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L’Interprétation officielle de la foi Islamique : « La direction des affaires religieuses »

A. La religion de la Turquie

2) L’Interprétation officielle de la foi Islamique : « La direction des affaires religieuses »

Pour commencer, il faut préciser que la population de Turquie est composée d’une grande majorité de musulmans sunnites liés à l’école juridique hanéfite319. Cette interprétation est définie comme une branche « orthodoxe » de l’Islam sunnite. L’école la plus libérale parmi les quatre écoles juridiques du sunnisme, a été fondée par Abou- Hanifa entre 690 et 760.

Le Hanafisme a été officialisé, il est devenu l’Islam de l’autorité centrale dans l’Empire Ottoman et s’y est diffusé avec le temps. Parmi les sunnites, il existe aussi des groupes kurdes appartenant à l’école chaféite 320 vivant majoritairement dans des villes situées à la frontière Turco-Iranienne et dans les grandes villes d’immigration comme Istanbul.321

319 L’école de droit « madhhab » religieuse hanafite (« hanefi » en turc) tient son nom de son fondateur

Abû Hanîfa (Ebu Hanife en turc) (m. 150/767). Cette école fut structurée dans le corps principal de l’ancienne "école de Basra". Abû Hanîfa avait une approche rationaliste de l’interprétation de la jurisprudence islamique « fiqh ». Il a été critiqué par les partisans des autres écoles, parce qu’il s’adonnait très souvent à la réflexion personnelle découlant du texte de Coran et de la Sunna « ra’y ou

qiyas ». Cette réflexion est utilisée par l’école hanéfite pour la résolution des problèmes juridiques qui

ne sont pas traités ouvertement dans Le Coran, La Sunna et L’idjma. L’originalité de cette école provient de l’utilisation systématique de « qiyâs », et (exceptionnellement quand il n’y a pas d’injonctions religieuses disponibles) de la coutume locale (‘Urf ou « Örf » en turc) comme une source de droit. La reconnaissance juridique de la coutume locale confiait une grande flexibilité d’administration aux empires omnipotents turcs, comme l’Empire Seldjoukide et Ottoman, dans lesquels l’ancienne tradition du droit coutumier «Örfi Hukuk » des steppes de « Turkestan » (L’Asie Centrale) détenait une place importante pour la consolidation de l’autorité des souverains. L’utilisation fréquente de la réflexion personnelle augmentait aussi l’importance de l’Uléma, était responsable de cette activité, ainsi que le pouvoir du Sultan qui contrôlait les juristes du droit islamique. L’école hanafite tire une grande partie de sa réputation du fait qu’elle fut choisie par les Turcs (Seldjoukides et

Ottomans) lors de leur conversion à l’Islam à partir du XXème siècle. Depuis cette date, elle est devenue

l’école juridique officielle de la plupart des états turcs. Il convient de préciser que l’école juridique hanéfite n’est pas une confrérie soufie « tarîqat ». Cette école du sunnisme est construite sur les dimensions concrètes [les sources de la religion comme la lecture et l’interprétation sans intermédiaire (un cheikh) du Coran et de la Sunna, ainsi que la pratique régulière de la prière] de l’islam sans se pencher comme les confréries sur la prétention du sens caché du message de Dieu, qui nécessite une

seconde révélation.

320 Le Chaféisme : « École juridique se réclammant d’Al Shafi (m. 820), qui prit place aux cotés de

malikisme et du hanafisme au cours du IXème siècle en s’attachant particulierementà definir de façon

précise le fonctionnement du « raisonnement par analogie » ou qiyas – Se developpa sur tout dans l’Orient arabe et en Iran, mais se heurta, à l’époque ottomane, à une influence grandissante du hanafisme ». Dominique Sourdel, Janine Sourdel-Thomine, op. cit., pp. 22-23.

321 Samim Akgönül, (2005), Religions de Turquie, religions des Turcs, « Nouveaux acteurs dans l’Europe

108 Selon Yaşar Nuri Öztürk, l’Hanafisme constituait un terrain favorable à l’adoption de la laïcité, en plaçant la raison au centre de l’interprétation de la religion322. Par ailleurs l’hanafisme séparait la prière et la foi.

Selon Ebu Hanifa, un musulman qui croit aux 6 piliers de la foi « imanın şartları », qui sont : la foi aux anges créés par Allah, la foi aux livres célestes, la foi aux messagers

d’Allah, la foi au jour du jugement dernier, la foi au destin, qu’il soit bon ou mauvais -

reste en tout cas un croyant « mümin » même s’il ne pratique pas.

