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PARTIE 1 : Organisation de groupe et structure du réseau social 181

4. De l’intér t du leadership à la gestion des groupes

L’étude des pro essus du leadership et des é a is es à l’œuvre da s les dé isio s collectives est essentielle non seulement pour enrichir nos connaissances fondamentales sur le fonctionnement des sociétés animales, mais également pour améliorer la cohabitation e tre l’Ho e et la fau e sauvage. E effet, comprendre comment un groupe se déplace et utilise son environnement peut nous permettre de mieux organiser et partager le territoire, en tenant compte à la fois des impératifs des espèces animales, mais aussi ceux des populations humaines. Cela éviterait bon nombre de conflits, ces derniers étant souvent provoqués par une méconnaissance du comportement des animaux et des méthodes de gestion inadaptées.

4.1. Conflits Homme-faune

Depuis la uit des te ps, l’Ho e et la fau e sauvage sont en compétition, que ce soit pour l’espa e ou la ressour e. Cepe da t, es o flits sé ulaires ’o t essé d’aug e ter ces dernières années, la population humaine connaissant une croissance exponentielle (Distefano, 2005). En effet, le développement urbain détruit peu à peu les aires occupées par la fau e ui se retrouve alors o trai te d’évoluer à proximité des habitations. À titre d’e e ple, il a été montré que la croissance de la population canadienne était directement corrélée au nombre de re o tres et d’a ide ts graves i pli ua t des pumas, Puma

concolor, des ours noirs, Ursus maritimus, et des grizzlys, Ursus arctos (Baruch-Mordo et al.,

2014; Distefano, 2005). De plus, la dégradatio et la perte d’ha itats aturels, l’i te sifi atio de l’agri ulture et de l’élevage ai si ue les ha ge e ts li ati ues so t autant de causes responsables de l’aug e tatio de ces conflits de par le monde (Distefano, 2005; Pettett et al., 2017). Elles provoquent notamment une déprédation des cultures par les animaux sauvages, i.e. la dégradation et le pillage des cultures, une compétition pour le

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fourrage, des attaques de prédateurs sur le bétail, des collisions avec les véhicules et favorisent la transmission de zoonoses (Hofman-Ka ińska a d Ko al z k, ; Messmer, 2000; Seiler, 2004; Treves and Karanth, 2003; VerCauteren et al., 2006) (Fig. 6).

Fig. 6. Illustrations de certains conflits opposant l’Homme à la faune sauvage : A) déprédation des cultures (ici, des babouins dans un champ de blé, © Timothy Allen), B) compétition pour le fourrage entre le bétail et les herbivores sauvages (ici, un cheval domestique et un bison d’Amérique, Bison

bison, © Cindy McIntyre), C) attaque de prédateurs sur le bétail et D) accidents de la circulation (ici,

un orignal, Alces alces, traversant une route).

Le coût moral et économique peut également être important, en particulier pour les populations humaines do t la survie fi a i re dépe d de l’agri ulture ou de l’élevage. En Afrique par exemple, les éléphants peuvent être responsables de dommages considérables sur les cultures (Distefano, 2005; Osborn and Parker, 2003). Une étude menée à proximité du Parc National Kibale (Ouganda) en 1999 a par exemple rapporté u’à ha u e de leurs intrusions, les éléphants pouvaient détruire jus u’à % d’u e culture (Naughton-Treves and Treves, 2005). Une autre étude a chiffré le coût économique total des dommages liés à ce pachyderme entre 1991 et 1995 à 39 000$ O’Co ell-Rodwell et al., 2000). En Europe,

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malgré des rapports d’études contradictoires, la prédation du bétail par le loup peut-être problématique, surtout pour les fermes ne disposant pas de systèmes de protection (Distefano, 2005; Rigg et al., 2011) ; le prédateur tuerait environ 10 000 têtes par an pour une perte totale hiffrée de à 9 illio s d’euros (Boitani, 2000). En outre, et co e eau oup d’autres pa s, l’Europe fait fa e à u e surpopulatio de ervidés suite au mesures de protection des habitats, à la diminution de la pression de chasse et au contrôle de la population de grands prédateurs (Côté et al., 2004; Sinclair, 1997), ce qui a pour o sé ue e d’aug e ter les o flits ave l’Ho e. Selon Bruinderink et Hazebroek (1996), les ongulés seraient responsables chaque année de 507 000 collisions avec des véhicules causant la mort de 300 personnes, pour un coût estimé à 1 milliard de dollars. De plus, la forte densité de population de cerfs favorise la transmission de nombreuses maladies, que ce soit à d’autres esp es a i ales sauvages, au étail ou à l’Ho e (Côté et al., 2004; Steere, 1994).

