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De l’économie résidentielle à l’économie présentielle et expérientielle Avec la mobilité des personnes et les différents revenus de transfert, le modèle de la base

PARTIE 1 : MISE EN PERSPECTIVE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE DE LA THESE

1. DES MODÈLES TERRITORIAUX DE PRODUCTION AUX MODÈLES DE CONSOMMATION

1.2. L’ÉMERGENCE DE LA CONSOMMATION EN TANT QUE MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT

1.2.5. De l’économie résidentielle à l’économie présentielle et expérientielle Avec la mobilité des personnes et les différents revenus de transfert, le modèle de la base

s’est complexifié avec une diversification importante des types de revenus qui sont susceptibles d’être captés par un territoire. Pour ce dernier, un des enjeux centraux de la théorie de la base revisitée est donc la définition des bases économiques sur les enjeux à la fois productifs et résidentiels de captation de richesse (Talandier 2007). C’est d’autant plus difficile en raison de la déconnexion entre les enjeux de production et les enjeux de consommation soulevée par les travaux sur l’économie résidentielle, qui engendre une indépendance accrue de la demande locale par rapport à l’offre exportatrice. Avec l’importance actuelle prise par l’économie résidentielle dans les régions françaises (Davezies 2008a), les activités locales ou domestiques, considérées comme induites dans la théorie de la base, deviennent importantes pour stimuler la demande locale et pour enclencher une dynamique d’attrait de résidents et de touristes, ainsi qu’un accroissement des revenus et des emplois locaux (Talandier et Davezies 2009). Ainsi, nombre de régions françaises centrées historiquement sur la production de biens et services ont perdu de l’importance en termes de création d’emplois ou d’évolution du revenu des résidents (Davezies 2012). Autrement dit, la circulation accrue des revenus entraine une diffusion des richesses créées initialement dans les régions productives à d’autres territoires. Est-ce que l’économie résidentielle est forcément incompatible avec l’économie productive dans un même territoire ? Les travaux français les plus récents montrent plusieurs résultats intéressants.

Tout d’abord, les territoires urbains, mais aussi ruraux, qui sont les plus dynamiques en termes de population et d’emploi et qui résistent le plus aux dernières crises économiques sont de type productivo-résidentiels, c’est-à-dire relativement équilibrés en moyenne en bases productives et résidentielles (Talandier et Davezies 2014). Ces régions peuvent ainsi compter sur les deux atouts productifs et résidentiels en tant que forces cumulées d’attraction pour pallier aux différentes crises. A ce propos, Campagne et Pecqueur (2014) explicitent le rôle joué par les ressources territoriales, définies en tant qu’activités productives (par exemple

l’artisanat, l’agriculture ou les savoir-faire spécifiques) qui valorisent les ressources propres du territoire. Alliées à une bonne attractivité résidentielle et touristique, ces ressources rendent le territoire dynamique et innovant en termes productifs, mais aussi résidentiels (Talandier et Davezies 2014).

A l’inverse, les territoires français les plus productifs sont les plus pénalisés à la fois dans les territoires urbains et ruraux (Talandier 2007). Dans ces derniers, Talandier (2013) a montré que les emplois féminins sont très importants, y compris dans les industries, ce qui rend la situation très précaire à la fois pour les hommes et pour les femmes en cas de perte d’emploi. Une diversification des activités en direction de l’économie résidentielle peut parfois y remédier (Talandier 2012).

Finalement, les territoires français les plus résidentiels ont aussi un fort dynamisme, par exemple lié au tourisme, y compris dans les espaces ruraux les plus reculés qui ont pu compter sur l’économie résidentielle pour se relancer. Par contre, dans ces derniers, les inégalités sont très fortes avec des écarts importants entre riches et pauvres, la présence d‘emplois souvent précaires, par exemple dans le tourisme, une pression foncière importante sur les ressources paysagères et environnementales ou les risques de congestion liée au trafic automobile engendré. Cette pression résulte du cumul des demandes des populations résidentes et touristiques pour les mêmes infrastructures et aménités. Ainsi, il s’agit de limites importantes liées à l’économie résidentielle, qui concernent surtout les régions rurales, touristiques et périurbaines (Talandier 2012). Là aussi, pour y pallier, une des solutions proposées est de repartir des revenus et de la consommation générés dans l’économie résidentielle pour créer à nouveau du « productif » davantage orienté sur l’extérieur de la région (Talandier et Davezies 2014).