Ebu Hanifa accepte une séparation entre les (5) piliers de l’Islam323 et les (6) piliers de la foi, et défendait l’idée que le plus important dans l’Islam n’est pas la pratique mais la foi.

Personne, sauf Allah, ne peut savoir qui va aller au Paradis, pour cette raison même l’accomplissement des pratiques religieuses ne suffit pas pour nous pour avoir un tel jugement. Ebu Hanifa ne considérait pas les pratiques comme faisant partie de la foi324. En ce sens, un croyant, même s’il a commis les pires des pêchés, ne sera pas l’ennemi

d’Allah, tant qu’il ne nie pas Allah et son unicité. C’est Allah qui va le punir ou non pour ses pêchés et nous ne pouvons pas le savoir.325 Le plus grand pêché selon l’hanafisme est l’associationnisme (polythéisme) « şirk ou shirk ».326

Ebu Hanafi était également contre la politisation de la religion et critiquait les Ommeydes ayant utilisé de faux hadits à des fins politiques327. En ce sens il rejetait une grande partie des hadiths et condamnait sévèrement les gouverneurs qui instrumentalisaient les faux hadits pour leurs politiques.

Ces doctrines étaient également acceptables pour la jeune République et sa conception d’islam officiel. Ce point de vue rendait possible le fait de considérer la religion uniquement comme une affaire de foi, et d’imposer l’idée qu’un musulman qui garde la foi, reste, en tout cas, un musulman, même s’il ne va pas à la mosquée pour la prière ou

322 Yaşar Nuri Öztürk, İmamı Azam Savunması, « Şehit Bir Önder İçin Apolocya », İnkılab Kitabevi,

Istanbul, 2010, p.74-75 [Laikliğe Giden Yolun Açılması « L’ouverture du chemin vers la laicité »].

323 Le témoignage qu’il n’y a d’autre divinité que Allah, et que Mohammed est l’envoyé d’Allah,

l’accomplissement des 5 prières (salat ou office) quotidiennement, le versement de la Zakat annuellement (part du patrimoine des riches destinée aux nécessiteux), l’accomplissement du jeûne du mois de Ramadan, l’accomplissement du pèlerinage, au moins une fois dans la vie, aux lieux Saints de l’islam(Mosquée Sainte située à la Mecque en région du Hijjaz en Arabie Saoudite) si le croyant a les possibilités financières et physiques pour le réaliser).

324 Yaşar Nuri Öztürk (2010), op. cit., pp.145-155.

325 Ibid.

326 Associationisme (en arabe shirk) « Associer a Dieu d’autres divinités, ce qui est contraire au döğme de

l’unicité divine ou tawhid et constitue pour les musulmans la faute essentielle, reprochée nottament aux chrétiens» Dominique Sourdel, Janine Sourdel-Thomine, op. cit., p.15.

109 ne réalise aucune pratique religieuse. Certainement, les doctrines de l’Hanafisme ne constituaient pas un obstacle pour la République laïque, qui les a accentuées de plus en plus avec son projet de modernisation.

En Turquie, l’administration de l’Islam a constitué une priorité importante de la République laïque. Contrairement à l’expérience ottomane où la religion avait un rôle constructif en tant que source de droit, l’Islam républicain n’était qu’une croyance religieuse, restreinte au niveau de la conviction. Et la conviction des citoyens se portait sans condition, sur les principes d’Atatürk et essentiellement sur la laïcité.

L’islam républicain était sans doute une croyance modérée, fabriquée dans les laboratoires

de la république328 plus précisément, à La Direction des Affaires Religieuses (DAR). Sans perdre de temps, après la fondation, la volonté d’un changement radical s’est exprimée par l’intermédiaire des lois de la révolution329, qui ont donné naissance aux réformes sociojuridiques afin d’enterrer définitivement les débris de l’ancien-régime. Après l’abolition du Sultanat (1920) puis du Califat (1924), il fallait trouver un terrain propice pour l’Islam, afin de faciliter son intégration dans le système démocratique. Ce simulacre, créé par l’État, permettait ainsi de construire un barrage pour ériger plus aisément les réformes sociales à venir. C’est dans ces circonstances, qu’au sein de la jeune République turque, une institution religieuse appelée « Direction des Affaires

Religieuses ou DAR » a vu le jour dans l’organisation étatique d’un pays laïque.

