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Le programme « Nouveaux services - emplois-jeunes » a donné naissance à des expérimentations différentes selon les territoires. Les objectifs sont sensiblement les mêmes : créer de nouveaux services afin de créer du lien social, pallier les difficultés des services publics sur certains territoires et avec certains publics, et contribuer à l’insertion des jeunes sans emploi. Mais ces dispositifs, nous venons de le voir, restent entièrement dépendants de la volonté politique qui les porte L’étude de l’association Vivre en Ville va nous permettre maintenant de mettre en évidence les enjeux sociaux du développement de telles expériences.

3.1.H

ISTORIQUE ET MISSIONS

Vivre en Ville, on l'a dit, naît en 1996 de la volonté du transporteur toulousain, la SEMVAT, d’EDF et de la Ville de Toulouse de créer un outil pour l’insertion des jeunes issus des quartiers « sensibles » – du Grand Mirail

essentiellement. C’est la rencontre de représentants de ces trois parties qui conduira à la création de l’association. Chacun selon des logiques différentes et liées à son environnement professionnel, milite pour la création de passerelles entre leurs entreprises et les jeunes des « quartiers sensibles ». Leur but est de rendre leurs entreprises parties prenantes des politiques de lutte contre l’exclusion.

Avec cette volonté, il y a le constat d’une augmentation de l’insécurité des agents de services publics dans ces mêmes « quartiers sensibles ». EDF face à la difficulté de recouvrer les dettes de certains usagers, conclut qu’il y a nécessité de

rétablir le dialogue avec ces usagers. La SEMVAT doit faire face à l’insécurité de ses agents dans certains quartiers, et faire diminuer la fraude. La conclusion est la même : il faut rétablir, voire simplement établir le dialogue entre les agents de services publics et les usagers – clients.

La population problématique est celle des quartiers en difficulté, le Grand Mirail essentiellement. Et elle est décrite sous l’angle de l’exclusion sociale liée au déficit de compréhension de la langue française, aux difficultés d’insertion sociale et professionnelle de ses habitants. Mais la jeunesse est plus particulièrement ciblée.

Chacune des entreprises partenaires du projet est représentée par une figure militante à qui est déléguée tout ce qui concerne l’association Vivre en Ville. Ce sont des cadres de l’entreprise qui ont acquis, par leurs expériences, leurs discours,

voire leur charisme, la confiance de leur hiérarchie.

Au fur et à mesure du développement de l’association, d’autres partenaires se sont ajoutés tels les bailleurs sociaux (OPAC et Patrimoine), l’association des entreprises de l’Ouest Toulousain, TOP, et la Caisse d’Epargne du quartier de Bellefontaine.

3.1.1.LE PROJET « VIVRE EN VILLE » À LA SEMVAT ET LA POLITIQUE DE PRÉVENTION

Le projet Vivre en Ville est porté à la SEMVAT, par le responsable du service Prévention, J.J.A. Ancien animateur de quartier, il devient éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). À l’issue de cette formation, il est recruté par la SEMVAT comme chargé de mission, et créera le Service Prévention dont il deviendra le responsable. Il apporte avec lui une forte volonté de rapprocher l’entreprise des quartiers, conscient par son expérience de l’image négative que les habitants - les

jeunes en particulier - ont du transporteur public, image renforcée par le racisme ambiant du personnel de la SEMVAT.

Rapidement, il mettra en place des animations en direction des enfants des « quartiers sensibles » en partant de l’analyse selon laquelle il vaut mieux intervenir auprès des enfants pour restaurer l’image du transport public. Ils constituent un public plus réceptif que leurs aînés. « Le vecteur enfant pouvait être intéressant pour travailler

sur l’image et préparer l’avenir »46. Il mènera ce travail dans son entreprise avec le seul

soutien de sa direction au départ. La perception de son action dans les quartiers par les conducteurs de la SEMVAT se résume de la façon suivante : « A., il file des T-shirts aux

Arabes qui nous pètent les bus ! »

Parallèlement à ce travail, il s’attaque au contentieux et prône la prise en compte de tous les délits. Son action part du constat d’un abandon de la police vis-à-vis des agressions et autres actes d’incivilité dont la SEMVAT est victime. De là, l’idée de placer des agents de prévention auprès des conducteurs en cas de difficultés. Ce qui contribue à améliorer le regard des conducteurs de bus sur l’action de J.J.A.

Le service Prévention de la SEMVAT a vocation à être présent auprès des conducteurs dans les situations problématiques de leur travail, à signaler les délits, à apporter des éléments d’identification et à faire le relais avec le service contentieux de la SEMVAT afin de permettre la poursuite de ces délits.

