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L ES LIMITES AUX DEVOIRS D ’ ACCOMMODEMENT ET LES CRITÈRES D ’ ÉVALUATION DE LA CONTRAINTE EXCESSIVE

PARTIE I LA NOTION DE CONTRAINTE EXCESSIVE, SES ORIGINES ET SON

3. L ES LIMITES AUX DEVOIRS D ’ ACCOMMODEMENT ET LES CRITÈRES D ’ ÉVALUATION DE LA CONTRAINTE EXCESSIVE

71Christian B

RUNELLE, Discrimination et obligation d'accommodement en milieu de travail syndiqué, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2001, 482 p., à la p. 242.

Au fil des ans, les tribunaux ont élaboré un ensemble de critères permettant de circonscrire le caractère excessif de la contrainte. Se préservant d’en proposer une définition exhaustive, la Cour suprême a toutefois, à quelques occasions, fournit certains facteurs dont il faut tenir compte afin de déterminer ce qui peut constituer une mesure d’accommodement raisonnable sans contrainte excessive.

Ainsi, dans l’arrêt O’Malley, la Cour dicte les limites à l’intérieur desquelles l’accommodement sans contrainte excessive doit s’exercer :

[…] Dans toute société, les droits d’une personne entreront inévitablement en conflit avec les droits d’autrui. Il est alors évident que tous les droits doivent être limités afin de préserver la structure sociale dans laquelle chaque droit peut être protégé sans porter atteinte indûment aux autres. Cela est particulièrement important lorsque des rapports spéciaux existent, en l’espèce les rapports entre employeur et employé. Dans le présent cas, conformément aux dispositions et à l’objet du Code ontarien des droits de la personne, le droit de l’employé exige que l’employeur prenne des mesures d’accommodement raisonnables72.

La juge Wilson, s’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Central Alberta Dairy Pool, s’est toutefois montrée réticente à fournir une définition exhaustive de la contrainte excessive. La Cour juge toutefois pertinent de fournir certains facteurs devant être pris en considérant afin de déterminer ce que peut constituer une mesure d'accommodement raisonnable :

(…) le coût financier, l’atteinte à la convention collective, le moral du personnel et l’interchangeabilité des effectifs et des installations. L’importance de l’exploitation de l’employeur peut jouer sur l’évaluation de ce qui représente un coût excessif ou sur la facilité avec laquelle les effectifs et les installations peuvent s’adapter aux circonstances. Lorsque la sécurité est en jeu, l’ampleur du risque et l’identité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents. Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats qu’on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l’employé

de ne pas faire l’objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas73.

En 1994, dans l’arrêt Bergevin74, le juge Sopinka a précisé le critère du moral des employés énuméré précédemment dans Central Central Alberta Dairy Pool75, de manière à exiger un examen de l’effet que pourrait avoir une mesure d’accommodement sur l’ensemble des salariés. À cet égard, il rappelait toutefois qu’il fallait faire preuve de souplesse dans l’application de ces critères :

Ces facteurs ne sont pas coulés dans le béton. Il y a lieu de les appliquer d'une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas. Les situations changeront sans cesse. […] Cependant, les facteurs énumérés peuvent servir de point de départ pour examiner ce qui peut constituer une mesure d'accommodement raisonnable76.

Une fois encore, la Cour a tenu à réaffirmer l’importance d’appliquer les critères de façon souple, en fonction de chaque cas d’espèce. Ce principe sera à nouveau repris dans l’arrêt Renaud mentionnant que : « [c]e qui constituent des mesures raisonnables est une question de fait qui variera selon les circonstances de l’affaire »77.

Enfin, deux décisions d’une grande importance ont été rendues respectivement en 2007 et 2008, par la Cour suprême du Canada dans les affaires McGill78 et Hydro- Québec79. Dans les deux cas, il s’agissait de déterminer le critère de détermination de la contrainte imposée à un employeur en regard d’un salarié incapable de fournir une prestation normale de travail. Dans Hydro-Québec, la Cour suprême a précisé :

73 Central Alberta Dairy Pool, préc., note 8, p. 521. 74 Bergevin, préc., note 41.

75 Central Alberta Dairy Pool, préc., note 8. 76 Bergevin, préc., note 41, p. 546.

77 Renaud, préc., note 12 , p. 984.

78 Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de

l'Hôpital général de Montréal (C.S. Can., 2007-01-26), 2007 CSC 4, SOQUIJ AZ-50408361, J.E.

2007-291, D.T.E. 2007T-111, [2007] 1 R.C.S. 161, (ci-après : « McGill »). 79 Hydro, préc., note 70.

L’incapacité totale d’un salarié de fournir toute prestation de travail dans un avenir prévisible n’est donc pas le critère de détermination de la contrainte excessive. Lorsque les caractéristiques d’une maladie sont telles que la bonne marche de l’entreprise est entravée de façon excessive ou lorsque l’employeur a tenté de convenir de mesures d’accommodement avec l’employé aux prises avec une telle maladie, mais que ce dernier demeure néanmoins incapable de fournir sa prestation de travail dans un avenir raisonnablement prévisible, l’employeur aura satisfait à son obligation80.

La Cour suprême n’est intervenue par la suite que pour apporter des précisions à l’un ou l’autre de ces critères. En aucun temps, elle n’a remis en question sa position de ne pas fournir une définition précise de ce que constituait la contrainte excessive, laissant aux décideurs le soin de juger de la mesure appropriée eu égards aux circonstances de chaque affaire. En ce sens, le professeur Brunelle dira de l’accommodement qu’il s’agit d’un standard à l’imprécision nécessaire81.

Ce dernier, dans son ouvrage « Discrimination et obligation d’accommodement en milieu de travail syndiqué » propose une énumération, sans toutefois la qualifier d’exhaustive, des principaux critères d’évaluation de la contrainte excessive :

1) Les limites aux ressources financières et matérielles • le coût réel de l’accommodement demandé;

• les sources extérieures de financement (prêts, subventions, crédit d’impôt et déductions fiscales, régime gouvernemental d’aide ou d’indemnisation, contribution personnelle de la victime de discrimination …);

• la nature de l’entreprise ou de l’institution (taille, composition de la main-d’œuvre, structure organisationnelle, structure de production, nature privée ou publique …);

• le budget d’opération totale de l’entreprise (maison-mère et filiales réunies) ou de l’institution;

• la santé financière de l’entreprise ou de l’institution; • la conjoncture économique

2) L’atteinte aux droits

80 Id., par. 18. 81 Christian B

• Les risques pour la santé et la sécurité du salarié, de ses collègues ou du public en général;

• La convention collective;

• L’effet préjudiciable de l’accommodement sur les autres employés; • Les conflits de droits…

3) Le bon fonctionnement de l’entreprise ou de l’institution • L’interchangeabilité relative des employés;

• L’adaptation des lieux, installations et équipement de travail; • L’effet sur la productivité de l’entreprise;

• Le nombre d’employés affectés par la mesure d’accommodement envisagée;

• L’effet bénéfique de l’accommodement sur les autres employés • La durée et l’étendue de l’accommodement82.

Ces différents critères, que le professeur Brunelle tire de la jurisprudence et de la doctrine d’ici et d’ailleurs, peuvent servir à déterminer l’aspect raisonnable d’une demande d’accommodement. Il précise aussi que certains autres critères ne peuvent être considérés tels que : « la simple commodité administrative, les préférences de la clientèle, la crainte de créer un précédent ou encore la menace d’être exposé à un recours civil, tel un grief »83.

Partant de ces principes, les tribunaux spécialisés ont repris, modifié et adapté ces critères aux situations qu’ils ont eu à juger.