La pensée de Mustafa Kemal relevait d’une démarche logique, délibérée et réaliste. Sa stratégie de leadership politique prévoyait de diviser le projet en plusieurs étapes et de

328 Cf. Paul Dumont, « La direction des affaires religieuses en Turquie » in Samim Akgönül (dir.) Laïcité En

Débat « Principes et représentations en France et en Turquie », p. 158 […, la Direction des Affaires Religieuses se verra confirmée dans sa position de régulatrice de l’activité religieuse et de laboratoire de l’islam officiel].

329Les lois de la révolution turque sont une série de lois à valeur constitutionnelle et intangibles, promulguées

après la proclamation de la République : La Loi n° 430 du 3 mars 1340 (1923) sur l’unification de l’enseignement ; « la Loi no.671 du 25 novembre 1341 (1925) sur le port du chapeau » ; la Loi n° 677 du 30 novembre 1341 (1925) sur la fermeture des couvents de derviches et des mausolées, l’interdiction et l’abolition de la charge de gardien de mausolée et de certains titres, l’institution du mariage civil devant un officier d’état civil tel que défini par le Code civil (Loi n°743) du 17 février 1926, ainsi que les dispositions de l’article (postériorité du mariage religieux par rapport au mariage civil), la Loi n° 1288 du 20 mai 1928 sur l’adoption des chiffres internationaux » ; la Loi n° 1.353 du 1er novembre 1928 sur l’adoption et l’introduction des caractères turcs (latins) »; la Loi n° 2.590 du 26 novembre 1934 sur l’abolition des appellations et titres tels que effendi, bey et pacha ; la Loi n° 2.596 du 3 décembre 1934 sur l’interdiction du port de certains vêtements (religieux). Selon l’article 174 de la constitution de 1982, intitulé « sauvegarde des lois révolutionnaires », « aucune disposition de la Constitution ne peut être comprise ou interprétée comme impliquant l’inconstitutionnalité des dispositions en vigueur, à la date de l’adoption de la Constitution par référendum, des lois de réforme énumérées ci-dessous, dont le but est de hisser le peuple turc au-dessus du niveau de la civilisation contemporaine et de sauvegarder le caractère laïque de la République de Turquie ».

110 marcher pas à pas vers l’objectif330. Insérer la religion dans l’appareil étatique empêchait que le régime ne puisse être perçu comme antireligieux ou athéiste.

À la lumière de la pensée de Mustafa Kemal, cette préoccupation était souvent interprétée par la doctrine turque sous l’angle de son réalisme, puisque dans les pays arabo-musulmans possédant une structure socio-religieuse semblable, même les intellectuels les plus ouverts d’esprit n’ont pas osé clamer leur laïcité, par crainte de la résonnance antireligieuse de la notion331. Dans ces pays, malgré l’existence de la liberté religieuse dans les constitutions, depuis son avènement, la laïcité était « un thème

provocateur et assez souvent assimilé à l’athéisme »332

Le principe de la laïcité ne s’est pas posé toute de suite, dans les premières années de la révolution turque. D’abord, les réformes en tant que conséquences naturelles de la mentalité de l’État et de la société laïque, ont été réalisées, avec une approche réaliste, au fur et à mesure de l’adéquation des conditions. La mentalité laïque a été mise en œuvre, dans la vie sociale et étatique, dans la construction politique, dans le droit et l’éducation, et enfin, la laïcité a été proclamée comme l’un des piliers de la révolution turque.333

L’identité musulmane et la Nation turque

Avant d’adopter la foi islamique, les turcs étaient shamanistes, ils croyaient aux Dieux du Ciel « Gök-Tanrı » et présentaient ainsi, des traits d’animisme, en divinisant la terre et l’eau et en attribuant à la nature un esprit divin. Les shamans en tant que docteurs sorciers, étaient des médiateurs des Dieux.

Aujourd’hui encore, ce genre de croyances perdure en Corée et en Sibérie orientale. Selon certains nationalistes turcs, les traits de ce chamanisme sont encore présents dans l’Islam folklorique, particulièrement tel qu’il est pratiqué dans la communauté hétérodoxe Alevi334.

330Ergun Özbudun, « Atatürk ve Laiklik », In Atatürk Araştırma Merkezi. Dergisi. No: 24, Juillet 1992, p. 433.

