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L’invention de la société primitive primitive comme symbole d’authenticité

C) L’altérité

1. L’invention de la société primitive primitive comme symbole d’authenticité

Pourquoi certains groupes d’humains sont définis comme primitifs et d’autres comme plus avancés ? Le terme implique l’idée d’une société qui est placée antérieurement à la sienne dans une ligne imaginaire de temps que l’on fait coïncider avec une idée de progrès préconçue. Fantasmé, cet état de l’être humain, apparenté à celui de l’enfance, est associé largement à des qualités telles que l’innocence ou le respect de la nature. En somme, cette façon d’entendre l’humanité n’est qu’une création de la part des hommes d’une origine mythique et commune. L’archétype du primitif englobe de nombreuses variantes qui témoignent peut-être d’un besoin humain : l’âge d’or dans 61 Boyer, op. cit.

l’époque classique, le paradis terrestre de la Bible, le « bon sauvage » des romantiques. Depuis l’industrialisation et l’urbanisation toujours plus marquée qui la suit, le style de vie moderne des citadins est perçu comme oppressif, artificiel. Il corrompt l’homme, qui à son état originel est libre, bon, heureux, plus authentique. Nous pouvons penser que cette illusion fonctionne comme une sorte de rempart nostalgique pour critiquer le présent et expliquer le malheur de l’être humain.

Le primitif a longtemps été également un thème central danre de la pensée anthropologique et a motivé une vaste littérature sur la notion de « société primitive ». Parmi les intellectuls, il y en a eu qui se sont attachés à démolir le mythe de l’innocence de l’être humain à son état originel, soit il était représenté par l’enfance ou par l’archaïsme social. En littérature, le roman de WiGolding Sa Majesté des mouches est un exemple de cette démarche. De son côté, le savant Steven LeBlanc détruit àis le mythe de l'éthique écologique et du pacifisme de nos ancêtres avec son essai Constant Battles : The Myth of the Peaceful, Noble Savage62. Mais c’est surtouper qu’il faut nommer. Son

ouvrage, The invention of primitive society, est celui qui en premier rompt avec la tron critique qui avait essayé de définir la forme « originelle » de la société humaine. Adam Kuper appuie l’idée que ce que nous appelons “société primitive” n’a en réalité, jamais existé, et qu’elle serait d’ailleurs un reflet pervers de notre propre société63. Il propose pour cela d’éliminer cette notion de l’agenda de

l’anthropologie sociale. Le questionnement du concept de société primitive nous semble avoir des conséquences non indifférentes, puisque l’idée du progrès l’humanité a donné dans le passé un fondemientifique au racisme, car elle impliquait la supériorité de certaines cultures et à la colonisation, car elle arait eu le but humanitaire de civiliser les peuples primitifs.

L’idée qu’il y ait des sociétés plus primitives et des sociétés plus évoluées était, en effet, problématique pour de nombreuses raisons et elle a été dépassée par l’anthropologie moderne ; cependant, elle demeure très présente dans l’imaginaire commun. Il suffit de penser à l’utilisation des étiquettes comme celles de « tribu primitive » ou de « peuple originaire » qu’on assigne encore très souvent aux ethnies minoritaires dans le monde entier. C’est pourquoi, nous souhaitons questionner les représentations touristiques qui décrivent certaines identités ethniques comme

62 Steven A. LeBlanc et Katherine E. Register, Constant Battles: The Myth of the Peaceful, Noble Savage, vol. (St. Martin’s Press, 2013).

63 Adam Kuper, The invention of primitive society: transformations of an illusion, (London ; New York: Routledge, 1988).

« ancestrales », « originaires », « authentiques », étant donné que tous ces concepts cachent, en réalité, l’idée de primitivité.

Selon nous, l’idée de la perte d’authenticité par les populations locales regrettée par les chercheurs adoptant une posture objectiviste est également liée à l’idéalisation du primitif. C’est l’une des raisons pour laquelle il est important d’être vigilants par rapport à la rhétorique de l’authenticité. Van den Berghe et Keyes emploient, par exemple, le terme « touristisé » pour indiquer un sujet qui, à partir de l’interaction avec le touriste modifie, plus ou moins consciemment, son comportement en performant sa culture et son identité ethnique pour flatter les goûts du touriste64. Nous nous servirons également de ce terme mais pour définir simplement le local qui, à

cause de son « altérité » devient produit touristique. Nous voulons souligner que pour Pierre Van den Berghe le « touristisé » apparaît comme un individu dont l’authenticité est irrémédiablement compromise par le biais du tourisme. En effet, nous constatons qu'au sein du débat sociologique et ethnologique portant sur les effets du tourisme, la plupart des travaux s’intéressent aux groupes humains définis comme « traditionnels » en mettant en exergue que leur culture et identité sont en péril à cause du tourisme. Le tourisme représenterait donc, pour certains, une forme d’acculturation65. Toutefois, nous doutons que l’identité d’un individu se scinde en deux parties à

cause du contact avec les touristes, une partie étant authentique, celle qui finalement finira par se perdre, et l’autre étant non authentique.

D’ailleurs, comment pouvons-nous savoir ce qui compose l’authenticité de l’identité du touristisé ? En analysant les documents touristiques, l’authenticité de la population péruvienne semble être liée à toute une série de stéréotypes identitaires liés à l’indianité. L’altérité des sociétés rurales des« périphériques » en employant le terme utilisé par la théorie du système-monde, réside dans leur supposé archaïsme. Le mythe du primitif s’incarne ainsi dans la figure de l’ « Indien ». L’authenticité des populations du « sud du monde » n’est souvent qu’une projection de la conscience occidentale, qui n’a rien à voir avec la réalité deces populations et qui, au contraire, essentialise une identité ethnique.

64 Pierre L. Van Den Berghe et Charles F. Keyes, « Introduction :Tourism and Re-Created Ethnicity » Annals of Tourism Research. 11.3 (1984): 343-352.