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F IGURE 5 E NSEMBLE DES VIOLENCES AU SEIN DU FOYER MATERNEL

7. Cas d’étude : les violences de couple

7.1. L’importance du sentiment amoureu

Ceci posé, il est vrai que les entretiens donnent à voir une conception bien partagée du couple, caractérisée par le rôle éminent du sentiment amoureux, d’une part, et par l’intensité de ce sentiment, d’autre part. Tino évoque ainsi son père, qui vit aujourd’hui en célibataire, séparé de sa mère, mais toujours amoureux :

Tino : Il est fou ! il est fou d’amour par ma mère tu vois ? […] Il est en colère ! Intervieweur : C’est la jalousie quoi…

Tino : La jalousie, c’est fort aussi hein ! Quand t’es jaloux après un autre, après ta copine… Il est fou d’amour pour ma mère hein !

Françoise elle, se raconte à travers l’histoire de sa mère, qui subissait la violence de son conjoint (le beau- père de Françoise), dans laquelle elle-même se retrouve aujourd’hui :

« Mais comme moi je sais pas [je ne savais pas] pei c’est quoi l’amour, un couple. Et là j’ai compris c’est quoi comme je suis en couple. J’ai compris ma maman pourquoi elle voulait pas le larguer [son conjoint les violentaient, sa mère, elle et sa sœur]. Tellement elle aimait mon beau-père qu’elle va pas pei le larguer ! » À propos de ses sentiments pour son premier amour, Taina déclare pour sa part :

« Je l’ai pas connu comme ça mais sa famille me prévenait : ‟Ne reste pas avec lui, tu vas pas être heureuse, il est pas bien pour toi…” Mais tu sais quand tu vois, quand il y a l’amour tu es carrément… »

Pour comprendre l’agencement des affects au sein des couples, il faut examiner leur genèse, dans le cadre d’une lecture en termes de lignage situationnel. Dans la population d’enquête, le choix du conjoint obéit en effet à une logique affective et s’oriente en fonction de l’intensité du sentiment amoureux. La mise en ménage s’effectue sans considération pour les contraintes d’ordre social ou familial (Singly,

19Il faudrait d’ailleurs, plus qu’il n’est possible de le faire ici, ouvrir la « boîte noire » terminologique : amour et jalousie ne sont que

des signifiants, qui peuvent recouvrir des signifiés hétérogènes. Les affects sont des complexes de significations sociales, d’états moraux et corporels (Bastide, 2013 ; Reddy, 2001 ; Crapanzano, 2007).

2017), même lorsqu’elle est porteuse de conflit avec les parents. Cela montre que nous ne sommes pas, ou plus tout à fait, dans le modèle du communisme familial.

Nommer le sentiment amoureux est cependant insuffisant. Il ne s’agit après tout que d’un mot, et il est nécessaire pour lui donner substance d’aller voir, concrètement, la façon dont le sentiment opère dans la relation, en structurant les conduites. De manière générale, le sentiment amoureux, tel qu’il est évoqué par les répondants, correspond assez bien à la définition de l’amour romantique. Celui-ci implique « l’exclusivité amoureuse et sexuelle, la valorisation de la pérennité conjugale interprétée comme la victoire de l’amour dans sa lutte contre les obstacles qu’il rencontre et comme signe du lien amoureux véritable, l’idéalisation du partenaire, la prédestination et les sentiments comme force fondatrice du couple » (Marquet, 2009). Dans ce contexte, le couple est ainsi envisagé comme espace d’accomplissement du sentiment amoureux.

Cet idéal amoureux, sa réalisation au sein du couple, vont de pair le plus souvent avec une conception très exclusive des relations conjugales. Les protagonistes forment en effet des attentes réciproques particulièrement exigeantes quant à l’engagement du conjoint vis-à-vis du couple. Cela se traduit souvent par un fort repli relationnel et une grande défiance des conjoints à l’égard de toute relation amicale, voire familiale, entretenue par l’autre et susceptible de détourner son attention – son affection. Tatiana raconte ainsi que son ami, dont elle est aujourd’hui séparée, ne supportait pas qu’elle parle aux hommes, y compris ceux de sa propre famille.

