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I. 2. Peut-on être à la fois Africain et chrétien?

4. L’intersubjectivité en question

Tzvetan Todorov est de ceux qui ont abordé la problématique intersubjective ou sociale. Son analyse est à trois temps : la sphère légale imposée par l’État, la sphère

privée des libertés individuelles dont la foi et la sphère intermédiaire. Nous faisons nôtre cette dernière qui est imprégnée de normes et de valeurs non contraignantes, qui est un espace de dialogue et de créativité potentielle, qui est un laboratoire du renouvellement des normes, des valeurs et du droit qui prévaut dans la première sphère. En effet, postule Todorov, l’interlocution n’est possible que dans l’espace potentiel de sens, « un sens co-construit à deux, mais par essence toujours mouvant, évolutif, incertain. Dans cette sphère, il n’y a pas de bien ou de bonne conduite en soi. Ce ne sont pas des valeurs en soi, mais des valeurs contextuelles » (2006 :55). En voilà une éventuelle voie de sortie pour Landu ou Nara victime d’une rigide rigueur sur soi-même et sur autrui, laquelle rigueur empiète sur la communion d’âmes ou la fusion vitale ou encore l’intersubjectivité. Des certitudes ou des vérités non concertées n’engagent que le camp qui les a formulées. Cela vaut autant pour les traditions africaines que pour le discours dit scientifique. Celui-ci n’est simplement qu’occidental, si l’on peut affirmer avec Jean-Marc Guilé qu’

une conduite est relative dans la mesure où son sens est donné dans un cadre d’une relation entre un sujet et son environnement, entre un sujet et un autre, entre des sujets entre eux et que tout discours ne trouve son sens authentique que dans l’espace concret, historique, de la relation que nouent les interlocuteurs. (2015 :113)

Le rapport à l’Autre est en crise. Nous avons montré que cela est lié à un type de personnalité du sujet issu d’une double expérience : le mode de socialisation subie en structure coloniale et la situation presque similaire en famille, c’est-à-dire la prison domestique injuste. Critiquer la colonisation n’innocente pas pour autant l’Afrique-mère.

La difficulté de se lier aux autres, particulièrement à Isabelle et Aminata, est une

manifestation frappante. Les deux femmes sont amoureuses de Nara, mais ce dernier exprime autrement ladite relation dans laquelle, se dit-il, « je ne suis plus qu’un symbole noir enveloppé de draps blancs. Un totem » (Ec, p. 107). Le héros se voit dans la peau d’un simple figurant, à personnalité effacée devant deux pouvoirs : l’Europe et l’Afrique qui se disputent Nara. Et quand deux éléphants se battent, ce sont les feuilles qui en souffrent. En effet, Nara est un phénomène vidé de sa substance africaine. Et pour l’Occident, il n’a gagné que du paraître. Totem renvoie non à une personne, mais à un symbole servant d’emblème d’une famille, d’un clan ou d’un peuple. Parfois, le totem est un aïeul animal imaginaire sur lequel un royaume fonde sa légitimité.

Nara oppose une résistance à tout ce qui incarne un certain pouvoir. Il cultive le doute voire l’horreur de la femme : Isabelle (Europe) et Aminata (Afrique). L’érotisme d’Isabelle d’une part, la pudeur d’Aminata d’autre part et la générosité partagée n’arrivent pas à effacer l’image de la colonisation d’une part et celle d’une mère très autoritaire d’autre part. Alors qu’Isabelle se flatte d’avoir affaire à un couple exceptionnel qui attire la curiosité du public, pour Nara, il s’agit, au contraire, d’une provocation : « Non, tu t’égares. Nous ne sommes pas un couple exceptionnel, Isabelle…

Nous incarnons la provocation… Elle dérange ». Isabelle pense que les curieux admirent le couple mixte, mais Nara insiste : « Comprends bien : pour eux, tu n’existes, ce soir, que par mon fait : par la déchéance qui me dévoile, comme Noir… S’ils se laissaient aller, ils nous lapideraient, crois-moi » (Ec, p. 36). Isabelle, pour contredire Nara, s’exclame : « Voyons, Nara! Voyons… Ce ne sont pas des sauvages… ». Les deux partenaires ne sont pas sur les mêmes ondes. Contre-nature semble la liaison entre un sauvage et une civilisée. Ceux qui sont prêts à lapider sont les frères d’Isabelle qui se

sentent trahis par sa relation à un corps étranger. Et Nara se culpabilise de s’être

