• Aucun résultat trouvé

L E RÔLE SOCIAL DES AGENTS DE MÉDIATION V IVRE EN V ILLE

Les jeunes recrutés à Vivre en Ville sur les postes d’agents de médiation doivent avoir moins de 26 ans et être à la recherche d’un emploi pour être éligible au contrat emploi-jeune. Pour les missions en partenariat avec la SEMVAT et les bailleurs, ce sont des jeunes ayant un niveau de qualification inférieur au bac. Ils ont généralement un CAP ou un BEP ou le niveau équivalent. Pour la mission avec EDF, le niveau bac est requis, la mission étant jugée plus complexe.

Les jeunes qui postulent pour un emploi à Vivre en Ville le font la plupart du temps par le bouche à oreille, parce qu’ils connaissent souvent quelqu’un qui y travaille. Le réseau que constitue le quartier est fort, et les jeunes sont majoritairement issus du Grand Mirail. Certains viennent des quartiers Nord et d’Empalot, et quelques-uns habitent à l’extérieur de Toulouse. Ils sont majoritairement d’origine maghrébine, même si l’association ne réserve pas son recrutement exclusivement aux jeunes des « quartiers sensibles » et d’origine immigrée.

Vivre en Ville était perçue dès le début comme un sas vers les entreprises partenaires, SEMVAT, et EDF. Travailler à Vivre en Ville était une chance de trouver un emploi stable, dans une entreprise inaccessible autrement. À la question posée lors

du recrutement, « quel est votre projet professionnel ? », la réponse était

majoritairement l’embauche à la SEMVAT ou EDF.

Ces entreprises représentent en effet, la sécurité de l’emploi à cause de l’image socialement valorisée du contrat à durée indéterminée. Bien souvent, ils ne connaissaient pas bien les métiers de ces entreprises. Ce qui comptait, ce n’était pas tant d’avoir un métier intéressant que d’obtenir un CDI.

C’est tout le travail de l’équipe d’encadrement de Vivre en Ville de modifier, dès le moment du recrutement, les représentations des jeunes et de les mettre devant la réalité. La SEMVAT et EDF ne recrutent pas systématiquement un jeune ayant occupé un poste à Vivre en Ville. On les pousse donc à élaborer le plus rapidement possible une stratégie de départ de l’association. Le « statut emploi-jeune » permet de se former par le biais du chèque-avenir (somme dégagée par le Conseil Régional pour la formation de chaque jeune en emploi-jeune).

Les jeunes agents de médiation se sentent pourtant pris dans une contradiction où on leur demande à la fois d’être performants et investis sur leur poste de travail, et de faire leur possible pour quitter le plus rapidement possible l’association, sans oublier qu’ils ne doivent pas compter sur les partenaires pour leur insertion professionnelle.

Cela a engendré parfois beaucoup de déception, tel un salarié devenu responsable de l’équipe des agents de médiation dans le métro. Son projet était de devenir conducteur de bus. Il avait postulé à la SEMVAT bien avant de connaître Vivre en Ville, mais sa candidature avait été refusée. Au moment où on a accepté sa candidature à Vivre en Ville, il avait aussi la possibilité de commencer un contrat de qualification pour devenir chauffeur routier. Mais, persuadé qu’un emploi à Vivre en

Ville lui permettrait d’être embauché à la SEMVAT – puisqu’il pourrait faire ses preuves – il a préféré accepter le poste à Vivre en Ville.

Profitant de cette opportunité de travailler dans une association prestataire de services pour la SEMVAT, il a renouvelé sa candidature, mais n’a jamais reçu de réponses claires de la part de la SEMVAT. Il est resté à Vivre en Ville 2 ans, mais voyant que ses projets n’aboutiraient pas et qu’il n’y avait plus pour lui de possibilité d’évolution, il a quitté l’association pour un emploi de conducteur de bus à temps partiel dans une entreprise de transport privée. Il est parti de Vivre en Ville avec beaucoup d’écœurement, ayant le sentiment d’avoir fait fausse route et d’avoir perdu un peu de temps.

À travers les deux mouvements de grève, les agents de médiation demandaient que les partenaires et Vivre en Ville leur apportent des réponses claires concernant leur avenir.

Le mouvement de décembre 2000 a rapidement été géré par la présidence de l’association, nous l’avons vu. Quant au questionnement des salariés sur leur avenir professionnel, l’injonction du conseil administration fut de mettre en place un plan de formation pour tous les agents de médiation de l’association. L’équipe d’encadrement devait sérieusement s’atteler à cette tâche, et faire comprendre aux agents de médiation qu’ils ne seraient pas nécessairement embauchés à la SEMVAT ou EDF.

