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L A QUESTION TEMPORELLE EN A NALYSE DE CYCLE DE VIE

CHAPITRE 1. ÉTAT DE L’ART ET POSITIONNEMENT DU SUJET DE THÈSE

1.3. L A QUESTION TEMPORELLE EN A NALYSE DE CYCLE DE VIE

ANALYSE DE CYCLE DE VIE

La prise en compte des aspects temporels en analyse du cycle de vie a conduit à développer la méthode d’ACV dynamique. Ce terme peut être employé soit concernant la modélisation du système étudié et l’inventaire qui en découle, soit concernant une variabilité temporelle des impacts environnementaux des différentes émissions dans le temps (Beloin- Saint-Pierre, 2012).

L’ACV dynamique est définie par Collinge et al. (2013) comme une approche de l’ACV qui intègre explicitement de la modélisation dynamique. Le cadre formalisé par Collinge peut être appliqué à l’approche attributionnelle ou conséquentielle, et intègre une considération temporelle dans l’ensemble de la méthodologie ACV (figure 2 ci-dessous).

Figure 6 : Diagramme conceptuel de l'ACV dynamique, extrait de Collinge et al. 2013

L’approche dynamique peut concerner des échelles de temps plus ou moins longues (variation du système sur une année, ou sur un horizon de plusieurs dizaine d’années), et différents pas de temps peuvent être considérés dans la modélisation (p. ex. 1 heure, 1 an).

1.3.1. Variation temporelle de l’inventaire

Plusieurs paramètres influençant l’élaboration de l’inventaire peuvent varier en fonction du temps : les procédés unitaires du système étudié, la configuration technologique des systèmes industriels d’arrière–plan ainsi que les émissions et les ressources nécessaires par unité de procédé technologique.

Plusieurs paramètres du vecteur f, dont les éléments fi représentent la quantité nécessaire

de produit i pour la réalisation de l’unité fonctionnelle du système étudié, peuvent être représentés comme une fonction du temps. Par exemple dans le cas d’un bâtiment, le besoin en énergie pour le chauffage varie selon les heures, les jours et les saisons. Il varie également d’année en année : le vieillissement du bâtiment diminue ses performances thermiques ; une rénovation peut les améliorer. Les besoins en électricité spécifique varient également sur différents pas de temps (p. ex. heures, jours) et peuvent aussiévoluer au cours des années (p. ex. remplacement des ampoules à incandescence par les ampoules à basse consommation, appareils électroménager et bureautiques plus performants, voire évolution de la consommation électrique due à l’augmentation des prix).

Concernant les matériaux et les systèmes, plusieurs ont des durées de vie inférieures à la durée de vie du bâtiment et doivent donc être remplacés (p. ex. revêtements, menuiseries, chaudière). Ceci peut donc également donner lieu à un séquençage temporel (Rivallain, 2013).

La matrice représentant le système technologique d’arrière-plan est noté A dans la formulation matricielle de l’analyse de cycle de vie. Cette matrice inclut par exemple la représentation du mix électrique, les infrastructures de gestion des déchets, la chaîne de production gazière, etc. Le coefficient aij représente la quantité nécessaire issue du

processus i pour produire une unité issue du processus j. La colonne j représente donc la composition, la « recette » de fabrication d’une unité de produit j.

Comme expliqué par Jolliet et al. (2010), la quantité totale X de produits (xi) générée par

une demande Y de produits (yi) peut s’exprimer par une suite mathématique. A×Y

représente la production indirecte de 1er ordre du système technologique nécessaire pour produire Y. En effet, pour produire le matériau y1 entrant dans la composition de Y, il a fallu

produire l’ensemble des composants de la colonne de A correspondant au produit y1 (la

« recette » de y1), par exemple électricité, transport, chaleur, matériaux intermédiaires… De

même, A×(A×Y) représente la demande en production indirecte sur le système technologique pour produire le vecteur demande résultant de A×Y… On a donc :

1-2

où l’on peut reconnaître la suite mathématique :

1-3

Les coefficients lij de la matrice L représentent la quantité totale de produit i qui sera

générée par la production d’une unité de j. Elle inclut la consommation intermédiaire du système technologique nécessaire pour satisfaire la demande : au contraire de la matrice A,

elle tient compte des interactions entre les secteurs économiques, des productions indirectes provenant de processus utilisés au 2e, 3e niveau, etc. : « la machine qui a fabriqué la machine qui a permis de produire l’intrant de l’inventaire de production » (Jolliet et al., 2010).

Remplacer la matrice A par une matrice A(t), fonction du temps peut être, de façon analogue au vecteur f, effectué sur deux échelles de temps : court terme ou long terme. À court terme, il s’agit de rendre compte de variations temporelles à des échelles inférieures à l’année (saisonnière, hebdomadaire, horaire…). Un exemple est le système électrique, dont les filières de production varient dans le mix en fonction de la saison, du jour et même de l’heure considérée. À long terme, il s’agit de prendre en compte l’évolution des procédés technologiques : changement dans les capacités installées (p. ex. remplacement des centrales au charbon par des centrales au gaz, développement de la filière recyclage pour la production d’acier), intégration de nouvelles technologies (p. ex. recyclage des panneaux photovoltaïques, gaz de schistes), amélioration de l’efficacité des systèmes et des infrastructures (p. ex. amélioration du taux de recyclage interne, efficacité énergétique des moyens de production, diminution des pertes). Cette vision à long terme aborde les enjeux prospectifs qui sont développés dans le Chapitre 4.

