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L’observateur et le terrain : une relation de confiance

Partie II : Lorsque les interactions de classe deviennent un objet de recherche : questions de

6.4 L’observateur et le terrain : une relation de confiance

Chaque corpus que l’on recueille demande de la part du chercheur, un bricolage ad hoc pour répondre aux contraintes liées à la nature des questions que l’on se pose, à la nécessité de perturber le moins possible l’écologie de la classe et surtout au respect des personnes qui acceptent que leur activité professionnelle (y compris les élèves, si l’on considère, à la suite de Perrenoud, qu’ils exercent un « métier d’élève ») fasse l’objet d’une recherche.

Au moment de la constitution du corpus et de l’écriture de la recherche, l’observateur d’une interaction doit prendre un certain nombre de précautions pour établir et maintenir une relation de « confiance » avec les partenaires du terrain et avoir un retour réflexif sur sa présence, qu’il prend en compte, dans ses analyses, comme un élément du contexte

6.4.1 l’autorisation d’enregistrer ou de filmer

Pour toute recherche dont les résultats doivent être publiés, et/ou dès que des enfants sont impliqués dans le corpus, il convient de prévoir de solliciter de la part des participants (et/ou de leurs parents pour les mineurs), la signature d’une autorisation. Dans le document que l’on fait signer aux participants, pour solliciter leur autorisation à les enregistrer/filmer, devrait figurer la nature de l’exploitation et de la diffusion des données :

- comment les données seront diffusées (image, son, transcription anonymée….)

- à qui (jury de mémoire, équipe de chercheurs, collègues en formation). - à quelles fins elles seront exploitées (recherche/formation).

La démarche qui consiste à faire signer les autorisations peut se révéler délicate car elle formalise, officialise voire réifie la relation observateur-observé,

alors que cette relation complexe se construit (déconstruit/reconstruit) au jour le jour, pendant toute la durée de la présence du chercheur sur le terrain. Pour cette raison, il n’est pas forcément souhaitable de prévoir de solliciter les autorisations106 avant la réalisation du film.

Une fois que le chercheur et l’enseignant qui a ouvert sa classe ont connaissance des données recueillies, ils ont une vision plus claire du type de diffusion et d’exploitation qu’ils peuvent envisager/accepter. Un enseignant qui hésiterait à signer une autorisation107 peut être mis en confiance s’il comprend mieux le regard et le type d’intérêt que le chercheur porte aux interactions qui se développent dans sa classe. Une relation de confiance peut le rassurer sur le fait que le corpus ne sera pas exploité pour construire une critique de sa compétence professionnelle.

On peut s’interroger sur la profusion des documents de cadrage et la multiplication des comités éthiques qui fixent les limites de l’autorisé et de l’interdit et ont, dans certains pays, le pouvoir d’autoriser et d’interdire le développement de recherches académiques, y compris en sciences sociales. Quels sont leurs buts et leurs effets ? Un effet qui ne doit pas être négligé, est celui de la « normalisation » de pratiques de recherches, dans un champ où la diversité des terrains et des questions de recherche nécessite a priori des solutions ad hoc. On peut penser au long récit qui introduit l’étude ethnographique de D. Le Poutre sur les « Codes, rites et langages » des jeunes d’une cité de La Courneuve. Il raconte, dans le détail, les nombreux avatars de ses relations complexes avec l’un de ses jeunes informateurs, Samir, et conclut ainsi : « C’est bel et bien dans la relation spécifique entre l’ethnologue et ses interlocuteurs, dans les réussites et les difficultés de cette relation, que s’élabore sans aucun doute, une part essentielle de la réflexion dont est issu le travail d’analyse ethnologique. Autrement dit, ce qu’apprend et comprend l’ethnologue, il ne peut le faire qu’au prix de cette relation, quelles qu’en soient par la suite les conséquences négatives ou positives, et pour lui et pour ceux avec qui ces relations ont été nouées. ». S’il explique d’emblée à ses informateurs potentiels qu’il « entreprend un travail de recherche sur la cité des Quatre Mille », la négociation de la relation qu’il entretient avec ce jeune adolescent est continue, tout au long des deux années que dure l’enquête et l’on se demande quel type de « contrat » initial, écrit ou oral, aurait pu la cadrer.

106 Exception faite, encore une fois, des publics d’enfants, que l’on ne peut filmer ou photographier que si les parents ont au préalable donné leur autorisation. Dans certaines écoles, où il est difficile d’obtenir des réponses des parents, l’école se contente d’une information, avec possibilité pour les parents, de manifester leur opposition. Cette solution nous semble acceptable si la circulation des données est strictement contrôlée par le chercheur qui les a recueillies et si celles-ci sont uniquement montrées dans le cadre du travail de recherche ou de formations d’enseignants.

107 Dans le cas d’une signature d’une autorisation réalisée avant les enregistrements, il est rassurant pour l’enseignant de prévoir une « clause de rétractation ».

Un autre effet possible de la formalisation des relations avec le terrain est celui de contribuer potentiellement à la « judiciarisation de la société » en introduisant une logique de contrat écrit, là où des ajustements oraux pourraient peut-être suffire.