331 Neji Baccouche, « Laiklik ve Din Özgürlüğü (Özellikle arap ve müslüman devletlerde) » in İbrahim

Kaboğlu (dir.), Laiklik ve Demokrasi, pp. 142 et 255 [Pour les résumés en français des actes du colloque pp. 249-269].

332 Ibid., p. 142.

333 Turhan Feyzioğlu, «Türk İnklabının Temel Taşı: Laiklik», in Atatürk Düşüncesinde Din ve Laiklik, éd.

Ethem Ruhi Fığlalı, Taha Müftüoğlu et İdris Karakuş, AKDTYK Atatürk Araştırma Merkezi, Ankara 1999, pp. 137-138. Cet article est paru pour la première fois dans (Atatürkçü Düşünce, Atam Yay., Ankara 1992, p. 105-163).

111 Malgré ses origines s’étendant jusqu’aux steppes de Mongolie, la nation turque d’aujourd’hui, fut structurée en grande partie durant l’ère de la puissance Seldjoukide et Ottomane. Les conquérants nomades turcs n’ont pas déplacé les habitants déjà présents : les anatoliens Hellénisé (ou simplement les grecs), les arméniens, les peuples d’origine de Caucase, les kurdes et – dans les Balkans – les slaves, les albanais, etc. Au fur et à mesure, par le biais des mariages et de la conversion à l’Islam, ces populations sont devenues Turques335

Dans l’Empire Ottoman, l’Islam n’était pas seulement la religion d’État. Elle était ainsi

le socle de sa légitimation336. Le mot « musulman » était toujours utilisé pour définir une nation (Oumma), quoi que soit l’ethnie des individus la composant (turc, kurde, laze, géorgien ou arabe). Pour cette raison, dans l’organisation des « millets »337 ottomans, le statut juridique des sujets était régi à priori selon des critères religieux. Selon Bernard Lewis, il n’existe pas d’autre nation que les turcs ayant assimilé volontairement l’identité musulmane. Dans la langue courante (ou entre élites d’Istanbul), le mot « turc » n’était guère utilisé pour définir une nation, mais plutôt pour parler des paysans vulgaires d’Anatolie338.

Même au sein de la diplomatie Ottomane, le mot « turc » n’était pas prévu pour désigner une nation, ou une identité politique assimilable à celle de l’Empire, à tel point qu’en 1803, le diplomate ottoman Halet Efendi (1761-1822) après avoir été nommé à Paris, fut choqué d’apprendre que son représentant avait été qualifié d’« ambassadeur turc »339. À l’époque donc, « turc » était un terme péjoratif, employé généralement à la Cour Ottomane dans les histoires humoristiques, pour décrire les paysans analphabètes et naïfs de l’Anatolie, ou bien les nomades du Turkménistan : « Appeler ‘turc’ un

gentilhomme ottoman de Constantinople aurait été une insulte »340.

Quant aux européens chrétiens, ils appelaient « Turcs » dans un sens péjoratif tous les musulmans alliés des Seldjoukides et des Ottomans depuis les croisades. En Europe, « se

faire turc » signifiait essentiellement se convertir à l’islam. Les Ottomans, eux, ont

335 Ibid., p.17.

336 Elise Massicard, (2005), op. cit., p. 119.

337 Le « millet » était la mise en œuvre par le pouvoir ottoman d’un contrôle des populations qui y

vivaient, au moyen d’une religion organisée dont il nommait les dignitaires. La langue pouvait jouer un rôle, mais c’est d’abord la religion qui définissait le « millet ».

338 Bernard Lewis, (1988), op. cit., pp. 3-4.

339 Ibid., p. 292.

112 employé pendant des siècles l’expression de « la maison de l’islam » pour désigner leur pays. La première identité de l’Empire des sultans-califes n’est pas non plus « ottomane » : elle est simplement musulmane.

Pour concrétiser son idéal de création d’une nation turque « unie comme une seule

personne »341, le père fondateur Atatürk a dû suivre un long chemin exigeant patience et labeur. Il existait aussi un grand problème à résoudre, celui de la difficulté de toucher à la position intangible de l’Islam dans la société. Bien qu’ils ne parlent pas la langue du Coran, les turcs n’allaient pas accepter facilement de se définir autrement qu’en tant que musulman.

L’histoire de la Turquie est un exemple original exposant la manière dont l’ethnie et la religion sont entrées en interaction tout au long des décennies, comme une réaction chimique créant naturellement une structure que l’on peut définir également de socles de l’État Nation turque d’aujourd’hui.