Le dernier paramètre qui peut évoluer en fonction du temps, et ainsi impacter l’inventaire de cycle de vie est la matrice B. Ses coefficients bij représentent l’émission de substance i (ou

la consommation de ressource i) par unité de production d’un processus j. Par exemple, quelle quantité de SO2 sera émise par la production d’un kilowattheure d’électricité par une

centrale à charbon ?

Les coefficients de cette matrice peuvent évoluer notamment en raison de réglementations sur les émissions (p. ex. réglementation européenne sur les émissions de CO2

des véhicules neufs), de quotas (p. ex. marché du CO2), de taxes, de l’interdiction puis de la

substitution de certaines substances (p. ex. Protocole de Montréal), de la mise en place de systèmes de dépollution dans les usines (p. ex. filtres sur les cheminées, traitement des effluents).

Certaines études d’ACV dynamique se basent sur un modèle d’évolution du système, des technologies, et donc de l’inventaire qui en découle, soit avec une optique de variation à court terme (Peuportier et Herfray 2012 ; Collinge et al. 2011), soit à long terme (Pehnt, 2006). D’autres choisissent de considérer plus spécifiquement les facteurs de caractérisation des impacts, comme présenté dans le paragraphe suivant.

1.3.2. Variation temporelle des facteurs d’impacts

Après avoir effectué l’inventaire de cycle de vie, les différentes substances et ressources listées sont agrégées sous forme d’indicateurs environnementaux grâce à des facteurs de caractérisation. Ceux-ci permettent de prendre en compte différentes substances sur une même base, relativement à un problème environnemental spécifique.

On évalue par exemple l’impact sur le changement climatique par l’intermédiaire du forçage radiatif cumulé des différents gaz rapportés à celui du dioxyde de carbone, sur une durée donnée (nous considérons 100 ans). Les équivalents CO2 générés sont ainsi sommés

pour donner l’impact « Potentiel de réchauffement global » (PRG) total. Le PRG d’une substance i est donné par la formule suivante issu de Solomon (2007):

1-4

Un facteur de caractérisation comme le PRG d’un gaz (i.e. combien de kg équivalent CO2 il représente) est lié à des variations temporelles puisque la concentration du gaz varie dans le temps (dégradation, durée de vie du gaz dans l’atmosphère). La critique principale sur ce type d‘évaluation de l’impact du gaz vient du fait qu’on ne prend pas en compte le moment où l’émission se produit, ce qui peut poser problème, notamment lors de la prise en compte du carbone biogénique (Kendall, 2012). En effet, il y a alors une incohérence entre la durée d’analyse considérée dans l’inventaire et celle utilisée pour la caractérisation des impacts, comme illustré par la Figure 7, extraite de Levasseur et al. (2010).

Figure 7 : Incohérence du cadre temporel en ACV statique (Source : Levasseur et al.).

Cela conduit à la définition de facteurs de caractérisation variables au cours du temps. Cette démarche est indissociable de la réalisation d’un inventaire dynamique, tenant compte du moment d’émission. Les résultats présentés sur le thème du carbone biogénique dans la littérature scientifique montrent que l’interprétation des résultats d’une ACV peut être

remise en question par la prise en compte de cette dynamique. Cependant, on retrouve des résultats similaires entre un calcul utilisant des facteurs de caractérisation variables et un calcul avec des facteurs fixes en considérant une durée d’analyse longue pour le PRG (500 ans), voir notamment les récents travaux de Levasseur et al. (2013).

Shah et Ries (2009) ont également montré l’importance de l’introduction de facteurs de caractérisation mensuels pour le calcul du potentiel de production d’ozone photochimique, à cause notamment des températures plus élevées et de l’irradiation plus importante en période estivale. Les facteurs de caractérisation hivernaux sont de deux ordres de grandeur plus faibles que les facteurs estivaux. Les travaux de Van Zelm et al. (2007) ont également montré l’importance de l’horizon temporel considéré pour le calcul du potentiel d’acidification, en proposant une méthode orientée dommage pour caractériser les effets de l’acidification sur les forêts européennes.

Le développement d’indicateurs et de facteurs d’impacts précis et robustes est un des axes de recherche les plus actifs en analyse de cycle de vie. Au fur et à mesure des années, de plus en plus de données sont disponibles. Cependant, l’implémentation de ces méthodes reste conditionnelle à l’obtention de données de précision équivalente concernant la description du système étudié et de son arrière-plan, ce qui pose d’importantes difficultés méthodologiques (Beloin-Saint-Pierre, 2012). En pratique, l’utilisation de ces nouvelles méthodes est aujourd’hui limitée au système étudié car elles ne sont généralement pas intégrées dans les bases de données.

1.3.3. Conclusion

La prise en compte des variations temporelles en ACV, appelée aussi « ACV dynamique » est un récent développement de la méthode introduisant plus de détails et de précision à tous les niveaux de la modélisation (système étudié, représentation technologique, substances émises, caractérisation des impacts). Elle peut être appliquée à une approche attributionnelle ou conséquentielle, et peut être déployée tant sur un horizon à court terme qu’au niveau de scénarios d’évolution sur le long terme.

L’introduction de nouveaux mécanismes (économiques, technico-économiques) par l’approche conséquentielle nécessite plus d’informations sur le système étudié et son environnement, informations qui peuvent être obtenues en partie grâce à l’ACV dynamique. L’approche conséquentielle est ainsi régulièrement associée à l’ACV « dynamique » (Stasinopoulos et al., 2012).