• Aucun résultat trouvé

Le co-texte diachronique ou l’histoire interactionnelle commune du groupe

Partie II : Lorsque les interactions de classe deviennent un objet de recherche : questions de

6.1 Le contexte des échanges

6.2.3 Le co-texte diachronique ou l’histoire interactionnelle commune du groupe

Une des caractéristiques du cours est de s’inscrire dans une histoire interactionnelle relativement longue et cadrée qui permet aux apprenants et aux enseignants de partager des mondes sur lesquels ils s’appuient pour construire ensemble le sens de leurs échanges. Cette histoire interactionnelle fonctionne comme un « co-texte » non-immédiat et elle est très souvent mobilisée explicitement dans les échanges, comme nous l’avons vu. Les références explicites à des épisodes passés de l’histoire interactionnelle ne constituent pas des défis méthodologiques importants en termes de sélection des données

textuelles pertinentes puisque le discours de l’enseignant ou des apprenants signale clairement sur quel co-texte doit s’appuyer la construction du sens93. Mais cette inscription de l’échange dans l’histoire interactionnelle du groupe peut être implicite. Des gestes peuvent ainsi se charger d’un sens conventionnel partagé uniquement par l’enseignant et ses élèves. L’observateur qui ne vient qu’une fois dans une classe, peut « passer à côté » du geste en question (et ne pas voir par exemple que l’enseignant a sollicité, par un petit geste de la main, une auto-correction), ou il peut saisir le geste sans être capable de l’interpréter. A propos du métalangage utilisé dans la classe, Cicurel a montré l’émergence d’un métalangage « ad hoc » qui doit rendre vigilant celui qui analyse un corpus isolé car « il lui est difficile d’attribuer au discours grammatical la cohérence qu’il a en réalité pour les apprenants, qui, eux, sont habitués aux conventions utilisées par l’enseignant ». (Cicurel, 1986 : 39). Les conventions de communication qui se construisent au sein d’un groupe classe, restent largement incompréhensibles si l’on assiste à un seul épisode de l’histoire interactionnelle d’une classe. On voit donc pourquoi le chercheur peut avoir intérêt, sinon à enregistrer, du moins à observer plusieurs cours avant celui ou ceux sur lesquels il compte prioritairement concentrer ses analyses.

On peut rajouter dans cette rubrique un certain nombre d’informations qui cadrent institutionnellement l’histoire interactionnelle dans laquelle s’inscrit le cours (fréquence et durée du cours, caractère obligatoire ou non du cours, enjeux) ou d’épisodes à venir qui, bien que situés en aval du cours, pourraient avoir une influence rétroactive sur son déroulement (modalités de l’évaluation finale etc.). Comme toujours, les questions de recherche orientent la sélection des éléments contextuels jugés pertinents pour l’analyse. Ainsi, dans le cadre d’une étude de la construction d’une relation d’autorité en classe, on n’interprétera pas de la même manière le refus d’un élève d’être sorti du cours, si le cours est obligatoire et s’il est facultatif. Cette même question sur la construction des rapports de place nécessite également de se poser la question de qui notera les apprenants et de l’impact de cette note sur la suite ou la fin de leur formation.

6.2.4 Les biographies langagières et éducatives des participants

Par ailleurs, les interactants ont, en dehors de cette histoire commune, des histoires interactionnelles multiples, qui ont jalonné leur vie et qui sont, partiellement au moins, connues des autres participants au cours. Aussi, peut-on être amené, dans le cadre de l’analyse des interactions, à mobiliser des

93 L’observateur peut solliciter des éclaircissements après le cours, s’il ne connaît pas l’épisode auquel il est fait référence.

