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L’intégration de l’économie résidentielle dans la théorie de la base revisitée

PARTIE 1 : MISE EN PERSPECTIVE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE DE LA THESE

1. DES MODÈLES TERRITORIAUX DE PRODUCTION AUX MODÈLES DE CONSOMMATION

1.2. L’ÉMERGENCE DE LA CONSOMMATION EN TANT QUE MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT

1.2.2. L’intégration de l’économie résidentielle dans la théorie de la base revisitée

On peut à priori penser que les nombreuses critiques émises à l’encontre de la théorie de la base économique sonnent le glas de cette théorie. Ce n’est pas le cas. D’une part, les approches centrées sur les systèmes productifs locaux continuent de mobiliser cette théorie (Coulson et al. 2013), souvent à l’aide de méthodes statistiques plus robustes qui permettent d’affiner le diagnostic, ou alors grâce à la disponibilité plus importante de données sur l’emploi et le revenu que par le passé (Talandier 2007). D’autre part, la théorie de la base a été « revisitée » par plusieurs auteurs à partir des années 1980, en réponse notamment aux critiques virulentes de Richardson (1985), et pour tenter de la rendre compatible avec les évolutions sociétales actuelles. Comme le précisent Talandier et Davezies (2009), « de

nombreux travaux portent sur les différents aspects de la base non productive, mais toujours évalués séparément. C’est en ce sens que ces travaux peuvent être qualifiés de spécifiques ou de partiels » (p. 69).

Aux Etats-Unis d’abord, en réponse notamment à la vision dichotomique simple de l’économie régionale en secteurs basiques et domestiques, des améliorations ont été portées, d’une part en élargissant la base économique aux activités tertiaires, et d’autre part en intégrant la population (retraités, touristes, propriétaires, etc.) au raisonnement en tant que pourvoyeuse de revenus basiques (Nelson 1997 ; Vollet et Dion 2001). Ainsi, de nouvelles applications de la théorie de la base ont été réalisées. Ces travaux traitent de l‘installation de retraités urbains en milieu rural (Summers and Hirschl 1985 ; Roussel et Vollet 2004), de l’impact des migrations de travailleurs (Cobbe 1994), des touristes ou des activités récréatives (Vollet 1998). Plus récemment, le poids des rentes sociales et de retraite a aussi été évalué (Kendall and Pigozzi 1994), tout comme les conséquences de la décision publique (Nelson and Beyers 1998).

Laurent (1995) en France précise qu’il est important de conserver les aspects basiques du développement local en tant que moteurs, mais en intégrant aussi les effets d’autres bases, dont la base publique. Il considère aussi que les touristes, les migrants alternants ou les étudiants doivent être intégrés au raisonnement, et pas uniquement les employés des activités exportatrices.

En conséquence à ces différents travaux, les sources potentielles de revenus extérieurs s’élargissent et ne se cantonnent plus uniquement aux emplois exportateurs. Suite à ces

évolutions, la théorie de la base se recentre progressivement sur sa vocation première, à savoir l’identification des revenus extérieurs basiques susceptibles d’enclencher un processus de développement local. La base économique d’un territoire est donc constituée d’un flux monétaire, par exemple exprimé en dollars, qui entre dans une région et dont l’effet sur l’économie locale sera d’autant plus important qu’il y restera longtemps en circulation, passant de main en main et dépensé dans les différentes activités marchandes (Polèse 1994). Même si Polèse a sans doute quelque peu exagéré la notion d’activité basique, en incluant les restaurants, musées ou cabinets de médecins dont les clients proviennent de l’extérieur à la région et qui sont habituellement considérées comme domestiques, il questionne la distinction souvent critiquable d’une activité en basique ou domestique, et son caractère difficilement généralisable à l’ensemble des régions (Talandier et Davezies 2009). Ces premières ouvertures ne remettent pourtant pas fondamentalement en cause le modèle de la base par les emplois exportateurs, qui demeure souvent inchangée dans la plupart des manuels d’économie régionale et urbaine (Camagni 1996), notamment en raison des difficultés inhérentes à l’acquisition des données de revenu et à leur traitement statistique.

C’est véritablement au début du XXIème siècle qu’un tournant à lieu concernant l’estimation des bases économiques en termes de revenus (Vollet 1998 ; Vollet et Dion 2001 ; Vollet and Bousset 2002). Davezies (2003; 2008a) propose ainsi une première méthode de calcul des revenus basiques qui repose sur quatre grandes familles :

 La base productive privée qui intègre les revenus issus de l’exportation de biens et services ;

 La base publique qui compte les montants des salaires des fonctionnaires qui ne sont pas couverts par les collectivités locales ;

 La base sociale qui consiste en l’ensemble des revenus de transferts sociaux (prestations, chômage, minima sociaux, remboursement de soins de santé) ;

 La base résidentielle dont les revenus extérieurs sont captés grâce à la résidence et à la présence de la population telle les retraités, les migrants alternants et les touristes. Les analyses issues de ces quatre bases pour la France relatent d’une part la faible part de la base productive privée sur le total des bases, ne représentant que 25% des revenus basiques moyens des aires urbaines françaises. D’autre part le poids de la base dite résidentielle dans les économies locales représente à lui seul 50% en moyenne de l’ensemble des revenus

aussi au-delà parmi les aménagistes, planificateurs en développement, et autres responsables politiques régionaux. Le basculement opéré par l’adoption du terme d’économie résidentielle, chiffres à l’appui, est significatif. Dès lors, les activités dites exportatrices cessent d’accaparer toute l’attention au profit des individus qui consomment. « D’emblée, l’idée que l’acteur local

est impuissant face à une mondialisation qui se joue des territoires peut être, de nouveau, discutée. Dès lors, résumer l’économie locale à la production serait insuffisant » (Talandier

2007, p. 184).

La théorie de la base économique revisitée fait dès lors l’objet de nombreuses études qui concernent, surtout en France, les espaces ruraux (Vollet 2007 ; Talandier 2007). D’autres travaux revisitant la théorie de la base sont réalisés également en Belgique (De Keersmaecker

et al. 2007). Aux Etats-Unis, Ann Markusen (2007) insiste sur l’importance de la dépense

locale des revenus basiques captés pour enclencher un processus de développement local par la consommation, trop souvent négligée par les initiatives locales.