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L'infection à M ulcerans, une maladie vectorielle ?

" Est-ce qu'un sorcier voudrait tuer tous ces gens ?

Y compris les enfants, les tout petits, qui n'ont pas encore pu faire du mal ?" Groupe de femme, Bénin (54).

"Dans mon cas je pense que c'est de la sorcellerie, parce que j'ai une bonne hygiène." Ghana (55).

Plus de cent ans après la description clinique de l'UB, plus de cinquante ans après la description microbiologique de M. ulcerans, sept ans après le séquençage de son génome, le mode de transmission de la maladie n'est pas clairement établi et la moitié des personnes interrogées dans

les zones endémiques africaines attribue l'UB à de la sorcellerie.

Dans les pays ayant rapporté des cas d'UB, les foyers hyperendémiques sont situés en zone rurale de grande humidité : bordure de grands fleuves, lacs, marais, zones inondables (Figure 4A, adaptée de (56,57) ). Le rapport fondateur de Clancey note l'accumulation des cas sur les rives du lac

Kyoga (7). L'étude de l'épidémie du camp de Kinyara installé sur les bords du Nil en 1964 (220 cas de 1965 à 1970, taux d'incidence cumulé de 8.7%) met en évidence un gradient croissant de cas à l'approche du fleuve (27). Les auteurs constatent l'extinction rapide de l'épidémie après le déplacement du camp à 240 kilomètres du Nil. L'observation d'une incidence maximale aux abords

d'un cours d'eau a été faite plusieurs fois, en Afrique et ailleurs, en particulier par des approches géosatellitaires (19,23,34,58–60). Au Bénin, la prévalence de l’UB est corrélée à l’identification de

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Figure 4. Transmission de M. ulcerans

(A) Zone d'hyperendémicité typique, Bénin

(B) Punaises d'eau Naucoris flavicolis (taille 1.5cm, à gauche) et Belostoma cordofna (taille 10 cm, à droite), vecteurs de M. ulcerans

Source: (56,57)

A

33 Plusieurs épidémies ont été attribuées à des conditions météorologiques exceptionnelles :

inondations en Ouganda en 1964, inondations en Papouasie en 1951 (28). On a également rapporté l'émergence de foyers suite à la construction de retenues d'eau de dimensions diverses (par exemple, le petit lac d'agrément du campus de l'université d'Ibadan au Nigéria, 14 cas en 1972-1976)

(62). Une analyse à l'échelle nationale en Côte d'Ivoire a également corrélé endémicité et barrages, en particulier barrages de petite taille, qui sont les plus fréquentés par la population (60). L’émergence du foyer de Bankim au Cameroun pourrait être liée à la construction d’un grand barrage à la fin des années 1980, mais ce lien est débattu (24,32,63). Une étude récente au Cameroun

rapporte que M. ulcerans est fréquemment identifié dans les zones marécageuses apparaissant artificiellement le long des routes (63). Une épidémie en Australie (29 cas, 1993-1995) a été reliée à l'arrosage d'un golf par des eaux pompées dans un marais avoisinant dont le drainage avait été obstrué par des travaux de construction. Deux cas ont été rapportés dans l'année suivant l'arrêt du

pompage, et plus aucun depuis (20,26).

La transmission interhumaine semble inexistante ou exceptionnelle. En dehors d'un chirurgien plastique en 1987, il n'y a aucune description de cas chez un soignant. De même, la

maladie ne s'est pas maintenue après le déplacement des réfugiés de Kinyara vers un autre site, et ce malgré la présence de 24 nouveaux cas parmi les déplacés (27). Deux modes de transmission mutuellement non exclusifs ont été proposés dès 1961 et sont encore vivement débattus

actuellement : une transmission directe depuis un réservoir environnemental inerte (eau, sol, surface de plantes) favorisée par un traumatisme mineur ou bien l'inoculation de la bactérie par un insecte vecteur. L'hypothèse d'un réservoir inerte de M. ulcerans, avec une transmission à l'homme à la faveur d'un traumatisme, est défendue par Meyers dès 1974 qui rapporte 14 patients avec un

épisode traumatique clair au site de la première lésion (64). Plus récemment, cette hypothèse est étayée par la détection de l'ADN de M. ulcerans dans divers prélèvements environnementaux : eau, sol, boue (56). Néanmoins, une étude récente chez le cochon d’Inde rapporte que le dépôt de M.

