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CHAPITRE 1 : LA NUTRIGÉNÉTIQUE : ATTENTES, OBSTACLES ET

1.3 Les limites entourant le transfert des connaissances en nutrigénétique à la

1.3.4 L’interprétation des données génétiques

Il existe une grande diversité génétique à la fois inter et intra populationnelle (van Ommen, A. et al., 2010; Suarez-Kurtz, J.P. et al., 2010; Villagra, J. et al., 2010). Cela peut représenter un défi pour les chercheurs œuvrant dans le domaine de la nutrigénétique. Outre cette diversité, il faut également considérer qu’il existe chez l’individu des interactions entre les différents variants génétiques et leurs produits d’expression respectifs, soit les ARNs et les protéines. Pensons notamment au phénomène d’épistasie

qui apparaît lorsque les effets d’une mutation sont modifiés ou masqués par la présence d’autres gènes (Wagner, Laubichler et al., 1998). Les études conduites par le généticien américain Emerson au début des années 1900 illustrent bien ce phénomène. Les études d’Emerson consistaient à croiser différents plants de maïs afin de mieux comprendre les mécanismes génétiques sous-jacents à la transmission de la couleur. Lors d’un croisement effectué entre des plants de maïs de race pure à graines jaunes, il a obtenu une première génération qui était 100% pourpre. Cette coloration était due à la présence d'un pigment, l'anthocyane. Il a croisé cette première génération entre elle et a obtenu une deuxième génération dont les 9/16ème étaient des plants qui avaient grains de couleur pourpre et 7/16ème étaient des plants qui avaient des grains de couleur jaune. Ces expériences de

croisement démontraient d’une part que la couleur des grains de plants de maïs était contrôlée par deux gènes et d’autre part que ces deux gènes interagissaient l'un avec l'autre (Camus, 2013; Emerson, 1911). À partir du moment où il y a interaction entre deux gènes (ou plus) on parle d'épistasie. Plusieurs possibilités d'interactions différentes existent. Il arrive en effet qu’un gène dominant codant pour un phénotype spécifique influence l'expression d'un autre gène codant pour un phénotype différent. Lorsqu’un tel phénomène a lieu, il devient difficile d’identifier le premier gène, soit celui responsable du phénotype observé dans les études (Cordell, 2002). Dans le cadre des études cliniques conduites en nutrigénétique, ce phénomène peut influencer l’analyse des données. En effet, la découverte d’une association entre une variation génétique dans un gène «c» et l’apparition d’une maladie dans le contexte d’un régime alimentaire spécifique ne signifie pas que la variation génétique est responsable de l’apparition de cette maladie. En effet, cette variation génétique peut avoir modifié la fonction du produit d’expression génétique du gène «c» et ainsi entrainer par exemple un changement dans l’expression du gène «d». Ce changement résulterait en l’apparition de la maladie d’intérêt dans le contexte d’un régime alimentaire spécifique (Kaput, A. et al., 2007).

Le « genetic buffering » est un autre phénomène à prendre en considération dans les études qui contiennent des données génétiques. Ce phénomène est décrit comme étant la capacité des espèces vivantes à conserver leurs caractères phénotypiques malgré le fait qu’ils sont continuellement soumis à diverses perturbations qu’elles soient d’ordre environnemental, génétique, etc. (Rutherford, 2000). Ce phénomène pourrait s’illustrer comme suit : un type de champignon subit une variation génétique dans un gène «a» suite à un événement «x».

Cette variation s’avère létale pour la majorité de ces champignons. Certains champignons résistent cependant à la perturbation car ils possèdent le gène «b» qui leurs permet de tolérer la présence de cette variation génétique. Il semble donc qu’il existe des systèmes de gènes « tampons » qui auraient compensé pour les variations génétiques mineures qui seraient survenues au fil du temps et qui auraient pu résulter en un changement phénotypique. Ces gènes « tampons » auraient contrecarré l’apparition de ces changements phénotypiques, tel que par exemple la mort des champignons suite à l’événement «x» (Hartman, Garvik et al., 2001). L’existence du phénomène de « genetic buffering » signifierait également que la simple présence/absence d’un polymorphisme spécifique ne serait pas responsable d’un phénotype particulier. Le phénotype serait plutôt le résultat de l’expression de ce polymorphisme dans un contexte génétique particulier (Fogg-Johnson, 2007; Moore, 2005). Donc, un polymorphisme ou un haplotype contribuerait différemment au risque d’apparition d’une maladie et ce, d’un individu à l’autre. La nutrigénétique ayant pour prémisse que la diète influence les voies de signalisation qui affectent l’initiation ou la progression des maladies, les mêmes nutriments peuvent alors affecter différemment les individus qui sont porteurs des mêmes polymorphismes puisque ces derniers s’expriment dans des contextes génétiques différents (Fogg-Johnson, 2007). Plus encore, si l’on prend en compte le phénomène de «genetic buffering» dans l’analyse des données obtenues suite à la conduite d’une étude en nutrigénétique, l’identification d’une association entre la présence d’une variation génétique «y» avec l’apparition d’une maladie dans le contexte d’un régime alimentaire particulier ne signifie pas nécessairement que la variation génétique «y» est le seul élément causal de la maladie. En effet, d’autres gènes qui auraient normalement compensés pour les effets phénotypiques de la variation génétique «y» auraient pu être également affectés par une variation génétique «z» qui les empêcheraient de pouvoir jouer leur rôle de «tampons» et ainsi, occasionner l’apparition d’une certaine maladie dans le contexte d’un régime alimentaire particulier.

À la lumière des ces informations, les phénomènes d’épistasie et de « buffering » peuvent rendre difficile l’identification des polymorphismes spécifiques responsables de la vulnérabilité d’individus à certaines maladies dans le contexte d’aliments, de nutriments ou de régimes alimentaires spécifiques. Étant donné leur influence, il est important de tenir compte de ces phénomènes lors de l’analyse des résultats de recherches conduites dans le domaine de la nutrigénétique.

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