Malgré ces conflits pour lesquels il est parfois difficile de trouver des solutions équitables et durables, la faune sauvage voit néanmoins son attrait augmenter depuis plusieurs décennies avec la mise en place de nouveaux programmes de réintroduction et l’e gouement grandissant pour l’é o-tourisme (Distefano, 2005; Messmer, 2000). En effet, le déclin de la biodiversité et ses conséquences provoquent une prise de conscience générale, favorable au retour du sauvage et au développement de mesures de protection et de conservation (Helmer et al., 2015). Certaines espèces, dites « parapluies », peuvent être utilisées pour restaurer et entretenir les habitats et les écosystèmes fragiles ou pour limiter la pullulation d’autres animaux (Ripple and Beschta, 2003, 2012; Smit et al., 2015). Néanmoins, l’urbanisation galopante et les besoins alimentaires croissants de la population mondiale limitent considérablement la disponibilité en habitats avec pour risque d’e a er er les tensions e tre l’Homme et la faune sauvage en cas de nouvelles réintroductions. Une gestion plus efficace du territoire et des espèces, domestiques et sauvages, est donc primordiale à une bonne cohabitation, notamment dans les milieux fortement anthropisés.

4.2. Gestion conventionnelle

La gestion des animaux reste l’un des défis majeurs pour l’Ho e au 21ième siècle, en particulier dans notre société moderne où la disponibilité des habitats devient rare. Pour éviter les conflits entre les espèces sauvages et les autres utilisateurs du territoire, les

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animaux domestiques et sauvages sont en grande majorité maintenus dans des enclos ou des réserves clôturées (Bishop-Hurley et al., 2007). Cepe da t, algré l’o sta le ph si ue u’elles représe te t, les lôtures lassi ues (Fig. 7), parfois renforcées par des barbelés et/ou par un système électrifié, sont coûteuses et très contraignantes (Anderson, 2007; Bishop-Hurley et al., 2007; Jouven et al., 2010). Elles requièrent notamment beaucoup de ai d’œuvre, de te ps et d’arge t, e serait-ce que pour leur installation et leur entretien (Butler et al., 2006; Jouven et al., 2010). De plus, de par leur nature statique et leur manque de flexibilité, elles e peuve t tre re o figurées fa ile e t pour s’adapter et opti iser l’aire u’elles déli ite t avec les besoins nutritionnels des animaux (Anderson, 2001; Butler et al., 2006; Rose, 1991). Ces inconvénients sont par exemple problématiques dans les alpages, lorsque les troupeaux partent en estive (Monod et al., 2009).

Fig. 7. Illustrations des méthodes conventionnelles de gestion et/ou de protection des troupeaux domestiques et de la faune sauvage : A) enclos et clôtures physiques, B) gardiennage des troupeaux, C) patch de supplémentation en nourriture (ici, groupe de bisons d’Europe, Bison bonasus, © Amandine RAMOS), et D) exemple de zone tampon entre la forêt et un champ cultivé.

L’effi a ité de es arri res est également discutable, en particulier lors u’elles sont utilisées pour prévenir les attaques de prédateurs sur le bétail. En effet, certains prédateurs peuvent profiter d’u e r he ou d’u dysfonctionnement du dispositif électrique, voire sauter

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dessus la clôture, et provoquer plus de pertes du fait de l’i possi ilité pour les animaux parqués de fuir et/ou de trouver une zone refuge (Distefano, 2005; Wade, 1982). Quant à leur installation pour prévenir la déprédation des cultures, celle-ci reçoit également des avis mitigés (Geisser et al., 2004; Osborn and Parker, 2003; VerCauteren et al., 2006).

Enfin, les clôtures conventionnelles constituent un obstacle pour les espèces sauvages non visées par le dispositif, o tri ua t ai si à la frag e tatio de l’ha itat et à l’isolatio génétique des populations animales (Distefano, 2005; Jouven et al., 2010; VerCauteren et al., 2006).

