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a L’urbanisme en souterrain : indissociable des problématiques des flux de transports ?

La ville se définit par ses voies de communication : c’est ce qui est perceptible en premier sur nombre de plans. Avec elles se définissent les mobilités possibles dans la ville, qu’elles soient piétonnes, cyclistes ou motorisées, individuelles comme collectives. Les modes de déplacement au sein de la ville ont toujours évolué et l’arrivée des voitures a marqué un tournant dans la définition des routes urbaines, lesquelles façonnent les appropriations et partages des espaces pour les divers usagers. Les voies affrétées aux voitures sont les plus larges et les plus nombreuses, n’importe où que l’on soit en France. Pourtant, de plus en plus de voies en site propre sont réservées aux bus et aux vélos. Cela signifie que les mobilités urbaines évoluent et ce, au profit du développement des transports en commun et des mobilités douces.

A Paris par exemple, le réseau de transports en commun cherche à être efficient et couplé aux mobilités douces. Or, les différents réseaux de métropolitain qui existent, en France comme ailleurs, ont été créés afin d’améliorer cette efficience, le tout en passant par le sous-sol des villes, ce qui permet également de réduire considérablement les nuisances liées à l’exploitation. Que ce soient les projets du GECUS ou ceux d’urbanisme sur dalle, l’argumentation de la nécessité des voies souterraines se fait en raison des problématiques de circulation des véhicules en surface.

Aussi, si l’intégration de l’espace souterrain dans les villes avait d'abord commencé par l’implantation de réseaux plutôt techniques, ces réseaux seront par la suite également associés à des flux de personnes. Les transports de tous types apparaissent donc tel un leitmotiv dans l’intégration de la dimension souterraine des villes. Jean-Marc Fritz et David Mangin, architectes et urbanistes, en rendent compte :

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Figure 26. Réseau intérieur piétonnier de Montréal.

« A la fin des années 1960, différentes villes de par le monde ont déjà expérimenté l’urbanisme souterrain : Montréal, Tokyo, Osaka et, à une moindre échelle, New York, pour ne citer que les principales. […]

[Un] point commun apparaît : la présence d’un réseau de transport souterrain. C’est à la fois la condition et le moteur du développement des espaces en sous-sol. C’est lui qui génère les flux indispensables pour faire

vivre des lieux qui ne pourraient attirer naturellement les foules. »1

Dans un autre ouvrage, David Mangin définit des

mangroves urbaines comme « un système urbain et architectural permettant à ses usagers de se rendre directement, depuis un quai de transport en sous-sol, à des espaces divers, souterrains ou aériens »2.

Il indique cependant qu’il ne s’agit pas là d’urbanisme souterrain à proprement parler puisque les mangroves urbaines ne se définissent pas principalement par leur caractère aérien ou souterrain, mais par leurs flux et usages.

Aujourd’hui, le développement des transports en commun et des mobilités douces reflète les politiques menées dans les villes en faveur de la réduction du nombre de véhicules individuels, afin de limiter les congestions, la pollution de l’air et les nuisances sonores, visuelles et olfactives. Mais la solution est-elle de mettre dans un espace relativement déprécié – le souterrain – les transports en commun alors que l’on cherche à convaincre les usagers de véhicules individuels, qui circulent majoritairement à l’air libre, de délaisser leur voiture pour un métro ? Les arguments pour l’amélioration du cadre de vie urbaine sont-ils suffisants face aux transports en commun bondés, trop lents, parfois en souterrain ? A ce niveau-là, les préconisations du GECUS et le concept de la ville sur dalle prennent tout leur sens dans l’idée de retirer la voiture de la surface de vie des habitants urbains. Cette même 1 Jean-Marc Fritz et David Mangin, "Les Halles, une infra-architecture", dans Bruno Barroca (dir.), Penser la ville et agir par le souterrain, Paris, Presses des Ponts, 2014, p. 82. 2 David Mangin, Marion Girodo, avec Seura Architectes, Mangroves urbaines, du métro

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Figure 27. Renversement des priorités dans les mobilités proposé par Anne Hidalgo et son équipe pour les élections municipales de 2020.

Figure 28. Plan piéton proposé par Anne Hidalgo et son équipe pour les élections municipales de 2020.

voiture ne serait-elle pas l’une des causes principales des "défauts" de la ville ? En effet, parmi les causes du rejet de la ville, on trouve les nuisances sonores qui, bien souvent, sont en réalité issues des transports : voiture, avion, moto… En allant plus loin, la limitation des voitures, voire leur exclusion, des centres-villes peut apparaître comme une solution. Il faut dans ce cas apporter des alternatives comme un réseau plus développé et des fréquences de passage des transports en commun plus importantes. Les transports en commun gagneraient aussi en efficience s’ils étaient seuls à circuler dans les rues.