Les jeunes ont exprimé leur besoin de reconnaissance de leurs compétences et leur volonté de voir évoluer leur activité. Cela passe par un statut, un vrai travail. Le fait de travailler sur des contrats aidés par l’État donne à beaucoup un sentiment de dévalorisation. La réflexion du responsable du suivi et de la formation, lui

jeune revenait pour lui à se demander s’il « valait » un vrai contrat ou seulement un contrat aidé par l’État.

2.1.L’

AGENT DE MÉDIATION AU CARREFOUR DE PLUSIEURS FONCTIONS

L’agent de médiation de Vivre en Ville, pour ce qui est des missions en lien avec la SEMVAT et EDF, travaille aux côtés des salariés de ces entreprises. Il fait apparemment partie d’une chaîne de travail, c’est en tout cas ce que mettent en avant les hiérarchies et certains des responsables de Vivre en Ville.

C’est à partir des entretiens menés avec les agents de médiation et les salariés des entreprises partenaires, et des observations directes que nous allons analyser le travail des agents de médiation de Vivre en Ville.

2.1.1.L’AGENT RIM À LA LIGNE DE CONTRÔLE

Lorsqu’on rencontre les agents RIM103 sur le terrain, c’est d’abord

l’ennui qui ressort de leur discours. Ils ont l’impression que leur emploi consiste à faire un peu d’accueil et d’information, et à attendre beaucoup que l’heure tourne. Leur travail, c’est être debout à côté des valideurs, et être attentif à tout ce qui se passe dans la station. Ils acquièrent avec l’habitude un regard très observateur, et savent très vite repérer une difficulté dans la station.

Leur travail, c’est aussi, et cela revient toujours dans leur discours, beaucoup de pression à cause de l’appréhension de l’incident qui peut survenir n’importe quand, et qu’ils ne sont pas sûrs de pouvoir gérer convenablement. Cette

103

pression est une part très importante de leur travail, et ils ont le sentiment que ce n’est pas suffisamment pris en compte par les responsables de Vivre en Ville et de la SEMVAT.

Les agents RIM sont donc postés seuls généralement, au niveau de la ligne de contrôle, à côté des valideurs. C’est là que se joue le rite du paiement du titre de transport. L’agent est censé par sa présence dissuader tout fraudeur. Ils ont le regard aiguisé, et sont capables de capter chaque détail de ce qui se passe dans la station. Souvent, à les regarder, on a l’impression qu’ils sont absents, mais plusieurs exemples ont démontré le contraire. Ainsi, un matin à la station Esquirol, l’agent RIM s’était posté à l’entrée du local de sécurité (local dans les stations réservé au personnel), donc très en retrait de la ligne de contrôle. Il faut avoir un œil averti pour savoir que l’agent est là. Lui, discutait avec son responsable d’équipe de choses et d’autres, mais rien ne lui échappait. Chaque fois qu’un client avait l’air d’hésiter, il allait le trouver pour lui proposer de l’aider. Un jour où il y avait pas mal de monde, l’agent observe une femme qui essaie de valider son titre de transport, mais n’y parvient pas.. Elle décide alors de se glisser sous la barrière puisque son ticket ne semble pas vouloir fonctionner. L’agent RIM surgit alors de son poste, à la grande surprise de la cliente qui se confond en explications, peu convaincantes d’ailleurs pour l’agent RIM.

L’agent se déplace aussi dans la station. Il doit s’assurer que tout fonctionne bien et signaler tout dysfonctionnement au poste de contrôle du métro (PC). Dès lors qu’ils sont dans la station, les agents RIM en sont responsables. Ce qui veut dire que rien ne doit leur échapper.

S’ils sont souvent seuls en station, ils travaillent malgré tout en collaboration plus ou moins évidente, avec plusieurs types de métiers. Il y a d’abord le

PC avec qui ils prennent contact dès leur arrivée dans la station. Cela tient lieu de pointage de leur présence. De même, c’est le PC qu’ils doivent avertir quand ils souhaitent prendre une pause. Le contact avec le PC se fait exclusivement par téléphone, et par caméra. Ce qui déshumanise les relations, et est souvent source de tensions avec les agents RIM. Dans les stations, ces derniers se sentent surveillés par les caméras qu’ils disent souvent braquées sur eux. Les personnels du PC se montrant souvent peu aimables, cela a pu nourrir le sentiment d’être des « moins que rien » auprès des agents SEMVAT, voire le sentiment que le PC est raciste.

Ce rapport très technicisé rend le travail de médiation quasiment impossible pour les agents RIM dans le métro. Les caméras et le téléphone deviennent le symbole du PC. Les agents RIM n’ont jamais de contacts directs avec les personnels du poste de contrôle. Le dialogue est donc très difficile. Alors, dans cette situation comment avoir un rôle de médiation entre des usagers et un PC complètement déshumanisé ?

