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CHAPITRE 5 : « Qu’est-ce que je fais là ? »

2. L’interprétation sur le vécu de l’orientation

2.1. Les contextes

Au regard des éléments ci-dessus, il devient possible d'esquisser une interprétation sur le vécu de l'orientation initiale. J'ai hésité au départ à recourir à une interprétation en termes de plaisir ou en termes de souffrance. Ce que je voyais et ressentais chez ces participants, la spontanéité et l'enthousiasme, prévalaient largement. Toutefois, il me semble impossible de ne pas tenir compte en priorité du contexte dans lequel se trouvent ces personnes, que j'ai déjà évoqué : celui de ne plus être à sa place. Un certain nombre d'éléments peuvent être énoncés consciemment par le sujet comme ayant simplement du sens pour lui (sans aller jusqu'à pourquoi ce sens) ; il en est ainsi de l'intérêt de C. pour sa reprise d'études en lien avec sa fonction de formateur, et qui semble conforme à ses attentes, lui permettant de se maintenir en action.

Pour J., le lien avec sa nouvelle activité professionnelle le maintient à la fois dans le milieu de la musique et du spectacle. Cela lui apporte un travail auquel il peut donner du sens, ayant lui-même été artiste durant plusieurs années. Pour B., la reprise d’études le met en adéquation

81 avec ses aspirations premières, notamment la projection vers la thèse et le « chercher à comprendre ».

Beaucoup de choses ont été dites sur les phases de changement, l'événement déclencheur permettant au sujet de faire de nouveaux choix. Les transitions professionnelles spontanées observées lors de ces entretiens renvoient à la question de la pertinence des pratiques d'orientation telles qu’elles peuvent exister encore à ce jour.

2.2. Les représentations

S. Moscovici introduit la notion de représentation sociale pour désigner l'ensemble des idées, opinions, connaissances, valeurs, sentiments qu'un individu ou un groupe attribue un objet. L'individu se forge des représentations sur la base de ses désirs et projets, ainsi que des idées du groupe social auquel il appartient. Les représentations permettent à un individu de tisser des liens avec son système social au travers de la construction de la réalité. Elles permettent de concrétiser des situations vécues considérées et de les organiser entre elles. Ce faisant, elles ont pour fonction de faciliter et guider l'action de l'individu en servant de repère au cours de sa rencontre avec le monde ; elles lui permettent aussi de réagir de façon rapide face à une situation nouvelle par anticipation.

En ce qui concerne l'objet de ma recherche, les représentations sociales portent sur le vécu de l'orientation initiale et le parcours professionnel. Elles portent aussi sur le sujet lui-même. L'image que la personne se fait d'elle-même et ce qu'elle donne à voir à autrui peut être fondamentale dans le choix d'une profession permettant de mettre en œuvre cette image de soi.

Les représentations sont au coeur de méthodologie utilisée en orientation, elles font réfléchir les individus sur eux-mêmes, les amenant à prendre conscience des éléments saillants de leur personnalité, leurs centres d'intérêt, leurs qualités, défauts, valeurs,…etc. Elles les amènent aussi à cerner les métiers ou emplois qui peuvent les intéresser sur la base des représentations qu'ils s'en font. Mais celles-ci se réduisent la plupart du temps à quelques idées concernant le métier. En effet, dans le cas du choix d'un métier, la recherche d'information s'avère difficile car la réalité est complexe, diffuse, impossible à appréhender et à synthétiser. La confrontation du rêve à ce qu'on pense être, fait ainsi apparaitre la réalité comme une violence faite aux individus en démarche d'orientation. C'est comme si on rejetait

82 à ce moment ce que peut faire la personne. L'idée de devenir ce que l’on veut se transforme en injonction de devenir ce que l’on peut, car si la société n'interdit pas aux personnes le libre choix de leur voix, cela ne leur offre pas pour autant la possibilité de l'atteindre. La transition apparaît de plus en plus comme une chance pour ceux qui la vivent.

2.3.Projet et futur incertain

Le projet se fait a travers le temps, celui-ci est linéaire il se découpe en passé, présent, et futur. Il est même survalorisé. Le sentiment d'exister pour les sujets est désormais dans la capacité de se projeter dans un devenir. Les notions de transition et de projets sont étroitement liées : si la première fait référence à un changement, la seconde apparaît plus générale.

J.P. Boutinet dénonce la manie du projet qui « nous entraîne dans un flux incessant d'initiative à travers une fuite vers l'inexistant… Paraît soudainement de toutes les vertus par rapport à l'actuel présent… Elle amène à une dévalorisation de l'action qui se laisse anéantir par l'activisme où ce qui compte n'est plus la cohérence et la pertinence de l'entreprise engagée mais la capacité à ébaucher de nouvelles entreprises » (Boutinet 2008, p 4).

2.4. L’orientation initiale contrée

Le système scolaire joue un rôle important : l’insertion professionnelle passe par un cursus scolaire brillant, c'est-à-dire que le diplôme est un passeport pour l’entrée dans le monde du travail. Toutefois, quand le parcours scolaire est dit moyen, chaotique ou en échec le sujet se retrouve face aux injonctions institutionnelles.

Les choix contrés représentent la première étape du processus changement, les participants racontent l’empêchement de réaliser ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent faire, c'est-à-dire ce qu’ils aimeraient faire ou être. Ils expriment ainsi le sentiment que les désirs et les possibilités sont contrariés. L’orientation contrée est caractérisée par le fait pour un individu d’avoir été empêché de mettre en œuvre des attirances, des penchants pour un domaine particulier.

Les discours sur la transitions font référence à des événements divers comme : une mauvaise orientation, la non poursuite d’études en raison de contraintes financière ou de contrainte du marché du travail, un choix sous injonction parentale qui aboutit à l’abandon

83 d’un projet premier porteur des intérêts de l’individu. Ils concernent toutes les réorientations de trajectoires et sont tenus par l’ensemble des individus.

Les récits rendent comptent de l’importance de l’école dans le choix d’une orientation professionnelle. L’avis des professeurs, des conseillers d’orientation et de la famille donneront au sujet une plus ou moins grande liberté dans ses choix. Les premiers choix ne sont pas forcément verbalisés par les sujets. On peut constater au travers ces récits que les sujets se retrouvent orientés vers des filières sans spécialement de débouché final, par un choix des conseillers ou des enseignants, compte tenus des résultats scolaires qui sont les clés d’entrée dans les différentes filières. Les familles interviennent très peu par manque de connaissances des choix d’orientation. Ainsi le choix d’une filière ou d’un métier est formulé par l’entourage qui se chargera rapidement de rappeler au sujet où se trouve sa place. Les classes dites populaires valorisent une insertion plus rapide et l’acquisition d’un métier, cela est également l’intention de l’institution. La tendance des classes supérieures serait plutôt une incitation à poursuivre des études au niveau plus élevé pour leurs enfants.

Opter contre son gré pour des études qui ne sont pas les choix premiers, rend compte que le sujet se retrouve face à des choix qui ne sont pas initialement les siens mais ceux de l’institution scolaire ou de la famille. Je peux dire que l’âge est également une contrainte dans les choix faits ou à faire. Chaque participant fait part de son orientation comme une volonté de l’institution d’aller vers une filière ou une autre.

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