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1.4.1 La reprogrammation cellulaire et l’initiation du cancer

À travers les deux sections précédentes, nous avons mis en évidence le rôle joué par les deux grands types d’altérations génétiques contribuant à l’initiation du cancer : l’activation d’oncogènes et la perte de suppresseurs de tumeurs. Le modèle de la sélection clonale pourrait laisser sous-entendre que la transformation maligne résulte d’une simple addition de telles altérations (12). En fait, le processus est beaucoup plus complexe. Certes, l’acquisition de mutations oncogéniques et la perte des défenses antitumorales intrinsèques d’une cellule sont requises. Cependant, la cellule doit également acquérir une propriété essentielle, soit la tumorigénicité, laquelle correspond à la capacité d’initier la formation d’une tumeur maligne. L’acquisition de cette propriété requiert un changement d’identité cellulaire important, parfois qualifié de reprogrammation maligne (175-177). Les cellules qui en découlent, désignées sous l’appellation de cellules initiatrices de tumeurs (tumor-initiating cells; TIC) ou cellules initiatrices de cancers (cancer-initiating cells; CIC), possèdent un certain nombre de propriétés normalement attribuables aux cellules progénitrices, ou cellules souches, telle que la capacité d’auto-renouvellement cellulaire (13, 178).

La transformation maligne d’une cellule différenciée inclut donc un certain niveau de dédifférenciation (13, 178, 179). Ce processus ne dépend pas uniquement des défauts génétiques acquis; il dépend aussi de changements épigénétiques importants (175, 178, 180).

À titre d’exemple, les cellules transformées montrent souvent une hypométhylation globale de l’ADN (181), ce qui pourrait réactiver certains gènes dont l’expression est normalement réservée aux cellules souches. À l’inverse, l’hyperméthylation des îlots CpG de l’ADN peut mener à l’inactivation de régulateurs négatifs des voies qui contribuent à l’acquisition de propriétés associées aux cellules progénitrices (175), telle que la voie de WNT (wingless-type MMTV integration site family) (182, 183).

Les changements épigénétiques ne sont pas nécessairement la conséquence de mutations; ils peuvent être influencés par le microenvironnement (184-186). Il est effectivement reconnu qu’un contexte inflammatoire soutenu peut contribuer à l’étiologie de plusieurs cancers (14, 187, 188). Cependant, les mécanismes liant le microenvironnement au remodelage de la chromatine sont loin d’être compris. Ils pourraient néanmoins inclure l’activation de facteurs intimement liés à la plasticité cellulaire, laquelle correspond à la capacité de changer d’identité, en réponse aux éléments caractérisant un microenvironnement pathologique (187, 188). Ces facteurs pourraient inclure, à titre d’exemple, l’activation de STAT3 (signal transducer and activator of transcription 3) et de la voie de NF-B, puisque les deux ont des rôles connus à la fois dans la reprogrammation cellulaire et dans le processus de la transformation maligne (179, 187-190).

Le PDAC est un exemple de cancer illustrant bien l’importance du microenvironnement et de la reprogrammation cellulaire dans le processus menant à la transformation maligne (191, 192). L’induction d’une pancréatite chronique semble d’ailleurs requise pour le développement du PDAC chez les modèles murins qui expriment l’oncogène KRas (18). Non seulement l’inflammation chronique contribue au contournement de la sénescence cellulaire, mais elle favorise également l’ADM, une étape de transdifférenciation qui initie la progression tumorale (Figures 1 et 5) (81, 192). Les cellules qui résultent de l’ADM présentent certaines caractéristiques des cellules progénitrices du pancréas, suggérant un processus de dédifférenciation partielle (192, 193). Les facteurs de transcription STAT3 et NF-B sont activés par des cytokines produites par les cellules du système immunitaire et jouent un rôle critique dans cette étape de reprogrammation (194-197), de même que pour l’initiation du PDAC (Figure 5) (192, 198-200).

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1.4.2 Les cellules souches cancéreuses et la progression du cancer

Nous pourrions croire qu’une tumeur contient une population homogène de cellules cancéreuses. Cependant, tout comme le processus de la sélection clonale est à l’image de la sélection naturelle, la tumeur est à l’image d’un écosystème. En d’autres mots, il s’agit généralement d’un mélange hétérogène de cellules cancéreuses qui interagissent entre elles et avec les cellules «saines» du microenvironnement (202-204). L’hétérogénéité des tumeurs est interprétée depuis longtemps comme étant une extension de la sélection clonale menant à l’initiation du cancer. Ainsi, des événements génétiques aléatoires au sein de la population de cellules cancéreuses donnent naissance à des sous-populations, lesquelles prennent une importance relative en fonction des avantages que peuvent conférer les nouvelles mutations ou altérations épigénétiques (4, 175, 202-204). L’instabilité génomique associée à de nombreuses cellules cancéreuses donne d’ailleurs un argument important en faveur de ce modèle d’évolution clonale du cancer (203, 205). Cependant, les différents microenvironnements au sein d’une tumeur peuvent aussi contribuer à des changements de phénotypes, voire épigénétiques, au niveau de populations localisées de cellules (202-204, 206, 207). Enfin, la présence de cellules cancéreuses pluripotentes capables de se différencier en une diversité de cellules tumorales est un autre modèle proposé pour expliquer l’hétérogénéité des tumeurs (202, 204).