Comme précisé ci-dessus, dans l’Empire Ottoman ainsi que dans la Turquie laïque, ainsi que l’affirmait Bernard Lewis, le mot turc est selon une convention communément admise,

appliqué aux seuls musulmans342. Cette convention communément admise déterminant directement les socles de la nationalité turque sur les bases religieuses, a sans aucun doute, contribué à la formation de la Nation turque sur les ruines de l’Empire.

À ce sujet Lewis affirme également que : « si le résident non-musulman n’est pas tenu

pour turc, l’immigrant non-turc mais musulman, qu’il vienne des anciennes provinces de l’Empire ottoman ou d’ailleurs, acquiert, lui, très rapidement une identité turque343 Malgré cette réalité sociale donnant une place primordiale à l’identité musulmane, Mustafa Kemal avait connaissance qu’à long terme, celle-ci ne pouvait pas aller de pair avec ses idéaux de Turquie laïque. Dans l’Islam, le pouvoir religieux était directement impliqué dans les affaires sociales et politiques en formant avec ces dernières un corps unique. Cette union était perçue par le père fondateur comme un obstacle à la formulation du modèle qu’il prévoyait pour son pays. Son message était clair et ne laissait aucune marge d’interprétation :

341 « Une nation qui, quand il le faut, sait avec une volonté inébranlable, et unie comme une seule

personne, œuvrer pour sa patrie, mérite surement le plus grand avenir » (Mustafa Kemal Atatürk 1926)

Akil Aksan, op. cit., p. 37.

342 Bernard Lewis, Le Retour de l’Islam, Gallimard, Coll. Folio/Histoire, Essais traduits de l’anglais par

Tina Jolas et Denise Paulme, p. 458.

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« Le lien qui existe entre les individus, adopté par la nation pour sa survie, a modifié sa forme et sa conception séculaires ; je veux dire que la nation, au lieu d’unir ses membres par les liens de la religion et des sectes, les a unis maintenant par le ciment de la nationalité turque (M. Kemal Atatürk 1925) »344.

Malgré tout, il va sans dire que la création d’une identité nationale excluant stérilement la foi islamique de la vie des turcs n’aurait été qu’un effort vain. Mustafa Kemal a créé une nation turque inexistante à la vue auparavant, mais il est certain qu’il ne l’a pas non plus tirée du néant.

Afin de former une union d’envergure solide, sans se jeter dans une aventure incertaine, la nation turque d’aujourd’hui se base sur les socles de l’identité musulmane du système

des « millet » de l’Empire Ottoman. En l’occurrence, pour ne pas mettre en danger

l’avenir de la laïcité, il fallait se demander s’il serait réalisable de dissoudre l’Islam, sans effervescence, dans une doctrine séculière ?

De l’état islamique à l’Islam de l’état : la gestion du religieux

Dans les études scientifiques sur les termes de laïcité et d’islam, les recherches se sont davantage focalisées sur le but d’accentuer le contraste, le conflit ou l’effet de contrebalance entre les deux. Il est certain que la laïcité turque n’était plus une imitation de la laïcité de séparation appliquée en France. La république turque n’était pas projetée à nouveau sur une feuille blanche. En réalité, elle tirait avantage de la tradition des institutions ottomanes345. Pour cette raison, dans les prochaines parties de notre travail notre but est d’étudier la laïcité telle qu’elle est appliquée en Turquie.

Dans ce contexte, afin de donner une identité propre et nouvelle à la nation turque, il fallait déjà, d’une part, par le biais d’une nouvelle croyance suprême « foi politique (ou

religion politique) », voiler la mentalité de l’ancien régime qui inspirait la culture des

turcs depuis plus de mille ans. D’autre part, par l’intermédiaire de la « DAR », pour prévenir des courants séditieux, il était nécessaire de réviser et de contrôler l’interprétation de l’Islam de manière à ce qu’elle rime avec la foi politique de la République moderne.

344 Akil Aksan, op. cit., p. 42.

345 À ce sujet, pour comprendre en résumé, les fondements Ottomans des institutions politiques turques et

leur évolution durant la construction de la République, il est intéressant de lire, Jean-Paul Burdy et Jean Marcou, La Turquie à l’heure de l’Europe, pp. 15-46 [Chapitre 1, « Les héritages ottomans et la construction de l’État-nation turc contemporain »].

114 Il est certain qu’à l’époque, l’Islam avait une importance fondamentale dans la vie sociale des individus. Une importance telle que la jeune République ne pourrait jamais

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