« soustrait d’une nature… La [s]ienne ». Malgré ses sentiments pour Nara, « Isabelle incarnait l’Europe » (Ec, p. 37). Elle était habitée inconsciemment par l’imaginaire colonial. Le problème est non seulement Isabelle, mais son monde plein de mépris vis-à-vis d’un autre monde dit « sauvage ». C’est pourquoi, derrière des avances érotiques d’Isabelle, Nara soupçonne toujours une domination contre laquelle il se révolte : « Je ne suis pas un animal, Isabelle… Tu as voulu un nègre pour tes aridités… Je me complais en tes ivresses […] Isabelle, au point où tu es, tu me remplacerais bien par un chien… » (Ec, p. 107). L’ « animal » se définit par opposition à l’humain et le « chien » par rapport à son maître. Ce qui énerve Nara dans sa relation à Isabelle, c’est le souvenir d’un rapport de force, le pouvoir colonial représenté par l’amante blanche. Toutes les fois qu’Isabelle demande l’amour, le partenaire doute de sa sincérité et il s’y oppose. Cela ne veut pas dire qu’il n’en a pas envie. Il est en même temps sensible aux poèmes que lui déclame Isabelle et à la musique romantique qu’elle lui dédie. Il craint d’ailleurs que les ordures d’Afrique ne risquent de « salir les roses épanouies, dit-il, entre Isabelle et moi » (Ec, p.

36). Isabelle ne parvient pas à comprendre pourquoi un être aimé choisit de se faire souffrir : « Tu es masochiste, Nara? » (p. 34). Pourtant il ne s’agit pas de masochisme, mais de résistance contre une colonisation dont le héros a déjà l’expérience.

Nara colle les ordures d’Afrique au parcours vers l’appartement d’Aminata. Nous avons dit que cette femme est la collaboratrice de Salim, à la bibliothèque fréquentée par Nara. En plus, elle délivre Nara de la solitude éprouvée dans une chambre d’hôtel, un lieu invivable. De la même manière qu’Isabelle, Aminata témoigne du « don de son sexe et la générosité de ses sentiments » (Ec, p. 37). Cependant, alors qu’autour d’Isabelle c’était

du décor, du luxe, du parfum agréable, la plage, la musique, les poèmes, etc.; pour aller chez Aminata, il faut passer par les ruelles salles de Krishville, des immeubles affichant la tristesse, des résidents visiblement misérables, les odeurs d’alcool indigène ou d’essence ou encore de tabac, des enfants mal nourris et errant torses nus, etc. Aminata, dit Nara, « me conduit dans l’impasse. Et je me vois rallier mes pensées à mon pas qui s’enfonce dans des mares d’urine pour éviter des flaques d’eau pourrie » (Ec, p. 54).

L’Africain n’aime plus son Afrique et n’y voit rien qui mérite d’être chanté. Ici et là, des bribes d’hommes, des cases inachevées mais déjà grises, des cuisines fumantes et à ciel ouvert, des odeurs désagréables, des menaces au sol, etc. Le malaise aurait peut-être cédé la place à l’espérance, « mais sans la foi? », se demande Nara qui semble sceptique vis-à-vis du monde où le mène Aminata (p. 55).

Aminata est deux fois mère et, probablement, chaque enfant avec son père. Les habits sales traînent sur le pavement de son appartement où Lou et Baka, ses deux enfants de quatre et six ans, abandonnés trop tôt à l’école de la vie, accueillent le nouveau partenaire de leur mère. Faute de mieux, Nara s’y sent à l’abri « contre la nuit qui montait dehors »; c’est un lieu, dit Nara, où « je pouvais reprendre et projeter sans conséquences majeures mes nostalgies comme mes petits drames […] Je me sentais revivre » (Ec, p.

56). En effet, Aminata offre tout : logement, à manger, à boire, sans oublier d’embrasser son amant qui, malheureusement, annule le tout par l’adverbe « maternellement » (Ec, p.