Au cours des dernières années, de nombreuses études ont identifié des sous- populations de cellules cancéreuses ayant des caractéristiques attribuables aux cellules souches, désignées comme étant des cellules souches cancéreuses (cancer stem cells; CSC) (176, 184). Étant donné leur présence dans une grande diversité de tumeurs, autant liquides que solides (208-210), le modèle de l’hétérogénéité découlant de la plasticité des cellules cancéreuses gagne en popularité (211). Ce modèle voudrait que les sous-populations de CSC, aussi petites soient-elles (212), puissent supporter la maintenance et le développement des tumeurs (213). Effectivement, ces cellules seraient hautement tumorigéniques, alors que les autres cellules de la tumeur résulteraient de leur différenciation et pourraient avoir perdu cette faculté (202). De plus, les CSC pourraient répondre au microenvironnement afin d’assurer une descendance adaptée au contexte (176, 214). Pour cette raison, les CSC sont soupçonnées de

jouer un rôle important dans l’établissement des métastases et dans la résistance à plusieurs thérapies (176, 213). De plus, certaines propriétés associées aux cellules souches, telle qu’une plus grande capacité d’expulsion de divers agents chimiques, expliqueraient la résistance intrinsèque des CSC face à diverses stratégies thérapeutiques (176).

L’identité exacte des CSC, et surtout leur origine, demeurent controversées. Bien qu’elles partagent des caractéristiques avec les cellules souches, elles ne dérivent pas nécessairement de cellules progénitrices. Des évidences suggèrent plutôt qu’elles résulteraient de la dédifférenciation de cellules cancéreuses «différenciées» (179, 213, 215). Cette logique n’est pas sans rappeler la reprogrammation cellulaire contribuant à la transformation maligne. Les CSC résultent-elles simplement de la propagation des TIC, par exemple, via une division asymétrique de ces cellules? Bien que cette possibilité ne soit pas totalement exclue, elle demeure spéculative et ne serait pas nécessairement la norme. Premièrement, le niveau de dédifférenciation des TIC comparativement au CSC n’est pas défini. Étant donné les difficultés qui découlent de l’isolation et de l’analyse des cellules d’origine d’un cancer, il n’est pas clair pour le moment si les TIC représentent un stade transitoire de dédifférenciation ou un stade analogue aux CSC. En effet, elles pourraient avoir acquis quelques propriétés des cellules progénitrices, comme la capacité d’auto-renouvellement, ce qui conférerait la tumorigénicité. Cependant, contrairement aux CSC, elles n’auraient peut-être pas la capacité de différenciation et les marqueurs classiques de la pluripotence (216, 217). Une reprogrammation supplémentaire des TIC serait peut-être nécessaire afin de permettre l’apparition d’une réelle sous-population de CSC. Deuxièmement, une plasticité bidirectionnelle pourrait exister au sein d’une tumeur (184, 211, 214). En d’autres termes, les cellules cancéreuses différenciées pourraient se dédifférencier à nouveau afin de contribuer à la population de CSC. Les principes gouvernant la reprogrammation de ces cellules pourraient néanmoins être similaires à ceux évoqués pour les TIC, avec un rôle clef des changements épigénétiques et du microenvironnement (Figure 5) (218). Ceci pourrait expliquer pourquoi les sous-populations de CSC sont parfois hétérogènes au sein d’une même tumeur (176, 214).

Étant donné le flou qui existe entre la définition des TIC et celle des CSC, une grande ambiguïté dans la terminologie utilisée est observable dans la littérature. Les deux termes sont

souvent interchangés, alors considérés comme synonymes. Néanmoins, certains groupes proposent l’utilisation du terme TIC afin de désigner les toutes premières cellules ayant subi la transformation maligne. Les CSC représentent alors les cellules reprogrammées au sein d’une tumeur déjà établie (13, 184). Tout au long de cet ouvrage, nous avons appliqué cette logique.

En résumé, les tumeurs malignes sont hétérogènes et dynamiques. La reprogrammation cellulaire est un processus qui assure la plasticité des cellules cancéreuses, ce qui contribue significativement à l’hétérogénéité et à l’évolution de la tumeur. C’est cette capacité d’évoluer et de s’adapter aux restrictions qu’impose l’environnement qu’un cancer gagne en agressivité et qu’il peut éventuellement résister aux outils thérapeutiques dont nous disposons.

1.5 La voie de signalisation ERK/MAPK

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