En conséquence, il y existe plusieurs configurations possibles entre l’économie résidentielle et l’économie productive. Mais ce n’est pas tout. Les recherches menées en France ont aussi montré, en parallèle à la dissociation des lieux de production et de consommation caractéristique de l’économie résidentielle, qu’intervient une différenciation des temps dévolus à la production et à la consommation. En effet, la population réellement présente sur un territoire peut varier rapidement, en cours de journée par exemple dans le cas de travailleurs présents sur leur lieu de travail dans un pôle industriel et qui le quittent en fin de journée, ou en cours d’année, par exemple dans le cas d’une station touristique qui fonctionne selon la saisonnalité. Pour cette raison, le terme d’économie présentielle est devenu courant pour

revenus basiques, la transformation des revenus basiques en revenus induits est un autre enjeu de la théorie de la base économique revisitée.

Or nous avons vu préalablement la difficulté récurrente, depuis les premières formulations de la théorie de la base, à différencier une activité basique d’une activité domestique. On peut se demander si les activités domestiques ne deviennent pas basiques lorsqu’elles attirent un consommateur de l’ailleurs, par exemple dans le cas d’un hôtel ou d’un restaurant. Est-ce que les visiteurs de Zermatt viennent pour consommer les services dits « exportateurs » que sont les hôtels et restaurants ? Le caractère exportateur des professionnels de l’hébergement marchand et plus généralement du tourisme est critiquable (Guex 2015). A la suite de Talandier et Davezies (2009), on considère davantage que ce qui attire les touristes, et plus largement les consommateurs, n’est pas l’activité en elle-même qui demeure induite, mais d’autres facteurs bien plus symboliques et expérientiels comme le paysage, le climat ou le patrimoine (Guex 2015). Seuls de très rares cas comme un restaurant gastronomique ou un musée renommé deviennent assez clairement des activités basiques. En conséquence, la base économique d’un territoire peut tout à fait être de nature non marchande, « constituée de

son climat, son littoral, son histoire, bref son patrimoine collectif » (Talandier et Davezies 2009,

p. 112). En raison de la difficulté à intégrer tous ces différents aspects du développement régional, pour l’heure il ne semble exister aucune véritable analyse empirique exhaustive du fonctionnement complet de la théorie de la base économique, à savoir de la captation régionale des bases à leur circulation interne et leurs effets multiplicateurs d’emplois et de revenus (Talandier et Davezies 2009).

Finalement, outre l’économie résidentielle et présentielle dérivées directement de la théorie de la base, d’autres approches intègrent systématiquement les enjeux de production et de consommation. C’est le cas des travaux dérivés de l’économie expérientielle (Pine and Gilmore 1998) et qui s’intéressent à ses dimensions spatiales, notamment la question de la création de valeur en milieu urbain (Lorentzen 2009). A l’origine orientée sur le marketing stratégique et sur le comportement des consommateurs, l’économie expérientielle met en avant la valeur émotionnelle associée à une expérience de consommation proposée par un producteur1. Par exemple, en se rendant dans un Starbucks, le consommateur américain ne vient pas seulement acheter un produit élaboré, ni même un service, mais une expérience personnelle et mémorable : l’expérience romantique du café italien (Pine and Gilmore 1998). Appliquée au développement territorial, les formes spatiales résultant de la transaction monétaire et symbolique entre producteurs et consommateurs ont fait l’objet de différents travaux (Jeannerat 2013 ; Guex and Crevoisier 2015). Bien que la transaction monétaire opère       

1 Dans cette approche, par production, on entend toute activité économique (industrielle, touristique, commerce

toujours entre les producteurs et les consommateurs, la valeur symbolique (identitaire, de réputation, culturelle, etc.) est de moins en moins contenue uniquement dans l’activité économique elle-même - un hôtel, un restaurant, un musée – mais se déploie dans et bien au- delà de la région. Dans cette acception, le développement régional découle de la qualité de la « mise en scène territoriale » qui dépend de la présence d’atouts symboliques comme la beauté d’un paysage, l’architecture spécifique d’un quartier, la présence d’un lac ou d’un climat attrayant, etc. La littérature des « tourism studies » a également largement abordée les processus de création de valeur (Richards and Wilson 2006), mais le plus souvent en négligeant la question des échanges monétaires.