58). Ce dérivé de ‘‘mater’’ renvoie à première vue à la tendresse d’une mère qui protège contre les intempéries, berce, nourrit, embrasse son enfant. Il faut se demander si cette métaphore tient dans un rapport entre amants. Le présupposé est un rapport de force entre la protectrice et son protégé. Ce dernier est gêné mais se laisse faire : « Je décidai de me

laisser emporter par le courant, dussé-je devenir l’esclave d’Aminata […] J’appréhendais la prison et la condamnation à jouir […] Sa seule utilité aura été de garantir sa volonté de puissance contre ma liberté… Je suis sa chose » (Ec, p. 57 et 58). Au lieu de voir en Aminata une amante protectrice et généreuse, Nara se représente le pouvoir excessif d’une femme qui, non seulement emprisonne, mais fait aussi de l’homme sa chose :

« J’entrais volontairement dans une cage » (p. 52). Cage rappelle le réduit à outils où la mère incarcéra injustement son fils Nara. Le mode opératoire d’Aminata est comme celui de la mère de Nara. C’est pourquoi ce dernier dit : « Aminata, sais-tu que tu ressembles à ma mère? Non? C’est pourtant la pure vérité… » (Ec, p. 158). Ce que Nara déplore du côté d’Isabelle (Occident) s’expérimente aussi du côté d’Aminata (Afrique), c’est-à-dire le pouvoir d’une partenaire qu’il doit subir.

L’attitude de réserve de Nara vis-à-vis de deux femmes ou de deux puissances n’exclut pas pour autant son attachement à elles. Se rappelant le jour où Isabelle demanda l’amour avec l’érotisme qui se doit, Nara s’interroge : « N’était-ce pas au fond de sa haine contre les nègres qu’avait surgi un désir étrange » (Ec, p. 33). Au lieu d’en jouir, Nara résiste et Isabelle soupçonne un grain de racisme. Nara garde quand même un bon souvenir d’un séjour à la mer, avec Isabelle qui lui déclama des poèmes d’amour. Mais tout tombe à l’eau lorsque Nara considère devoir, en retour, « soumission, reconnaissance » (p.70). L’amour qu’offre Isabelle est perçu par Nara comme un abîme ayant l’air d’un jardin paisible. Cela fait penser au héros de La Nausée pour qui le jardin sentait des vomis. Les avances, le charme, le parfum, les sorties et les pas de danse ne changent pas la conviction de Nara selon laquelle Isabelle incarne l’Europe et symbolise

la colonisation. Cependant, à la fin du récit, Nara a ces mots : « Isabelle… J’aime sentir ta main dans la mienne » (p. 157).

La relation avec Aminata s’entretient aussi à la Nara. Cette femme a sorti Nara de son calvaire. Avec des intentions inavouées, elle est prête à tout faire pour amadouer l’homme. Elle prend en charge celui qui interprète les avances comme atteinte à sa liberté. Il se dit : « J’entrais volontairement dans une cage » (p.52). Nara sait bien que son ami Soum définit Aminata comme « mangeuse d’hommes » et il pressent ainsi ce que sera son statut devant celle qui lui garantit les vivres. L’homme voit en elle un pouvoir assujettissant pareil à celui de sa mère. Toutefois, des moments romantiques, de sorties, de blagues et de rires, il y en a eu :

Avec Aminata dans mes bras au « Maxime Club » […] J’étais étourdi par la musique, la lumière tamisée et son parfum fondu dans les tons de la sueur. Je n’avais pas encore habité d’espace aussi paisible. La sécheresse de mon cœur s’était estompée… Un souvenir face à cette illumination : je danse avec Aminata… Elle me serre. Je tourne lentement, mon bras autour de sa taille, mes yeux perdus… «Tu es content, Nara? –Je t’adore, Aminata […] Tu as besoin de moi… Je t’accepte, Nara Ben… On danse, tu sais… Souris-moi, tu veux… » (Ec, p. 128).

Lors de cette soirée dansante, Aminata s’offre sans retour. La franchise de ses sentiments se lit aux yeux. Elle est scandalisée en remarquant que Nara pense qu’elle se moque de lui. Son affection justifiait son abandon et Nara devenait incapable de nommer ses propres tentations. Il y aurait eu une fusion des cœurs, cependant Nara « redoute la promesse de cette fusion » (Ec, p. 128).