J.J.A. estime que la mise en place de cette politique est une avancée pour la SEMVAT : « Ça a permis largement de soigner notre image, d’améliorer notre

politique de sécurité, et petit à petit d’être plus préventif, et éducatif que répressif tel qu’on l’était, que dissuasif et primaire ». Il note des évolutions également au sein de

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l’entreprise sur la prise en compte du racisme. « Le petit racisme basique et primaire, il

touche toutes les phases, toutes les strates de l’entreprise (…) Je dis pas que ça s’est amélioré depuis mais on commence quand même à se poser les vraies questions ».47

La création du service Prévention a lieu au moment de la mise en circulation du métro toulousain qui relie désormais le centre ville aux quartiers du Mirail. Afin de remédier aux craintes des usagers du métro, une importante politique de sécurité est mise en place avec le recrutement d’agents de sécurité positionnés dans les stations. Mais la SEMVAT souhaite « adoucir » sa politique strictement sécuritaire dans le métro, et cherche alors à avoir un relais entre son entreprise et les quartiers qui focalisent sur eux toutes les craintes tant des usagers, des agents de la SEMVAT que des relais politiques.

C’est afin de poursuivre cette politique de rapprochement des quartiers de banlieues et de restauration d’une image souvent négative de l’entreprise, que la SEMVAT décide de créer avec EDF et La Ville de Toulouse, une association « qui

avait pour vocation de créer de la médiation ». L’association est prestataire d’un

service de médiation pour la SEMVAT et EDF.

Pour J.J.A., les salariés de Vivre en Ville affectés dans le métro ou dans les bus doivent « travailler sur l’environnement » des transports en commun.

Les agents de médiation dénommés « agents RIM » (Relais-Information Médiation) pour la SEMVAT ou « Correspondants de quartier » pour EDF, sont embauchés en contrat emploi-ville les premiers mois, puis emploi-jeune, le programme « Nouveaux Services – Emplois-Jeunes » ayant remplacé la mesure emploi-ville. Ce type de contrat permet à la SEMVAT de concrétiser ses projets d’aide à l’insertion

professionnelle des jeunes des quartiers en difficulté. Cela lui permet d’aller au-delà de ses actions en direction des enfants, et de donner un emploi à des jeunes des quartiers sans toutefois les intégrer à l’entreprise. Ces jeunes « médiateurs » sont un moyen de sécuriser le métro et certaines lignes de bus : ils connaissent les jeunes qui posent problème, sauront leur parler et désamorcer certaines situations conflictuelles. Leur compétence apparaît ici complètement liée à leur expérience sociale des quartiers.

La création de ces nouveaux postes a permis d’« adoucir » la politique sécuritaire du métro. Les entreprises de sécurité sont désormais moins présentes, du moins à certaines heures. Ce qui a entraîné le sentiment chez les entreprises de sécurité d’être concurrencées par les jeunes salariés de Vivre en Ville. Pour J.J.A., les emplois de Vivre en Ville sont une activité différente de celles des agents de sécurité : « je

considère qu’on a fait autre chose, on a créé une nouvelle forme de sécurité ».

Cependant, si les jeunes « médiateurs » sont issus des quartiers dont la SEMVAT dit vouloir se rapprocher, celle-ci insiste bien sur le fait qu’elle ne tient pas à reproduire l’expérience des « Grands Frères » de la RATP. « Pas d’accompagnateur

dans le bus parce que l’expérience parisienne avait montré que la politique du grand frère avait des effets négatifs. D’abord un côté mafieux : si tu passes pas avec les Cheyennes pour traverser le territoire Apache, tu passes pas. Et alors ça c’est mafieux. »48 Le conducteur de bus ne doit pas perdre la responsabilité de son bus en

étant systématiquement accompagné dans les « zones à risques ». Ce serait une humiliation pour lui et une déresponsabilisation.

La mise en place de cette mission de médiation semble bénéficier de beaucoup d’enthousiasme de la part des jeunes au début. Il reste des débuts le souvenir

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d’une forte implication dans la construction de cette nouvelle association Vivre en Ville. Il y avait une volonté de changer les choses dans la perception que les agents de la SEMVAT pouvaient avoir des jeunes des quartiers. Vivre en Ville y contribuait. Les jeunes du début de Vivre en Ville rappellent les difficultés qu’ils ont eues à se faire accepter par les agents de la SEMVAT, mais cette époque était pour eux, pleine de promesses pour l’avenir.

3.1.2.INSERTION ET MÉDIATION DANS LE DISCOURS DE LA SEMVAT

Très rapidement, le flou s’installe à Vivre en Ville quant aux objectifs de la SEMVAT vis-à-vis des jeunes agents RIM. En effet, à son besoin de développer une politique de prévention dans les quartiers, elle a associé une politique d’insertion professionnelle peu claire pour les jeunes.