Sans perdre de vue les risques de « réification » des pratiques de recherche, on ne peut que se réjouir de voir une telle réflexion se développer pour accompagner le chercheur dans la formalisation d’un code à respecter et l’inviter à ne pas laisser dans l’ombre des questions aussi sensibles que cruciales. Des articles comme ceux de Gadet (2003) et Mondada (2005)108

peuvent éclairer les choix que l’on est conduit à faire et assumer à chaque pas de la recherche, et dont aucun quitus donné par un comité de déontologie et d’éthique ne saurait dispenser.

6.4.2 le consentement éclairé

L’étape de l’enregistrement des données et de la signature de ces autorisations doit être précédée/accompagnée d’une phase d’explicitation du projet de recherche, étape qui peut permettre d’éclairer des points de la collaboration qui vont de soi pour l’un ou l’autre des partenaires mais pas pour les deux (observateur ou observé). Elle peut, dans le cas de recherches qui se fondent sur l’implication réciproque de l’observateur et de l’observé sur leurs terrains respectifs (terrain de la classe et terrain de la recherche), être l’occasion de redéfinir des questions de recherche et des points du protocole.

Concernant le lien entre l'information des informateurs sur le projet de recherche et l'autorisation d’enregistrement et d’exploitation, Mondada, dans un rapport de recherche109, explique la notion de « consentement éclairé ». Elle rappelle que « sans information, la demande d’autorisation n’a pas d’objet ni de sens » (2005 : 13).

Cette explicitation peut se faire par écrit ou par oral. Il peut être nécessaire

108 Articles dont la mise en ligne, en accès libre, résulte très certainement elle aussi d’un choix.

109 Mondada (2005) propose un rapport de recherche très complet sur les questions éthiques et juridiques que soulève tout travail s’appuyant sur l’enregistrement, la transcription et l’analyse d’interaction. Il est suivi d’exemples de documents pour « autorisation d’enregistrement » et de fiches d’informations réalisées pour exposer à de futurs informateurs, le projet de recherche en cours. On peut consulter également, sur le site de l’Université de Montréal, un document intitulé « information relative aux formulaires de consentement » . Celui-ci prévoit les rubriques qu’il faut renseigner avant de solliciter le consentement d’un participant parmi lesquelles : objectifs de la recherche, participation à la recherche (cadre spatio-temporel, cadre participatif – qui participera à la recherche - et moyens techniques utilisés). Parmi ces rubriques figurent encore : confidentialité, diffusion ou anonymat des informations, utilisation des enregistrements, avantages et inconvénients que l’on peut anticiper pour les participants, droit de retrait, diffusion des résultats. Pour une information complète sur ce document voir :

de la faire par écrit notamment lorsque la collaboration implique deux institutions (un laboratoire et un établissement scolaire par exemple) et/ou lorsqu’elle implique une collaboration qui dépasse la simple collecte d’enregistrements dans la classe (entretiens, recherche de type action avec évaluation des effets d’une démarche etc.). Les questions que peuvent se poser les apprenants et les enseignants sont très variées suivant le contexte, leur âge, leur relation à l’institution scolaire etc. Et l’étape d’information qui permet le « consentement éclairé » doit aussi être l’occasion d’entendre leurs questions. De manière générale, les enseignants ont besoin d’être rassurés sur le fait que les analyses qui seront portées sur les interactions enregistrées ne seront pas conduites en termes de « bonne ou mauvaise pratique » et ne conduiront pas à une évaluation de leur compétence professionnelle. Les participants ont également besoin d’être informés sur les questions de recherche qui orientent l’observation. Il peut être contre-productif d’indiquer précisément aux participants sur quoi porteront les analyses puisque cela, immanquablement, orientera leurs comportements. Il faut donc trouver un degré d’explicitation du projet qui permette aux participants de comprendre, au moins grossièrement, ce qui est en jeu dans le travail d’observation dont ils font l’objet sans risquer de biaiser les données collectées. Il est parfois possible de négocier avec les participants de ne donner qu’une information très globale sur le projet, en s’engageant à préciser les questions de recherche après l’enregistrement, les informations données a posteriori pouvant aller jusqu’à un retour sur les résultats de recherche.

La question des relations avec l’institution scolaire (information à donner et autorisation à obtenir de sa part) doit être discutée avec l’enseignant qui ouvre sa classe aux observateur et doit donc être considéré comme le premier interlocuteur110 et l’intermédiaire vis-à-vis des parents et de l’institution. Le degré d’explicitation du projet peut varier suivant les partenaires auxquels on s’adresse.

110 Mes nombreuses expériences d’enregistrements de cours, ainsi que celles de mes étudiants m’ont convaincue que les enseignants constituent la clef, qu’on appelle en « ethnographie » le « gatekeeper », pour pouvoir constituer des corpus dans les classes. En France tout au moins, la direction d’un établissement d’enseignement public ne peut pas imposer à un enseignant qu’une caméra s’installe dans sa classe (et, le pourrait-elle, voudrait-on y aller ?). L’enseignant connaît ses élèves et son institution, et lorsqu’il accepte, il est assez rare que l’on rencontre un refus de la part des autres personnes ou instances sollicitées pour l’accord. Solliciter d’abord les enseignants apparaît alors comme une bonne stratégie pour nouer avec ces « maîtres des lieux », une relation de confiance et cela constitue aussi souvent un gain de temps.

6.5 L’implication des différents participants dans le cours et dans la