bivalves filtreurs agissent comme des biocapteurs métalliques (de Lafontaine et al., 2000). Les métaux sont incorporés à la fois dans les tissus par absorption et dans leur squelette externe lors du processus de biominéralisation (Lingard

et al., 1992). Cette biominéralisation permet la séquestration des métaux dans la coquille des

mollusques bivalves et limite leur incorporation dans les tissus. Elle pourrait être une forme de détoxification des métaux afin d’en atténuer les effets toxiques sur le métabolisme de ces organismes (Bertine and Goldberg, 1972). Les capacités d’absorption et de séquestration des métaux dépendent de nombreux facteurs tels que la taille, l’âge, le sexe, les saisons, la salinité, la température de l’eau et les niveaux de pollution locale.

35 L’huître perlière Pinctada imbricata est l’exemple le mieux décrit de mollusque bivalve cultivé pour la remédiation de contaminants métalliques en zones côtières (Gifford et al., 2004). En effet, ces huîtres filtrent activement l’eau de mer, jusqu’à 25 L.h-1.g-1 de tissus (Pouvreau et al., 1999), sont endémiques de nombreuses régions du monde (Colgan and Ponder, 2002), accumulent rapidement les métaux dans leurs tissus et coquilles (Bou-Olayan

et al., 1995; Al-Madfa et al., 1998) et produisent des perles à haute valeur ajoutée.

Dans les fermes aquacoles de Port Stephens, en Australie, chaque tonne d’huîtres perlières récoltée concentrait approximativement 703 g de métaux comme le plomb, l’aluminium, le cuivre, le zinc et le fer (Gifford et al., 2005). L’huître P. imbricata est relativement tolérante au plomb et au zinc jusqu’à des concentrations de 90 µg.L-1 (Gifford, Macfarlane, et al., 2006), qui sont supérieures aux valeurs retrouvées dans des estuaires ou ports impactés par les activités humaines (Dassenakis et al., 1997). Les métaux principalement incorporés dans les tissus de l’huître n’affectent pas la formation des perles. L’aquaculture perlière pourrait faire partie d’une stratégie globale de gestion de la qualité des eaux des écosystèmes côtiers. Les polluants environnementaux pourraient ainsi être utilisés pour générer un retour économique permettant au programme de bioremédiation de s’autofinancer.

1.4.2.4.2. L’avenir de la zooremédiation : les Spongiaires ?

Les Spongiaires sont des organismes sessiles qui filtrent activement l’eau de mer et retiennent ainsi les particules et micro-organismes en suspension dans la colonne d’eau (Topçu et al., 2010) et peuvent accumuler les métaux, aussi bien sous forme dissoute que particulaire, proportionnellement à la charge environnementale (Cebrian et al., 2007). Les Spongiaires ont été proposés comme bioindicateurs de la disponibilité des métaux dans les environnements marins (Pérez et al., 2005; Pan et al., 2011). Ce sont à la fois des bioaccumulateurs et bioindicateurs de pollution aussi bien microbienne (Milanese et al., 2003) que métallique (Patel et al., 1985; Cebrian et al., 2003) (Tableau 2). L’intérêt des Spongiaires par rapport aux mollusques des millieux superficiels réside principalement dans leur capacité à coloniser un plus vaste gradient vertical. Ces organismes sont aussi une source importante de composés bio-actifs d’intérêt pharmacologique à haute valeur économique (Mayer et al., 2010; Blunt et al., 2014). Par exemple, la molécule latrunculine B, isolée de l’éponge Negombata magnifica, qui inhibe la réorganisation du cytosquelette d’actine (Hadas

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et al., 2005). Les Spongiaires réunissent donc les caractéristiques nécessaires pour devenir des

outils de zooremédiation des milieux aquatiques.

Des recherches complémentaires devraient cependant être menées afin de vérifier si l’exposition à des polluants n’altère pas l’expression métabolique des Spongiaires. Par ailleurs, des missions de bioprospection permettraient de trouver de nouvelles espèces capables de stabiliser, transformer, dégrader ou accumuler les polluants métalliques.

La compréhension de la résistance bactérienne aux métaux est importante afin de développer des processus de bioremédiation et pour comprendre et exploiter le rôle joué par les bactéries dans la tolérance et l’accumulation de métaux chez les organismes supérieurs (mollusques bivalves, spongiaires…).