A Paris, la volonté actuelle de la majorité municipale d’assainir l’air passe par ce rejet massif de la voiture1 et un développement

des mobilités cyclistes et piétonnes. Un plan piéton pour Paris était détaillé dans le programme d'élection de la majorité municipale actuelle, réélue en juin dernier2. L’obligation de la vignette Crit’air3

est également l'une des mesures prises par la municipalité pour limiter l'accès aux véhicules polluants dans la ville.

Des métropoles françaises – Lyon, Nantes, Toulouse… – mettent en place aux entrées de ville des services de parkings- relais aux abords des stations de tramways, de métros ou de bus. L’intermodalité permise par ces parcs relais illustre la volonté de limiter l’accès automobile aux centres des villes, qui bénéficient ainsi de plus en plus de zones piétonnes. Ces parkings- relais servant principalement pour les migrations pendulaires – le séjour prolongé étant souvent interdit ou payant –, la dimension souterraine peut se profiler comme une solution pour stocker un maximum de véhicules, tout en limitant la pollution visuelle et l’emprise au sol. Elle permettrait aussi de construire 1  Pourrais-je un jour respirer un air pur à Paris ? [en ligne], Paris en commun, s.d., https:// annehidalgo2020.com/question/question-1/ [consulté le 09.08.20].

2  Priorité piétons [en ligne], Paris en commun, s.d., https://annehidalgo2020.com/plan- pieton/ [consulté le 09.08.20].

3 Mesure élaborée par le Ministère de l'Environnement en 2016, mise en place par

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des logements ou équipements en superstructure, à proximité des accès principaux des villes.

Les transports en commun font partie de l’essence urbaine, la ville étant le lieu où l’on mutualise de nombreux espaces répondant à des besoins divers : loisirs, activités, parcs, immeubles, etc. Le développement des transports en commun est donc inévitable et souhaitable dans un contexte où la ville doit être durable et saine pour tous. La crise sanitaire du printemps 2020 a eu pour effet – très médiatisé pour Paris et confirmé par l'INSEE1 – de

voir des urbains partir se confiner hors des villes. Le phénomène d’exode urbain2 a été mis en exergue à la fois pendant et après

le confinement3. Le danger du (re)développement du périurbain

réapparaît alors. Qu’il s’agisse d’un simple effet de mode ou d’une réalité en devenir, la question des mobilités entre les zones urbaines, périurbaines et rurales est une problématique majeure à intégrer.

De plus, les modes de déplacements urbains sont en train d’évoluer et vont être remis en cause par cette crise sanitaire. Actuellement, les notions d’intermodalité et de plurimodalité sont différenciées, comme le définit Jean-Marc Offner, urbaniste et géographe :

« Les services de mobilité […] cherchent à favoriser l’intermodalité (usage de plusieurs moyens de transport au cours d’un même déplacement) et la plurimodalité (des modes de transport différents

1 D'après l'INSEE, en moyenne 451 000 habitants (sur les 2,2 millions de Paris intra-muros) ont quitté la capitale pendant le confinement, soit 20 % de la population habituelle. Cf. annexe 2. 2 Pas nécessairement vers une zone rurale, mais vers une zone moins urbanisée. 3 Le téléphone sonne, Après la crise, avez-vous envie de quitter la ville ? [en ligne], France Inter,  17.05.20,  https://www.franceinter.fr/emissions/le-telephone-sonne/le-telephone- sonne-21-mai-2020 [consulté le 09.08.20] ;

Le temps du débat, Va-t-on vers un exode urbain ? [en ligne], France Culture, 23.07.20,

https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/va-t-vers-un-exode-urbain 

pour plusieurs déplacements), sous le motif d’une pertinence spécifique des divers modes de transport selon les territoires et les moments. »4

L’urbanisme tactique s’intègre dans ces deux types de mobilités et va peut-être se développer de façon plus pérenne comme le suggère Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité à l’ADEME5, qui lors d’une interview radiophonique avec la journaliste

Claire Servajean, définit ainsi ce mode d’urbanisme :

« L'urbanisme tactique, c'est un concept développé en Amérique du Nord notamment. C'est une autre façon de concevoir la ville, beaucoup

plus rapide et agile, qui consiste à mettre en place et à utiliser du mobilier qui est facile à installer / désinstaller / modifier, dans le cas où

on n'aurait pas réussi l'aménagement du premier coup. C'est aussi un mouvement assez contestataire face au constat que finalement, dans nos villes, entre 50% et 80 % de l'espace public est réservé aux voitures - un constat qui paraît très inéquitable. Il y a eu des

mouvements de personnes qui ont voulu récupérer de l'espace urbain et par exemple, en traçant des pistes cyclables sauvages pendant la nuit,

par exemple.