En bref, le sujet se lie à l’Autre avec un certain écart. Tout en restant attaché à Isabelle comme à Aminata, Nara se garde de tomber dans de folles amours : « C’est toujours pareil entre nous… le malentendu permanent. L’Europe et l’Afrique… L’amour serait impossible entre nous… Ce n’est pas cela. Je me demanderais plutôt à quelles conditions il serait possible… Isabelle esprit de finesse… Aminata visage luisant de fatigue et de sueur » (Ec. p. 117-118). Cette distance-présence rend possible un regard critique. Mais toutes les fois que le rire et l’opposé du rire manquent à Nara, il compense ce vide par le souvenir d’Isabelle et d’Aminata, simultanément. L’une n’est pas l’autre.

L’une n’est pas l’antithèse de l’autre non plus. Au lieu de s’exclure l’une l’autre, les deux se mêlent continuellement. À lire Justin Bisanswa, Nara « construit sa personnalité au point d’intersection d’un dehors et d’un dedans. Ce même individu est toujours précédé de toute une histoire peuplée d’acteurs divers. Cette histoire fait mieux que le déterminer, elle l’instaure » (Bisanswa, 2013 :357-358). La gradation est significative entre déterminer et instaurer. « Instaurer » présuppose le « ça » qui investit Nara, qui parle en lui et agit à travers lui.

Si dans l’énumération, le nom d’Isabelle se positionnait en premier, c’était par respect de l’ordre suivi dans le récit. Cet ordre est significatif. Pour le sujet, l’Autre c’est l’Europe d’abord, c’est l’Afrique ensuite. Le revers est que Nara se sent réifié par l’une comme par l’autre. Le vœu de Ricœur n’est pas au rendez-vous, c’est-à-dire la réciprocité ou « la reconnaissance mutuelle » (Ricœur, 2004 :237). Faute de quoi, Nara se plaint simultanément de la domination d’Isabelle et de l’autoritarisme d’Aminata, malgré tout l’amour que ces dernières peuvent lui offrir. Ce qui fait que toutes les fois qu’il parle de l’une, il faut s’attendre à l’intrusion de l’autre, par exemple :

Un soir de Noël, remontant Saint-Michel, au passage clouté de Saint-Germain, une bousculade, une poussée… je tombe. Quelqu’un se penche, et j’entends une voix de femme : « Excusez-moi, monsieur. Vous n’êtes pas blessé? –Non, je ne crois pas. Ce n’est rien, madame… » Elle m’offre sa main, m’aide à me relever : « Venez avec moi. » Et je l’ai suivie, Dr Sano… simplement…

J’étais un petit chien obéissant […] Et ce matin, c’est Aminata qui m’imposait, au nom de son affection, un culte protestant. « On y va, Nara? –Mais pourquoi? Je suis musulman, moi… -Viens voir… Ça t’occupera. Et je serai heureuse d’être avec toi. » Bon chien de compagnie, j’acceptai (Ec, p. 132 et 133).

Les deux femmes n’y sont apparemment pour rien. Elles ignorent la cause à l’origine du comportement singulier de leur partenaire. Le problème, s’il y en a un, est propre à celui qui le ressent. S’il en est la cause, il en trouvera solution lui-même. C’est pourquoi, il convient de souligner, dans l’incipit du récit, le possessif de la première personne du singulier : « La fatigue… Ma fatigue… lourde, pesante… Comme hier, avant-hier, il y a un mois… » (Ec, p. 19). Dr Sano, à qui Nara s’est toujours confié, juge tout cela de normal.

Conclusion : Le malade n’est pas malade

Derrière les faits observés, se cache le sujet à découvrir encore et encore. Le comportement constaté n’est qu’un phénomène en réaction à une provocation. La déchirure de Landu et le schisme de Nara furent provoqués. Les provocateurs de Landu sont les missionnaires venus d’Europe et la provocation de Nara est triple : la rigueur rigide en famille incarnée par sa mère, l’absence de son père au service du chantier Naval et l’école des maîtres. Tout part d’une structure carcérale : le petit séminaire pour le premier et le réduit à outils pour le second. Toute déclaration ou tout jugement sur les

deux héros susciterait un doute, si elle n’était pas fondée sur ce lieu de naissance de la conduite de Landu et de Nara. L’expérience du monde a engendré ces deux sujets.

