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C HAPITRE 2 : P ROVENCE A CTUALITÉS

L’INFORMATION AU QUOTIDIEN

A l’instigation d’Alain Peyrefitte, ministre de l’Information de 1961 à 1966, l’information régionale connaît un développement sans précédent. Des journaux quotidiens sont partout créés. A Marseille, Provence-

Actualités débute le 29 novembre 1963. Diffusé à 19 h 25, l’émission

devient la grande affaire de la station. Alain Peyrefitte assiste à l’inauguration, emmenant avec lui Robert Bordas, le directeur général de la RTF et Roland Dordhain, il proclame : “Chaque soir, vous verrez des images de cette activité qui de la région marseillaise, et de la Provence, votre région va faire une région à la pointe du progrès et de l’expansion de la France.” Rude ambition pour un journal !

L’horaire de diffusion pose quelque problème : doit-on exclure les émissions régionales de ce qu’on n’appelle pas encore le prime-time. “Alors qu’en radiodiffusion sonore, les programmes régionaux sont donnés en «décrochage», c’est-à-dire en coupure du relais d’un programme donné, en télévision régionale on applique en général le principe d’émissions hors antenne, c’est-à-dire diffusées avant l’ouverture du programme national. Doit-on s’en tenir à cette règle qui, automatiquement, nous repousse à des heures de moindre audience ?”81

Le chef de services artistiques signale pourtant que Bordeaux, qui a coupé un programme parisien pour y substituer une des ses émissions a immmédiatement provoqué des réactions du “public qui considère avoir droit à l’ensemble des programmes parisiens, ainsi qu’à son supplément régional.”

“A ses débuts, et jusque vers la fin des années soixante, le journal télévisé régional se définit comme des actualités cinématographiques offertes à domicile. Les sujet sont en noir et blanc, muets, longs et réalisés à partir d’un scénario ; ils racontent une histoire en cinq ou six

81 Pierre Bury (1963). “Marseille dans les plus beaux décors du monde”.

minutes (…). L’image illustre plus qu’elle ne révèle.”82 Ensuite, les sujets

deviendront plus cours, plus synthétiques et moins “écrits”. Pauvres, les actualités régionales se cantonnent souvent à leur département d’origine83. Les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes sont à peu près

couverts, mais les sept autres départements de la région84 “n’ont que très

rarement l’occasion de s’exprimer à l’écran”85. Le journal comprend

beaucoup de sujets culturels ou touristiques, les événements politiques sont eux abordés avec une prudence certaine : “On se gardait bien d’aborder les sujets politiques de fond, qui sont restés pratiquement tabous jusqu’à la fin des années soixante. Je participais pourtant au journal dès qu’il y avait des élections, je couvrais la préfecture, la mairie. Mais il n’y avait pas de discussions, pas de commentaires. On diffusait les chiffres et c’était tout.”86

A la rentrée 1965, les actualités régionales de Marseille sont restructurées. Elles sont désormais composées de trois rubriques qui durent chacune environ quatre minutes. La première est toujours consacrée à l’actualité, les autres sont organisées autour de grands thèmes ; le mardi par exemple, après l’actualité, suivent “La vie maritime” et les “Jeunes”, le jeudi, “Pour vous madame” et, en alternance, “Jeux et traditions” ou “Les animaux”… Les sujets thématiques sont traités sous forme de magazine ou d’un petit ensemble de sujets brefs. En fait,

Provence-Magazine alternait déjà des chroniques hebdomadaires

régulières, mais leur organisation est mieux structurée, et leur thème diversifié. Quoi qu’il en soit, la réforme est jugée par Paris suffisamment intéressante pour que le délégué aux stations régionales, Bernard Gouley,

82 Jérôme Denery, L’évolution du journal télévisé régional Provence-Alpes-

Côte d’Azur-Corse de 1954 à 1974, Mémoire de l’Institut d’Etudes Politiques

d’Aix-en-Provence, 1983-1984.

83 Alors que la zone de réception de la station s’étend : dès 1962, 9

émetteurs et 26 réémetteurs permettent de couvrir la région.

84Var, Vaucluse, Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Corse, Hérault, Gard. 85 Note de Pierre-Antoine Deraigne pour M. Bulot, administrateur des

journaux de la RTF, 16 mai 1963.

demande aux autres stations régionales de s’en “inspirer et d’adapter les grandes lignes de cette formule à leur région”87.

Malgré cette pression de l’actualité quotidienne, il subsista sans doute quelque temps un certain décalage entre les normes de professionnalisme de la radio et celles de la télévision, d’autant plus que l’équipement de la télévision était souvent vétuste ou incomplet88. Le responsable de la

télévision, Robert Bellair, ayant lui-même été journaliste, portait un jugement sans complaisance sur le travail réalisé par ses équipes. Dans un courrier à Henri Toreilles, le chef du centre de production, il donne des notes aux huit sujets du journal télévisé régional du 6 septembre 1965 ; il estime que trois étaient très mauvais et deux assez bien. “En conclusion, mis à part l’excellent travail de M. Liabœuf, les sujets tournés par les cameramen contractuels sont de très mauvaise qualité”. Et il rajoute “Je vous laisse le soin d’établir si la faute est due au matériel utilisé ou au «laisser-aller» de certains cameramen89.” Le propos, qui ne dut rien

arranger des relations que l’homme entretenait avec ses anciens collègues devenus subordonnés, était sans doute partiellement fondé. “C’était une autre manière de travailler, sans doute moins sérieuse mais plus drôle. Quand je suis rentré en retard d’un reportage sur une avalanche à Montgenève parce que j’étais parti me promener deux jours à Turin avec une équipe de la RAI rencontrée là-bas, j’ai rapporté le reportage avec trois jours de retard, Bellair était vert, fou de rage. On était seuls à faire des images. Il faut bien dire aussi que c’est peut-être pour ça que Paris a envoyé des équipes en province pour couvrir certains reportages. On a sans doute un peu exagéré. On choisissait des reportages pour se faire plaisir. Après, les choses ont changé.”90

De fait, les exigences professionnelles sont assez vite adoptées par la rédaction marseillaise. La pression extérieure augmente, la deuxième

87Note et lettre du 23 septembre 1965.

88 Le premier car de reportage, noir et blanc arrive à la station en 1969,

«récupéré» des services parisiens. En 1972, Marseille obtient un car couleur neuf.

89note du 6 septembre 1965. 90Un journaliste.

chaîne qui commence ses émissions en 1964, exige elle aussi son lot de sujets régionaux. Robert Bellair lui-même souligne les qualités professionnelles de ses équipes et en particulier de Daniel Leschi, Jacques Linski, André Hatchondo, Jacques Vigneux… En revanche, les relations se tendent entre le directeur régional et le rédacteur en chef, Max Gaussen, qu’il a pourtant choisi.