Un agent RIM, qui est amené à travailler à la fois dans les bus et dans le métro, comparait les deux modes d’intervention, et notait que dans le bus le rapport était plus humanisé du fait de la présence du conducteur. Cela rendait possible à ses yeux la médiation avec des clients. Mais comment négocier dans le métro quand les personnels du PC n’ont qu’un contact par interposition avec la réalité du terrain ?

À cela, l’agent ajoutait que les caméras dans les stations donnaient aux agents l’impression d’être surveillés par le PC. En effet, il est arrivé qu’on les appelle parce que le PC ne les voyait plus dans la caméra. À des moments de fortes tensions entre le PC et les agents RIM, le PC demandait aux agents de se poster dans la station à un endroit où ils pourraient être vus dans l’œil de la caméra et de ne pas en bouger. Tout

cela rend le poste de travail dans le métro très stressant pour les agents. Les relations avec le PC se gèrent cependant, au cas par cas. Certains agents ont compris qu’il y avait un jeu à jouer dans ces relations. L’un d’eux dira qu’il suffit de ne pas se faire remarquer pour obtenir par exemple des pauses plus importantes. Et puis, il y a des relations interpersonnelles qui se sont nouées et qui influencent le comportement du PC.

L’agent RIM est en contact avec d’autres personnels de la SEMVAT. Ce sont les vérificateurs qui sont amenés à contrôler les titres de transport de manière ponctuelle. Ils circulent généralement par trois, se postent au niveau de la ligne de contrôle, et vérifient systématiquement la validité des titres. Lorsqu’un agent RIM est présent dans la station, les vérificateurs lui demandent de les assister en étant présent à leur côté, et en gardant un œil attentif à tout ce qui pourrait se passer au cours de la procédure. Les agents se sentent instrumentalisés alors par la SEMVAT pour gérer des relations tendues avec certains usagers, les jeunes en particulier. On les place en première ligne dans des situations qui peuvent vite devenir tendues.

Certains agents pensent que les vérificateurs ont des problèmes avec des clients parce qu’ils ne sont pas à l’écoute et donnent une image très répressive. « Ils font

les justiciers » est une expression qui revient souvent dans le discours des agents Vivre

en Ville au sujet des vérificateurs ou des agents de prévention de la SEMVAT. L’agent devient alors un « réparateur » des erreurs de certains agents SEMVAT dans le relationnel avec les clients.

Il y a également les OTCM (Ouvriers technico-commerciaux du Métro) qui interviennent sur appel du PC pour assurer la maintenance du matériel dans les stations et qui sont également amenés à faire l’accueil et le renseignement dans les stations, et à assurer une présence.

Dans le métro, on trouve encore les sociétés de nettoyage avec qui les agents RIM ont généralement de bonnes relations, la Police du métro, le service Prévention de la SEMVAT qui est amené à assurer une présence à l’extérieur de certaines stations, et qui intervient sur appel du PC quand il y a un problème.

Et enfin, on trouve des agents de sécurité dans les stations où Vivre en Ville n’est pas présente. Le titre qui leur est attribué en fait des agents pour lesquels la dimension d’accueil devrait recouvrir une moindre importance. En réalité, ils sont censés assurer les mêmes fonctions que les agents de Vivre en Ville. On a donc seulement bénéficié des subventions de l’État pour les postes emploi-jeune, et la médiation n’a été qu’un terme utilisé pour entrer dans le cadre du programme Nouveaux Services - Emploi Jeune.

On trouve donc dans le métro, plusieurs types de personnels qui à travers des activités différentes doivent assurer la sécurité des stations de métro. La sécurisation passe par la présence dans les stations. C’est parce que le client sent, voit une présence dans la station qu’il se sent en sécurité, insiste souvent la SEMVAT. Le client non averti ne fait d’ailleurs aucune différence entre les personnels présents dans les stations. Il est difficile de distinguer la fonction de l’agent OTCM, de celle de l’agent de sécurité et de l’agent Vivre en Ville ou de l’agent de prévention SEMVAT. Tous assurent une présence dans les stations, veillent à la validation du titre de transport, et peuvent contrôler la validité des titres.

On peut alors se demander quel est le sens de cette diversité de personnel ayant finalement les mêmes fonctions. À cela, un OTCM répondra en comparant le métro à un échiquier où tous les pions ont une fonction particulière, mais peuvent de temps en temps jouer le rôle d’un autre pion. Dans le métro, chaque personnel a une

fonction spécifique, mais peut jouer celle d’un autre. Il insistera encore sur la nécessité d’une présence dans le métro pour son bon fonctionnement et sa sécurité. Il importe que la loi soit respectée dans le métro, et ce, en faisant comprendre à la clientèle quel est l’intérêt des règles posées.