Il y a une opération très connue aux Etats-Unis s'appelle "Park(ing) Day", qui a lieu chaque année. Les places de parking sont utilisées pour

en faire autre chose : par exemple mettre des transats, installer son bureau pour y faire du télétravail, des choses comme ça. L'idée, c'est de

faire de la pédagogie et de montrer qu'on peut faire autre chose dans nos villes que de faire circuler les voitures.. »6

Il développe ensuite l'exemple d'une mesure récente consistant à affréter des voies urbaines aux vélos à la place des voitures. Nombre de villes ont opté pour cette solution post- confinement, anticipant le fait que les transports en commun seraient boudés par des usagers – en télétravail ou optant pour un autre mode de transport – et/ou surchargés en raison de la distanciation physique à respecter.

4 Thierry Paquot (dir.), Repenser l’urbanisme, Gollion, Infolio, 2013, p. 62. 5 Agence de la transition écologique.

6 Le téléphone sonne, Quelle ville pour demain ? [en ligne], France Inter, 17.05.20, https://www.franceinter.fr/emissions/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-17-

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Figure 29. Le parc souterrain de la Low line à New York.

« Aujourd’hui, ce qui est intéressant sur ces pistes cyclables temporaires, c’est qu’on voit qu’elles sont très utilisées en fait. Aujourd’hui on a les premiers chiffres, puisqu’on est déconfinés depuis

lundi. On voit que les transports collectifs restent sous-utilisés, il y a à peu près 20 à 25 % de la fréquentation normale, on voit que les routes sont globalement assez peu utilisées. Et le seul moyen de transport qui a d’ores et déjà retrouvé son niveau d’avant, finalement, c’est le vélo.

On a les données aujourd’hui des compteurs qui sont installés dans Paris, on est quasiment sur une pratique qui est équivalente à ce qu’on

avait pendant la grève du mois de décembre. Donc qui était déjà une pratique extrêmement élevée. »1

De nombreuses questions se posent alors, notamment sur le rôle que peut jouer le souterrain dans l’urbanisme si la surface des villes se libère progressivement des véhicules motorisés individuels. La limitation des accès aux villes pour ces véhicules permettrait de réduire les nuisances sonores, visuelles et olfactives. Le développement des routes souterraines deviendrait de ce fait inutile.

L'intérêt du souterrain réside toutefois dans la possibilité d'y installer certains équipements pour libérer de la place en surface. Dans les zones denses, l’ajout d’équipements ne peut se faire qu’à la place de bâtiments à détruire ou dans ceux à réhabiliter. Aussi, le souterrain se profile comme solution si l’on veut conserver des bâtiments existants.

De plus, le manque d’espaces verts accessibles aux habitants usagers comme bon leur semble2 – c’est-à-dire à toute heure, avec

le droit de marcher et de s’asseoir partout – fait défaut aux villes. L’espace récupérable par les villes sur les emprises routières peut permettre de pallier une partie du manque d’espaces verts. Leur

1 Le téléphone sonne, Quelle ville pour demain ? [en ligne], France Inter, 17.05.20, https://www.franceinter.fr/emissions/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-17- mai-2020 [consulté le 09.08.20]. 2  41% des Français, 53% des Franciliens selon un sondage Ifop pour Landestini, "Le 

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place en surface est indéniablement nécessaire, bien qu’il existe des projets de parcs souterrains, comme celui de la Low Line à New York, prévu pour ouvrir en 2021. Ce parc a la particularité de fournir de la lumière naturelle en sous-sol pour la végétation et les usagers grâce à des puits de lumière bénéficiant d'une technologie solaire de pointe.

Enfin, les usages en symbiose entre surface et sous-sol se développent et sont prônés par les défenseurs des projets souterrains. Par exemple, le réseau actuel du métro de Paris n’est plus un simple moyen de transport d’un lieu à un autre. En effet, il est bien souvent associé à d’autres fonctions souterraines, principalement commerciales. De la petite boutique en contrebas de l’escalier d’accès à la station au centre commercial intégré entre la station de métro et la surface, ses couloirs et accès sont devenus un lieu de commerce. Les centres commerciaux font là figure de première fonction souterraine annexée aux transports dans Paris. Ce sont à la fois les espaces les plus rentables – ils financent l’investissement souterrain – et les plus simples à mettre en œuvre en souterrain, le contrôle des ambiances lumineuses et sonores y étant total.

Alors que le GECUS voyait le développement de la ville en souterrain sous l’angle des voies de circulation et des parkings, la prise en considération du sous-sol comme une ressource sur plusieurs plans permet de réaliser des aménagements urbains singuliers, voire manifestes d’une ville, en intégrant notamment le patrimoine bâti historique. De plus, si le GECUS prônait le développement du souterrain urbain, c’était principalement dans l'objectif de réduire le temps de trajets urbains. Le souterrain se présente aujourd’hui comme un moyen d’économie de place en surface, dans une logique durable de limitation de l’étalement urbain.

b. Quelques exemples actuels à Paris, des transports aux