Les jeunes recrutés par Vivre en Ville voient dans l’association un moyen de travailler à long terme à la SEMVAT. D’autant plus que lors d’une rencontre entre la direction de l’entreprise et les agents de médiation de Vivre en Ville, la SEMVAT aurait annoncé vouloir embaucher chaque année 5 jeunes de Vivre en Ville. Quelques jeunes ont été embauchés rapidement par la SEMVAT suite à leur passage à Vivre en Ville. C’est ainsi qu’est née une sorte d’illusion selon laquelle Vivre en Ville était un simple sas d’embauche pour la SEMVAT. Cette illusion est devenue désillusion avec les années et la baisse du nombre de jeunes embauchés à la SEMVAT.

Pour J.J.A., les responsables de Vivre en Ville auraient entretenu cette illusion dans la tête des jeunes. « On offre 5 postes à condition qu’on ait des gens aptes

à rentrer et donc prêts. Tant qu’on se cantonne (…) à faire croire à des jeunes que parce qu’ils ont fait 2 ou 3 exploits dans la médiation, ils vont rentrer à la SEMVAT,

la médiation, ça c’était la prestation à rendre, rentrer à la SEMVAT, c’était pas « j’ai fait une bonne prestation, je rentre. » Ça c’est 50 % du chemin, il faut accompagner les 50 % autre, et s’y préparer ».49

Le discours de J.J.A. met en évidence la complexité du dispositif constitué autour de Vivre en Ville. L’association s’est créée dans un double objectif : aider des jeunes à s’insérer professionnellement et développer une politique de prévention de l’insécurité sur le réseau de la SEMVAT. Partant de son objectif d’insertion professionnelle, les emplois de Vivre en Ville ont vocation à aider les jeunes recrutés à se « resocialiser » avec le travail. Il s’agit pour J.J.A. de ramener des jeunes loin du monde du travail à cause de leur vécu familial, et de leur expérience dans le « quartier ». Il s’agit de faire sortir des jeunes de l’engrenage de la violence, de la fraude… dans lequel ils ont pu rentrer pour les ramener à la « norme » d’une certaine manière.

Le passage par Vivre en Ville doit contribuer pour les jeunes sur lesquels la SEMVAT a fait le pari de leur insertion professionnelle, à se resocialiser.

À travers ces emplois de « médiateurs » créés par le biais de Vivre en Ville, il est question, pour ces jeunes, de montrer le camp qu’ils ont choisi : celui du quartier ou celui du service public, et par là celui de la « norme » en quelque sorte. En effet, si l’on regarde de plus près ce qui demandé aux agents de médiation dans les bus et les stations de métro, il est question pour eux de faire respecter de manière « douce » les règles du transport public, à savoir le règlement d’un titre de transport principalement. Être agent de médiation dans le métro c’est donc se mettre du côté de la SEMVAT. Ils doivent s’assurer que tout le monde respecte le code de passage de la

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ligne de contrôle dans le métro. Ils doivent se tenir principalement à la ligne de contrôle, frontière permettant l’entrée dans le métro. Dans le cas où un client ne respecterait pas la règle, ils doivent user de leurs capacités de dialogue. Ils doivent négocier avec les clients pour les amener à payer leur titre, à respecter les autres règles liées au transport en commun.

Les agents RIM sont également tenus de contrôler les titres de transports des usagers, mais pas de façon systématique – ils ne sont pas vérificateurs – seulement de manière ponctuelle. « Dans la mission d’accueil, de sécurité, de renseignement

auprès des gens, les agents RIM, on leur demande de temps en temps de demander la carte-clé aux gens pour bien signifier qu’il y a un territoire à respecter… ».50 Cette tâche pose problème pour beaucoup d’agents. Ils ont le sentiment que cela ne fait pas partie de leur mission de médiation. Pour J.J.A.au contraire, le contrôle rentre dans la droite ligne de la mission des agents RIM. Comment en effet amener les usagers à utiliser le titre de transport si on ne peut contrôler qu’ils le font effectivement ? Mais cela rentre aussi et surtout dans l’objectif d’insertion assigné à cet emploi de médiation pour les jeunes des quartiers.

« Et d’après moi, c’est… ceux qui le vivent mal, c’est ceux qui n’ont pas encore complètement choisi leur camp, qui n’ont pas fait euh… qui sont en quête encore par rapport à ça.(…) C’est la clé de l’insertion, dit J.J.A, s’ils veulent être chauffeurs de bus un jour chez nous, ils seront obligés de faire payer des titres… ». L’insertion des

jeunes de Vivre en Ville est ici associée à l’intégration dans le personnel de la SEMVAT. Mais Vivre en Ville n’est pourtant pas le sas d’entrée à la SEMVAT.