34 contrairement à une injection intra-dermique de la bactérie ou au dépôt de Staphylococcus aureus

sur une peau abrasée (65). L'épidémie australienne autour du système d'arrosage du golf de Phillip Island près de Melbourne a également fait proposer une éventuelle transmission par aérosol (26). L'hypothèse d'une transmission par un insecte-vecteur (détaillée ci-dessous) a fait l'objet de très

nombreuses investigations, et implique la punaise d'eau et peut-être le moustique.

Une série d'observations de terrain et d'expériences de laboratoire rendent probable l'implication de certaines punaises d'eau (essentiellement, de la famille des Belostomatidae et de la famille des Naucoridae, Figure 4B) dans la transmission de l'UB en Afrique sans pour autant estimer

précisément la fraction de cas attribuables à ce mode de transmission. L'ADN de M. ulcerans a été identifié pour la première fois chez des insectes aquatiques en 1999 (66), et la bactérie a été cultivée également pour la première fois depuis une source environnementale en 2008, à partir d'un

Hémiptère aquatique au Bénin (67). Depuis, M. ulcerans a été retrouvé dans de nombreuses familles d’insectes aquatiques en Afrique, au sein d’un cycle de transmission aquatique complexe (63,68–70). De manière convaincante, M. ulcerans a été identifié par réaction de polymérisation en chaîne (PCR) dans les glandes salivaires de punaise capturées en zones endémiques, mais pas en zones non-

endémiques, dans une large étude au Cameroun (71). Au laboratoire, des punaises nourries par des repas contaminés sont colonisées par la bactérie, qui se multiplie par la suite dans les glandes salivaires. Ces punaises transmettent l'agent pathogène, puisqu'après morsure, la souris développe

des lésions cliniques (72–74). Les punaises aquatiques peuvent voler et mordre l'homme, bien qu'elles ne soient pas hématophages. On les retrouve régulièrement à distance des points d'eau dans les villages (L. Marsollier, communication personnelle). Une étude sérologique chez l'homme a montré que dans les zones d'endémie, la population a développé une réponse humorale spécifique

contre les protéines de glandes salivaires de punaise aquatique, objectivant les morsures par ces insectes, quand bien même elles ne soient qu'accidentelles (75).

35 L'hypothèse d'une transmission par les moustiques est relativement naturelle : ces insectes

sont responsables de nombreuses pathologies infectieuses virales et parasitaires dans le monde (comme par exemple le paludisme, la dengue, la fièvre jaune, la filariose); la morsure est fréquente, reconnue par chacun, et non accidentelle puisque nécessaire à leur nutrition. En revanche, il est

intéressant de remarquer que la transmission d'une bactérie par un moustique n'a pas été décrite à ce jour. Néanmoins, en Australie, l'hypothèse d'une transmission par le moustique est privilégiée. Une étude cas-témoin australienne a en effet observé que les patients se souvenaient plus fréquemment avoir été piqués par un moustique que les témoins et cette piqûre était localisée au

site d'ulcération (39). L'ADN de M. ulcerans a été identifié dans une proportion faible mais non-nulle de moustiques capturés en zone d'endémie (4.3 moustiques pour mille) (76). Cette proportion est géographiquement corrélée à l’incidence de l’UB (77). Néanmoins, une étude en laboratoire ne parvient pas à infecter des moustiques adultes par M. ulcerans. De plus, si les PCR sur broyat de

moustiques sont positives après contact avec des repas contaminés, ce n'est pas le cas des PCR sur glandes salivaires ou intestin, ce qui suggère une simple contamination externe de l'insecte (78).

En Afrique, aucune étude n'a rapporté la recherche de M. ulcerans chez les moustiques,

tandis qu'en Australie, aucune étude n'a évalué la colonisation des insectes aquatiques. L’effet protecteur de la moustiquaire ne discrimine pas ces vecteurs. Un réservoir mammifère est également recherché. En Australie, les opossums sont un réservoir probable, puisque 41% des selles d'opossum

collectées en zone d'endémie contiennent de l'ADN de M. ulcerans, contre <1% des selles collectées en zone non endémique (79). Il n'y a pas d'opossums en Afrique. Au total, il semble clair que la punaise d'eau est un vecteur de la maladie en Afrique. Il n'est en revanche pas prouvé que ce mode de contamination soit exclusif ou universel. L’hypothèse d’une transmission passive depuis

l’environnement à la faveur d’une lésion cutanée reste d’actualité (32). Une étude en Afrique sur le point d’être publiée suggère qu’il y a multi-portages, que plusieurs routes de transmission sont possibles et que la transmission vectorielle est très minoritaire (JF. Guégan, communication

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Figure 5. Formes pré-ulcératives de l'infection à M. ulcerans

(A) Nodule (B) Plaque

(C) Papule en voie d'ulcération (D) Œdème du bras droit

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