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C HAPITRE 2 : P ROVENCE A CTUALITÉS

DES ÉLUS ET DE GASTON DEFFERRE

Présent dès les débuts de la construction de l’émetteur, Gaston Defferre était intéressé à divers titres par la télévision: comme responsable du

Provençal, comme ancien ministre de l’information, mais avant tout

comme député des Bouches du Rhône et maire de Marseille. Il surveille déjà attentivement la radio, soucieux en particulier de maintenir l’influence des communistes et de reconquérir les classes populaires marseillaises113. Il aurait demandé ainsi un rapport à Jean de Benedetti,

journaliste à la fois au Provençal et à la télévision, afin d’identifier les employés communistes de la station114, le chef de centre, Henri Toreilles

étant particulièrement visé. Le Provençal développa une polémique accusant M. Cléressy d’accorder trop d’importance au journal communiste la Marseillaise dans les revues de presse qu’il donnait à la station. La Marseillaise répondit, elle, en accusant le Provençal et son patron

112Lettre du 9 juillet 1965.

113 Voir Philippe Sanmarco, Bernard Morel, Marseille, l’endroit du décor,

op. cit.

d’avoir “noyauté” la télévision, et même d’avoir conclu des accords publicitaires secrets ; l’époque était alors au conflit ouvert entre les communistes et les socialistes marseillais.

Pendant près de trente années, la télévision provençale et le maire de Marseille vont entretenir un commerce permanent de polémiques et de nécessaires ententes, obligés de collaborer, mais sans jamais parvenir à trouver le ton juste de leurs relations. Le maire de Marseille trouve toujours que la télévision le brime, qu’elle s’intéresse peu à ses faits et actes. La télévision répond par des chiffres, soutient qu’elle consacre autant de temps qu’elle le peut, tente de se couvrir lorsque la polémique remonte au niveau national.

Les premières années avaient pourtant bien commencé. Gaston Defferre avait participé au lancement de l’émetteur, il était intervenu auprès de la RTF pour obtenir des moyens plus importants pour le journal régional… Mais, dès les années soixante, les relations se gâtent. En 1964, le Provençal soutient que “des ordres ont été donnés pour que Gaston Defferre ne paraisse plus à la télévision”115. On est alors en campagne pour la

présidence de la république et Gaston Defferre est comme on le sait candidat à la candidature116; le prétexte de l’incident est une réception de

parlementaires soviétiques à l’hôtel de ville qui n’a pas été couverte. Pierre-Antoine Deraigne, le directeur régional, se défend vertement d’avoir exercé une quelconque censure, ou d’avoir reçu des consignes dans ce sens ; le voyage des députés soviétiques avait été couvert la veille lorsqu’ils étaient en Avignon ; certes “il eût été préférable de filmer ces parlementaires dans le cadre de votre mairie plutôt que dans celui du Château des Papes”117 mais “nous sommes très souvent l’objet de

sollicitations de la part de certains représentants de départements limitrophes des Bouches-du-Rhône qui estiment que notre télévision régionale est trop spécifiquement marseillaise et ne tient pas suffisamment compte des activités déployées dans d’autres villes”. Au responsable parisien des stations régionales, il écrit, exaspéré, que Gaston

115 Le 2 mars 1964.

116 Ce sera en définitive François Mitterrand. 117 lettre du 4 mars 1964.

Defferre utilise la télévision comme argument de propagande et qu’il est de mauvaise foi. Le 15 février 1964, il se tourne par exemple vers les caméras et leur dit “je vous remercie d’être venu mais je sais bien que les images que vous avez enregistrées ne seront pas diffusées ce soir”118 ;

fureur des journalistes… Les images sont bien diffusées le soir même et Robert Bellair le signale au cabinet du maire.

Avec une grande régularité, les incidents se perpétuent. Le ton est donné : Gaston Defferre soutient que “si le maire de Marseille était UNR, non seulement on parlerait de lui à tout propos, mais encore on ne manquerait pas de vanter ses mérites à chaque occasion”119. Le directeur

proteste de sa bonne fois et établit un relevé des apparitions du maire. Au premier trimestre 1967 par exemple, son “représentant” ou lui-même auraient été vus ou évoqués une fois par semaine. Le directeur régional reconnaît pourtant que Gaston Defferre, à la différence de certains hommes politiques, ne s’attend pas à ce que chacune de ses actions soit couverte par la télévision régionale : un accord est souvent négocié avec son cabinet pour choisir les faits les plus marquants. Le nombre élevé de petits incidents qui opposent le maire de Marseille à la station régionale ne doit pas faire illusion ; la pression des autres élus a laissé moins de traces dans les archives, sinon dans les mémoires, parce qu’elle s’exerçait de manière plus directe et qu’elle obtenait à meilleur compte des résultats. Si la présence du maire de Marseille dans le journal télévisé ne le satisfait pas, elle ne contente pas non plus ses adversaires. Et le pauvre directeur régional est également obligé de s’expliquer aux membres de la majorité qui estiment que l’on voit trop souvent M. Defferre à la télévision. A Christian de la Malène, député UNR, il fait par exemple savoir que “M. Defferre avait été filmé trois fois au cours des deux mois précédents et à l’occasion de manifestations dont nous ne pouvions pas ne pas rendre compte et qu’il était indispensable que ce député admit que M. Defferre était tout de même le maire de la deuxième ville de France”120.

118 Lettre de Pierre-Antoine Deraigne au délégue du directeur général

aux stations régionales, 5 mars 1964.

119Lettre du 13 mai 1967. 120 Ibid.

Les décomptes étaient parfois un peu spécieux, il est vrai. A la fin de la campagne électorale de 1965, Gaston Defferre se plaint que Joseph Comiti soit passé plus souvent que lui, ce qui est exact comme l’indique une note de Bellair, mais au titre de sa qualité de président de l’ordre des médecins des Bouches-du-Rhône et il “n’a jamais été fait allusion à sa qualité de candidat”121 ! Si Gaston Defferre est le plus notable des hommes

politiques dont les protestations arrivent régulièrement à la station, il est loin d’être le seul. Jacques Médecin, lui aussi comme de nombreux hommes politiques de la région, se plaint régulièrement de la place qui lui est accordée par le journal télévisé et réclame des droits de réponse.

Pris entre les pouvoirs locaux, dont la télévision dépend en partie pour obtenir des informations ou des introductions et l’administration de la RTF soucieuse que les régions ne provoquent aucune vague, dans un climat global d’inféodation au pouvoir politique, les directeurs régionaux ont une tâche difficile !