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Par ailleurs si l’on interroge la SEMVAT sur le devenir des emplois de médiateurs, il n’est pas question d’envisager leur pérennisation. « Pourquoi c’est pas un

métier, un médiateur ? C’est sûrement pas quelque chose qu’il faut pérenniser, parce que pérenniser pour moi un médiateur, c’est intégrer la notion de ghetto, et ça je veux pas (…) Je comprends qu’à un moment donné pour rétablir une situation, le lien interrompu aussi bien professionnel que dans la relation humaine simple, il soit nécessaire de faire un pont…pour rétablir le lien (…) Je préfère que les jeunes beurs soient conducteurs plutôt que de dire, « on met un beur agent de prévention », et le conducteur… enfin où on va… ? » La relation avec les usagers des « banlieues

sensibles » est difficile aujourd’hui. Les médiateurs doivent donc contribuer à changer la donne de cette relation en travaillant sur l’image que chaque partie a de l’autre. La philosophie de la médiation n’est pas de se pérenniser, mais d’intervenir de manière ponctuelle. On peut malgré tout se demander quelle valeur était accordée à la notion même de médiation, à ce besoin de lien social, dans la mesure où on l’a confié à des jeunes que l’on disait vouloir « re-socialiser ». La plupart des jeunes en poste ont su en effet faire preuve des qualités relationnelles nécessaires pour établir une médiation, mais la fonction ne méritait-elle pas d’être valorisée en accordant un statut autre que celui de « jeune en insertion » à ces agents de médiation ?

J.J.A. envisage ces emplois de médiateurs comme temporaires, le temps d’améliorer la relation usagers-agents de la SEMVAT. Il estime que les qualités de dialogue inhérentes au métier de médiateur devraient faire partie des compétences des agents de service public. Les difficultés relationnelles ne sont pas seulement dues aux populations des quartiers, mais les agents de services publics ont leur part. Les agents de médiation par la spécificité de leurs interventions, et les qualités qu’ils mettent en

avant devraient contribuer à renouveler le métier de conducteur, et l’image que les agents de la SEMVAT pourraient avoir des jeunes des « quartiers sensibles ».

Ces emplois semblent porter avec eux de nombreux objectifs : renouveler l’image du service de transport public, changer le regard des agents de service public sur les jeunes, aider à l’insertion des jeunes, rétablir le dialogue entre usagers-clients et agents de service public… Il reste au centre de tous ces enjeux l’espoir de jeunes de trouver une issue en termes d’insertion sociale et professionnelle.

On a bien compris que l’insertion était liée au choix d’un camp, en l’occurrence ici la loi du quartier ou celle du service public. Choisir de faire respecter le territoire de la SEMVAT apparaît comme la condition sine qua non pour trouver une issue au problème de l’emploi rencontré par les jeunes. La SEMVAT semble s’être donnée pour objectif de sortir des jeunes de leurs banlieues et de leurs codes. L’insertion semble se définir de cette manière pour la SEMVAT. Pour les aider à choisir leur camp : un emploi, celui d’agent de médiation.

L’exercice de cette fonction apparaît comme une façon de se racheter, et de prouver son utilité sociale malgré un passé de « jeune des quartiers ». Leurs liens avec le quartier vont être utilisés de façon positive pour la société : faciliter la négociation des règles du transport avec les jeunes qui fraudent en particulier.

Ce qui se met en place avec Vivre en Ville semble aller dans le sens de ce qui se fait depuis de nombreuses années dans la politique de la ville à Toulouse. Comme le montrait Marie-Christine Jaillet51 au sujet de la Régie de quartier de la

Reynerie, Vivre en Ville choisit de recruter les jeunes qui manifestent la volonté de se

51

Marie-Christine Jaillet-Roman, Réflexions autour de la question des jeunes et de la « fracture urbaine »

démarquer du quartier d’origine. Ils sont recrutés sur leurs compétences culturelles, expérientielles, mais avec cette volonté de rompre avec la communauté. Ce désir de rupture apparaît en effet comme la condition sine qua non de la mobilité sociale, de l’ascension sociale à laquelle tout un chacun doit aspirer.

Dès lors, l’hypothèse posée par Marie-Christine Jaillet selon laquelle les dispositifs d’insertion par l’activité économique, dans les quartiers de la politique de la ville, viseraient moins à construire de la territorialité qu’à vider le quartier de ses forces « promouvables », semble se vérifier en ce qui concerne Vivre en Ville.

3.1.3.L’ÉMERGENCE DE LIDÉE « VIVRE EN VILLE » À EDF

Comme à la SEMVAT, le portage du projet « Vivre en Ville » à EDF-GDF Services Grand Toulouse est très lié à une personnalité militante, Mme J.,

Assistante sociale à la DDASS puis à EDF, pendant de longues années. Au bout d’un certain temps, son métier la lasse, et elle demande à suivre une formation continue sur le

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