Au sujet de Landu et de Nara, il y a lieu de lire des désirs latents derrière les représentations apparentes. Des sens, des formules toutes faites sur le normal et le non-normal deviennent évanescents, compte tenu de la pluralité des raisons derrière les motifs avoués dans lesquels Dr Sano, prisonnier des théories reçues, se perd. En plus, Landu ou Nara, en tant qu’être humain, est « dividu » pour emprunter à Josset le mot. Vue la duplicité du sujet humain, « individu » ne lui correspond plus tout-à-fait. En effet, l’unité du sujet se révèle biface. Justement, les deux faces dialoguent en Landu et en Nara.

Landu (Nara) 1 et Landu (Nara) 2 sont liés par un perpétuel conflit.

Comme le sujet, l’Alter se caractérise par la duplicité. L’intersubjectivité se révèle ainsi problématique. Dans son article « Liberté d’expression et intersubjectivité », Jean-Marc Guilé (2015 :111-113) parle du for interne et du for externe. Le premier étant inaccessible, les observations, les jugements et les sanctions se contentent du second.

Avec rigidité, Landu ose juger les hommes d’Église et ceux de la révolution au-delà de leurs apparences. Derrière la face accessible des humains, se trouve ce qui déçoit, fatigue, dégoûte. C’est pourquoi, Landu finit par confesser :

Une muraille s’effrite. Ce n’est même pas l’effet de ma chute. Impuissant, je contemple mes rêves successifs se dissoudre dans une douleur que je ne veux même plus cacher. J’ai même l’impression de devenir moins exigeant, moins dur. Mon échec semble me réconcilier cette fois avec la tristesse paisible des Limbes. Je comprends mes confrères noirs qui meublent leurs vies en évitant de penser aux absurdités de leur mission. (Ee, p. 167)

De son côté, avec sévérité, Nara veut percer l’inaccessible en lisant ce qui est derrière les avances affichées par ses amantes. Mais les amantes n’y comprennent rien. Ne sachant pas le for interne de leur partenaire, elles lui font continuellement la cour et le divorce n’est pas scellé, malgré tout.

Il est donc faux de penser à une intersubjectivité impossible. Les personnages, malgré leur duplicité, nouent un certain type de relations entre eux. Tout en dénonçant les abus de la mission civilisatrice, Landu ne saura jamais jeter dans la haine Sanguinetti, Howard, Fabrizio, les amis Américains et les autres anciens camarades d’université, car, dit-il, « ma vie, c’est la leur » (Ee, p. 131). Même s’il n’aime plus son Afrique, Landu n’a jamais su débrancher la rallonge le liant à son oncle au père duquel il doit le nom de Landu. Il a ces mots : « La phrase de mon oncle me poursuivra toujours : ‘‘Tu as refusé la vie aux tiens…’’ » (Ee, p. 159).

Les deux récits ont commencé par les héros qui donnent l’impression de refuser l’Alter, en se repliant sur soi dans un monologue. À en croire Kavwahirehi, une telle lecture ne serait pas tout simplement malheureuse. En effet, les essais de Mudimbe éclairent davantage en proposant « la raison confessante [qui] avoue ses limites, se reconnaît particulière et reconnaît par là même l’existence de l’autre » (Kavwahirehi, 1999 :513). Semujanga renchérit que « Mudimbe s’efforce de penser les conditions du vivre ensemble après les bouleversements de l’aventure coloniale et ses conséquences dans la postcolonie » (2013 :276).

L’apparente impossibilité de s’attacher à l’Alter ne réussit pas à voiler l’impossibilité du héros de Mudimbe de se détacher de l’Alter : « L’attrait d’un ailleurs

me possède » (Ee, p. 72). Pour sa part, Nara se rend compte que c’est s’auto-déconstruire soi-même en voulant se défaire des maîtres, car, dit-il : « J’étais devenu ma propre victime : les phrases de Dansine m’assiégeaient » (Ec, p. 65). Ce héros trouve inacceptable de continuer à se plier aux « mensonges » construits par des étrangers en mal de célébrité. Parmi ceux-ci figure Dansine, le maître de Nara. Dans son discours

me possède » (Ee, p. 72). Pour sa part, Nara se rend compte que c’est s’auto-déconstruire soi-même en voulant se défaire des maîtres, car, dit-il : « J’étais devenu ma propre victime : les phrases de Dansine m’assiégeaient » (Ec, p. 65). Ce héros trouve inacceptable de continuer à se plier aux « mensonges » construits par des étrangers en mal de célébrité. Parmi ceux-ci figure Dansine, le maître de Nara. Dans son discours