D’autres s st es de gestio existent tels que le gardiennage des troupeaux et la surveillance des cultures (Kaczensky, 1999; Osborn and Parker, 2003), la mise en place de zones tampons ou de cultures alternatives non appétantes pour la faune sauvage (Distefano, 2005; Santiapillai et al., 2010; Strum, 1994), l’a attage de quelques individus pour limiter la déprédation et les attaques (Geisser et al., 2004; Treves and Karanth, 2003) ou encore la ise e pla e de pat hs de ourriture à l’é art des ha ps cultivés (Geisser et al., 2004; Kaplan et al., 2011; Sahlsten et al., 2010). Ces méthodes restent néanmoins peu efficaces sur le long terme et nécessitent un investissement humain et financier non négligeable (Fig. 7).

4.3. Vers de nouvelles stratégies de gestion : le cas des clôtures virtuelles

4.3.1. Description et principe du dispositif

Face à la nécessité de partager le territoire en tenant compte à la fois des besoins humains et des impératifs écologiques, les éleveurs et gestionnaires de la faune sauvage tentent de développer de nouvelles stratégies de gestion. Les avancées techniques et l’utilisatio des outils i for ati ues per ette t d’e trevoir des alter atives i téressa tes da s e do ai e. La lôture virtuelle est l’u e d’e tre elles (Fig. 8). Cette dernière consiste e u dispositif oupla t u é etteur de radiofré ue es é a a t d’u fil pla é da s le sol ou via u e o u i atio satellitaire ave u ré epteur GP“ o posé d’u s st e d’alar e et de pu itio e ar ué sur l’a i al (Anderson, 2001, 2007; Butler et al., 2006; Jouven et al., 2010; Quigley et al., 1990). Ai si, lors ue l’a i al é uipé appro he la li ite de l’aire autorisée, le s st e s’a tive et délivre u sti ulus négatif destiné à provoquer le demi-tour de l’i dividu (Anderson, 2007; Quigley et al., 1990; Tiedemann et al., 1999). Le sig al doit tre suffisa e t aversif pour l’a i al et doit impérativement s’arr ter lors ue

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le comportement attendu est obtenu (Anderson, 2001; Monod et al., 2009; Tiedemann et al., 1999). Les stimuli les plus utilisés à l’heure a tuelle se o pose t d’u sig al so ore (émis en première intention) suivi d’un choc électrique (Butler et al., 2006; Fay et al., 1989; Quigley et al., 1990), ie ue d’autres sig au o e des vibrations, des sprays odorants ou encore des indices lumineux soient en test (Bishop-Hurley et al., 2007).

Fig. 8. Schéma du dispositif de clôtures virtuelles pour le contrôle et la gestion des animaux sauvage et domestique. L’animal est équipé d’un collier GPS qui, à l’approche des limites de l’aire autorisée, envoie un signal satellitaire informatif. L’information est ensuite renvoyée par le satellite ce qui a pour conséquence de déclencher un signal d’alarme au niveau du collier, i.e. un stimulus sonore négatif, destiné à provoquer le demi-tour de l’animal (flèche orange). Si l’animal persiste, le stimulus auditif est suivi d’un choc électrique destiné à provoquer la même réponse comportementale.

Pour être efficace, les i dividus é uipés doive t appre dre à asso ier le sig al d’alar e avec le choc électrique survenant ensuite afin de pouvoir être contrôlés sur le long terme par le sig al d’alar e seul, i.e. conditionnement négatif (Bishop-Hurley et al., 2007; Jouven et al., 2010). De même, contrairement aux barrières physiques, la clôture virtuelle étant esse tielle e t se sorielle, l’a i al doit appre dre à asso ier le sti ulus reçu avec les restrictions spatiales définies (Butler et al., 2006). Les travaux cités dans la littérature montrent que cet apprentissage peut être relativement rapide, i.e. à raison de quelques

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essais seulement face au dispositif [vaches (Bishop-Hurley et al., 2007; Monod et al., 2009; Tiedemann et al., 1999); moutons (Jouven et al., 2010); chèvres (Fay et al., 1989)].