Pour les hommes, contrairement sans doute à la situation qui prévaut dans d’autres espaces socioculturels, ce sentiment n’a rien de commun avec la crainte de la blessure d’honneur mais bien plutôt avec une angoisse de l’abandon par l’être aimé, dans le cadre d’un engagement affectif très intense. D’ailleurs, la jalousie est bien partagée, sans préjudice de genre. Heihere qui habite avec son tāne au domicile de ce dernier, avec les fils de son conjoint et leurs compagnes, dit ainsi :

Heihere : Hum hum. Parce que j’accepte que si il n’y a que des garçons. Je veux pas de leurs femmes ! Je veux être la seule femme dans la maison, je vois pas pourquoi il y a ces femmes dans la maison, c’est pas ta fille ! Intervieweur : Toi ça te rend jalouse aussi ?

Heihere : Oui ça me rend jalouse, j’avoue, j’avoue… » Aimana raconte pour sa part :

« C’est vrai… Toutes les filles que je suis resté, je pouvais même pas réparer une voiture ailleurs que mon garage ! Je répare la voiture d’une copine, ça y est : ‟Tu te l’es faite celle-là ?” Après moi comme j’aime bien m’amuser : ‟Ben oui, déjà fait celle-là ! ” C’est là que ça part en connerie. Je dis : ‟Hé, tu sors des conneries, je te réponds des conneries !” »

Dans ces couples, la jalousie est proportionnelle à l’intensité de l’investissement subjectif – et affectif – dans le sentiment amoureux et dans le couple, comme lieu de sa réalisation. Cela se traduit notamment dans l’aspiration bien partagée, parmi les enquêtés, à construire sa « petite famille » centrée autour de la relation conjugale et des enfants du couple, à bonne distance du ‘ōpū feti’i. Les enfants sont ainsi vus comme une forme d’accomplissement du couple et de matérialisation du sentiment amoureux. Cela explique sans doute, en partie, la difficulté à accepter dans le ménage les enfants issus d’un précédent lit, qui témoignent de l’intensité d’un amour passé.

Cette jalousie prend très souvent un tour extrême, comme entre Steven et Françoise, à peine 20 ans. Celle-ci raconte :

« Je suis rentrée, j’en ai pas parlé avec mon tāne j’ai gardé pour moi… pourquoi ? parce que ces temps-ci il me… Là je l’ai vu pei comment il était ! Il m’a vraiment étranglée ! Des fois il me dit : ‟Ah ! Françoise je veux faire l’amour”, et moi je veux pas. J’ai dit : ‟Ah non je veux pas faire l’amour !” ‟Ah non, tu veux pas faire l’amour ?” Pam ! [elle mime un coup] comme ça ! ‟Tu crois que quoi ? T’es pas allée baiser ailleurs ?” J’ai dit : ‟Steven, je vais à l’école, je reviens. Ben je suis fatiguée ! déjà c’est long le trajet, demain. Tu crois que quoi, c’est facile ?‟ ‟Ah non t’es partie baiser avec les autres !” Il m’a étranglée… »

Maud, pour sa part, relate une scène survenue au début de sa relation avec un conjoint violent :

« [Je] me souviens, on était au restaurant, il y avait deux businessmen d’une cinquantaine d’années qui m’avaient regardée un peu de travers. Ensuite il a pété un câble : « Tu veux que je t’aide ? » J’avais même pas vu qu’ils m’avaient regardée, j’étais de dos… « Qu’est-ce que tu veux que je… » […] il me piquait des crises de jalousie. Mais oui il a été jaloux tout de suite. D’où le fait qu’il voulait pas du tout que je sorte. C’était hors de question que je sorte… Même faire des travaux, des TD, s’il y avait des hommes c’était compliqué. »