Les agents présents en station doivent donc aussi avoir un rôle pédagogique vis-à-vis de la clientèle. L’OTCM déjà cité, relatait une intervention qu’il avait faite auprès d’un client qui fumait dans une rame de métro. Il lui a dit en prenant à parti un autre client, qu’il allait devenir comme un cookie tout noir, lui et les autres passagers de la rame, s’il continuait à fumer ainsi. Le passager a arrêté de fumer et écrasé sa cigarette, réalisant la dangerosité de ce qu’il faisait.

Mais quelle est alors la spécificité des agents de Vivre en Ville ? La réponse spontanée de cet OTCM sera la suivante : « Les agents Vivre en Ville sont là

parce qu’on n’a pas le contact avec les jeunes, ils font ce qu’on (les personnels SEMVAT) ne sait pas faire ! » Il ajoutera même qu’ils sont là pour faire ce que la

SEMVAT ne veut pas faire, « les bons à tout faire » 104! Un discours plus modéré sur la

place des agents RIM se met en place ensuite au fil de la conversation, mais il est frappant que ce type de remarque ait été fait aussi spontanément, dès le début de la conversation sur les agents RIM. À la question, les agents RIM sont-ils là pour s’occuper exclusivement des jeunes ? La réponse est négative. Ils sont confrontés à tous les types de publics, et interviennent auprès de tous. Cependant, en réfléchissant sur les origines de la création de ces postes d’agents RIM, il pense que c’était pour s’occuper de la jeunesse.

Les agents RIM en parlant de leur travail, outre l’ennui qu’ils y ressentent, mettent en avant leur art de la discussion. Ils estiment qu’ils apportent malgré tout un « plus » par rapport aux autres professionnels du métro parce qu’ils discutent avec les gens. L’un d’eux décrit sa mission de médiation comme la capacité à apporter de la gentillesse et de la convivialité aux clients du métro. La médiation pour lui, c’est posséder des qualités personnelles telles que la capacité à se mettre au niveau des gens, quelle que soit leur culture, leur classe sociale. C’est aussi savoir expliquer gentiment et trouver un arrangement. Il ne comprend pas pourquoi on leur demande de plus en plus de faire du contrôle : cela ne fait qu’accroître le côté répressif de leur travail. Un autre agent reconnaissait la spécificité des agents RIM dans le fait qu’ils prennent le temps de parler avec les clients, contrairement aux contrôleurs ou aux agents de sécurité. « Les autres, ils discutent pas. Les contrôleurs, c’est « j’te mets un

PV et je cherche pas à comprendre ». Les agents de sécurité ils appellent les vérifs parce qu’ils veulent pas discuter, c’est sûr c’est pas leur travail ! Mais bon, un minimum quand même ! » (Un agent RIM)

C’est un travail essentiellement relationnel, et cela leur demande beaucoup d’énergie. Ils remarquent qu’il faudrait toujours être d’humeur égale, laisser de côté ses soucis personnels pour avoir de bonnes relations avec les clients. Et ce n’est pas chose facile, eux-mêmes se sentant en insécurité sociale et professionnelle. Ils parlent d’ailleurs d’une grande solitude dans leur travail.

« Tu donnes tellement que des fois t’as envie qu’on te donne quelque chose pour pouvoir continuer dans ce que tu fais… » Ils ont alors un sentiment

d’injustice : ils subissent beaucoup de pression, doivent user de beaucoup de tact, et de qualités relationnelles qui les usent à la longue.

Le rôle des agents RIM déborde sur d’autres tâches comme le contrôle, la vérification du bon fonctionnement du matériel des stations de métro. Mais cela, ils ne le font que de manière limitée parce qu’ils ne sont pas assermentés pour dresser un procès verbal, ni formés pour réparer un matériel qui tomberait en panne. Ils sont uniquement des relais. En cas d’incident, de fraude, de matériel défectueux, ils doivent en avertir le PC qui contacte les personnels formés et assermentés pour ces interventions. Ce qui n’est pas sans risque pour l’agent RIM en station. En effet, il peut être rapidement en difficulté lorsqu’on lui demande d’attendre la venue des vérificateurs pour dresser le procès verbal à un client fraudeur.

2.1.2.LE CORRESPONDANT DE QUARTIER DANS LA CHAÎNE DE TRAVAIL D’EDF

Les correspondants de quartier sont une équipe de 8 agents répartis par

Documents relatifs