Malgré cela, certains animaux peuvent être réfractaires et rendre le système inefficace. En effet, les individus peuvent rester immobiles durant le choc électrique ou tenter malgré tout de passer da s les zo es d’e lusio s (Fay et al., 1989; Jouven et al., 2010; Quigley et al., 1990). Da s e o te te, il ’est pas possi le d’e lure les ris ues de lessures ou de stress chronique chez les animaux (Anderson, 2001; Hawley et al., 2013). En cas de perturbation importante, e.g. u ruit soudai ou u e atta ue de prédateur, l’i per éa ilité de e ge re de système peut également être remise en cause ; il pourrait même faciliter les vols de bétail (Jouven et al., 2010). De plus, e si l’e trai e e t au dispositif est o eva le hez les troupeaux domestiques, il semble plus difficile de le mettre en place sur des animaux sauvages. À ma connaissance, peu d’études ont été menées en ce sens sur des espèces sauvages, hormis les quelques essais effectués avec des colliers électriques sur certaines espèces de canidés [loup (Hawley et al., 2013) ; coyote, Canis latrans (Andelt et al., 1999; Shivik and Martin, 2000)] et chez le cerf mulet, Odocoileus hemionus (Nolte et al., 2003). Enfin, les clôtures virtuelles semblent peu appropriées pour contrôler les grands groupes car il est difficile, pour des raisons logistiques et é o o i ues évide tes, d’é uiper tous les individus (Jouven et al., 2010). Ai si, l’i tér t des études porta t sur le phé o e du leadership prend ici tout son sens.

4.3.2. Clôtures virtuelles et leadership : quelles applications ?

Il ’est pas é essaire d’é uiper haque individu d’un dispositif GPS de barrières virtuelles pour que l'ensemble du groupe soit contrôlé, les espèces préférentiellement ciblées par cette méthode ayant souvent un fort instinct de troupeau. En effet, en plus de nécessiter une logistique et une organisation très importantes, surtout pour des espèces sauvages, cela reviendrait beaucoup trop cher et engendrerait par la même beaucoup de stress pour les animaux lors des captures. Ainsi, le moyen le plus efficace de contenir un groupe serait d'utiliser le comportement naturellement grégaire et le tempérament de suiveurs de certains individus afi d’équiper uniquement les animaux responsables des sorties de territoire, i.e. les leaders (Fay et al., 1989; Jouven et al., 2010). Plusieurs travaux o fir e t l’intérêt de ne cibler que les leaders de groupe pour obtenir un résultat prometteur. Tiedemann et ses collaborateurs (1999) ont par exemple montré chez le bétail

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que lorsque le dispositif GPS des leaders devenait inactif, ces individus pouvaient se déplacer da s la zo e d’e lusio , e trai a t da s leur sillage les autres e res du groupe ; ces der iers, égale e t é uipés, étaie t apa les d’e durer les ho s éle tri ues pour suivre coute que coute leurs leaders. Une autre étude a montré, via la facilitation sociale, u’un troupeau de moutons pouvait également être contrôlé en entrainant seulement quelques individus à éviter certaines zones (Lynch et al., 1992). Chez les chèvres, Fay et ses collaborateurs (1989) o t ua t à eu o lus ue l’e trai e e t des a i au les plus dominants devait permettre de contenir le groupe, tout cela en équipant un minimum d’i dividus.

Au vu de ces premières conclusions, la compréhension des processus de leadership semble donc importante et essentielle pour la gestion des troupeaux domestiques, mais aussi celle de populations sauvages évoluant dans des réserves. Des efforts doivent en particulier être four is afi d’identifier, pour ha ue esp e d’i tér t, les facteurs sociodémographiques et les ara téristi ues des i dividus ui so t respo sa les des sorties de territoire d’u groupe. De plus, il parait esse tiel de o pre dre l’i flue e de la stru ture et de l’orga isatio so iale de l’esp e hare , groupe multimâles, dynamique de fission-fusio … sur la oordi atio et la s hro isatio des e res d’u groupe, afin de pouvoir envisager plus sérieusement une gestion par barrières virtuelles. Néanmoins, au vu du manque global de connaissances, et pour que cette stratégie puisse être applicable à plus ou moins long terme, il est essentiel de conduire de nouvelles études pour mesurer notamment l’adaptatio d’u e telle technologie aux contraintes environnementales inhérentes à la vie sauvage.