informations dont on dispose concernant leur statut94 (sexe, âge, profession…) et leurs parcours biographiques (parcours migratoire, répertoire langagier, parcours scolaire…). Dans une recherche focalisée sur la co-construction interactionnelle des discours, on ne cherche pas à établir une relation univoque entre une caractéristique biographique ou statutaire et un comportement95 : les comportements langagiers des participants sont toujours interprétés par rapport à la dynamique de l’échange. Mais ils ne sont pas non plus étudiés en regardant les acteurs comme des « hommes sans passé ». Les analyses d’interaction de classe évoquées dans ce cours s’inscrivent dans le paradigme « dispositionnaliste » présenté par Lahire (2011), qui réfléchit les deux écueils de l’étude des pratiques humaines qui consistent à adopter une perspective résolument « déterministe » (qui confère « un poids écrasant au passé de l’acteur » id. p.34) ou au contraire à étudier ces pratiques dans une perspective qu’il qualifie de « contextualiste ».96

Ces informations biographiques et statutaires sont pertinentes lorsque, partagées par une partie au moins des participants, elles peuvent contribuer à éclairer des allusions, des connivences, des rapprochements, des conflits etc. qui se construisent interactionnellement. Parfois elles sont explicitement mentionnées par les participants « Vous qui avez déjà passé les épreuves du Delf, dites-nous… ». Mais le plus souvent elles restent dans l’implicite. Le chercheur, lorsqu’il mobilise, pour ses analyses, des sources d’information sur les participants, externes à l’échange lui-même, doit être explicite sur 1. La source d’information (un autre cours qu’il a observé, des entretiens avec les participants, des conversations de couloir etc.) 2. Ce qu’il sait du caractère partagé ou non par les autres participants de l’information qu’il mobilise pour construire son analyse. Il doit aussi être prudent et s’en tenir à des hypothèses interprétatives. Je peux faire l’hypothèse que, dans un groupe d’apprenants

94 Rappelons que ce terme désigne pour nous les caractéristiques « stables » des participants et que les caractéristiques statutaires se distinguent ainsi des rôles interactionnels par le fait que, même si toutes les caractéristiques statutaires des participants ne sont pas activées dans une interaction, elles ne dépendent pas de l’interaction en cours (sauf interactions liées à des « rites de passage » comme le mariage, la remise de diplôme etc. dont le but est justement de « faire changer » un ou des participants de statut).

95 Les caractéristiques biographiques jouent un rôle important mais elles sont difficilement isolables les unes des autres et il est bien difficile de déterminer le poids de chacune d’entre elles. Choisir d’établir ce type de corrélations (au centre de certaines études interculturelles), relève de recherches de type « hypothético-déductif ». Il est nécessaire de travailler sur un grand nombre d’informateurs, de se donner des indicateurs « objectifs » et de disposer de données (ou de résultats obtenus dans des études préalables) pour comparer les comportements de la population ciblée par l’étude avec ceux d’une population (« témoin ») de référence. S’intéresser aux interactions,

96 Cette réflexion de Lahire sur la place accordée, dans les recherches qui s’intéressent à l’activité humaine, au poids du passé des acteurs sur leur manière d’agir a été initiée dans son ouvrage de 1998 L’homme pluriel, C’est une question par rapport à laquelle toute analyse des interaction doit se situer. Dans ce champ, elle a été discutée, dans une perspective convergente à celle de Lahire, par Vion en 1992, qui oppose les théories de « l’effacement du sujet » où « l’activité des sujets est totalement déterminée par les dispositions internes au système » et les théories qui étudient un « acteur sans système ».

multilingues, si tel apprenant, qui n’arrive pas à comprendre un mot que l’enseignante tente d’expliquer, se retourne vers un autre apprenant, qui a la même langue 1 que lui, c’est parce qu’il espère une aide dans cette langue. Si l’apprenant ne formule pas explicitement sa demande, cette hypothèse explicative peut gagner en force si elle s’appuie sur une observation répétée du comportement, ou si dans le cadre d’un échange avec l’apprenant après le cours, il explicite son attente.

Lorsqu’on sort d’une analyse interactionnelle focalisée exclusivement sur le hic et nunc de l’échange, pour entrer dans une démarche ethnographique plus large, on peut, par des entretiens ou des questionnaires, collecter ce type d’information.

6.2.5 Le cadre institutionnel immédiat et le cadre social « hors les murs »