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PARTIE I : PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE

Chapitre 2 : Mon projet de recherche en Prospective des Politiques Energie-Climat

B. Evolution des systèmes énergétiques

2. L’impact de Fukushima sur le secteur électrique européen

En mars 2011, l'accident nucléaire de Fukushima Daiichi au Japon a suscité un débat international sur l'avenir de l'énergie nucléaire et a fourni l'occasion d'organiser l'approvisionnement énergétique d'une manière plus durable (Netzer et Steinhilber, 2011). En Europe, il a conduit à des réponses politiques énergétiques contrastées. Plusieurs pays ont pris la décision d'abandonner la production d'énergie nucléaire, tandis que d'autres ont réaffirmé leur intention de maintenir ou d'augmenter leur capacité. Sur les 15 pays européens qui possèdent actuellement l'énergie nucléaire, l'Allemagne, la Suisse et la Belgique ont été confrontés à une forte réaction du public qui les a amenés à reconsidérer son rôle dans le mix énergétique. L'Allemagne a alors fermé huit centrales et il a été décidé que les neuf restantes seraient éliminées d'ici 2022. Le gouvernement suisse a quant à lui annoncé son intention de fermer ses cinq centrales nucléaires de 2019 à 2034. Enfin, en juillet 2012, le gouvernement belge a confirmé la sortie prévue de deux des sept réacteurs du pays. En revanche, les autres pays européens ont continué de soutenir la production d'énergie nucléaire. La France a décidé un renforcement des tests de résistance. Le Royaume-Uni, la Finlande, la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie ont confirmé leur engagement en faveur de l'énergie nucléaire en annonçant leurs projets de construction de nouveaux réacteurs (Conseil mondial de l'énergie, 2011). Selon l'Agence internationale de l'énergie atomique, en dépit de Fukushima, l'énergie nucléaire représentera toujours une part importante du mix énergétique mondial vers 2030, avec un potentiel de croissance annuel de l'ordre de 2,2 %. Cette évolution a certes été légèrement réduite mais elle demeure significative (AIEA, 2011). Au niveau de l'Union européenne, l'accident de Fukushima a entraîné une légère modification des hypothèses de politique nucléaire dans la feuille de route énergétique de la Commission européenne. En effet; alors que le scénario de référence pre-Fukushima faisait l’hypothèse d’une part du nucléaire de 26,4 % dans la production d'électricité d'ici à 2050, le scénario post-Fukushima prévoyait alors une part constante de 20,5% en 2030 et 2050 (Vasakova, 2011 ; Blohm-Hieber, 2012). Ces hypothèses auront un impact sur la structure du mix électrique car l'incident conduit les pays à faire des choix technologiques structurels à très long terme. En outre, les politiques d'atténuation du changement climatique influenceront également profondément l'évolution du futur marché européen de l'électricité. A cette période, l’objectif était en effet une réduction de 20 % des émissions de GES d’ici 2020 et de 80 à 95 % d’ici 2050 par comparaison aux niveaux de 1990. Afin de répondre à ces objectifs et de satisfaire une demande croissante d'énergie à un coût raisonnable, les technologies de production d'électricité à bas-carbone, telles que les centrales à cycle combiné gaz à haut rendement énergétique, le nucléaire, les énergies renouvelables et les technologies de capture et de stockage du carbone entreront alors en compétition dans le secteur de l'électricité (EC, 2012).

Dans ce contexte de politique climatique et d'acceptation sociale et politique réduite de l'énergie nucléaire dans certains pays européens, j’ai évalué l'impact de la réduction voire du retrait progressif du nucléaire sur l'évolution du mix électrique et ai notamment cherché de répondre à la question de savoir si la CSC pouvait constituer un bon substitut à l'énergie nucléaire pour décarboniser le secteur de l'électricité ? Bien avant l'accident de Fukushima, plusieurs études ont analysé les effets d’une sortie du nucléaire sur les prix de l'électricité et les émissions de carbone. Ils ont observé une hausse des prix de l'électricité, un déclin des exportations d'électricité et une augmentation des émissions de carbone attribuables à la substitution nucléaire des centrales à combustibles fossiles (Hoster, 1998 ; Nakata, 2002). Néanmoins, le contexte environnemental est également à prendre en considération au moment d’envisager une possible sortie du nucléaire. Dans un scénario climatique fortement

contraignant, les modèles tendent à favoriser un déploiement accru de l'énergie nucléaire (Tavoni et van der Zwaan, 2011). Par conséquent, la limitation du déploiement nucléaire entraîne une augmentation du coût économique du système. Lorsque la CSC est disponible, des études montrent qu'il devrait être largement mis en œuvre pour diminuer le coût de réalisation d’objectifs d'atténuation faible, car il apparaît être un bon substitut à l'énergie nucléaire (McJeon et al., 2011 ; Mori, 2012 ; Tavoni et van der Zwaan, 2011). Cette analyse constitue une contribution à ce sujet en mettant l'accent sur l'Europe. Elle met en évidence le potentiel de la CSC et de la BECSC pour aider à atténuer le changement climatique tout en faisant face à une résistance sévère au développement du nucléaire.

Ainsi dans cette étude, différents scénarios ont été implémentés afin d’analyser l'impact sur l'évolution du mix électrique, des objectifs européens de réduction des émissions, des recommandations en matière de politique nucléaire formulées dans la dernière feuille de route de l'Europe à horizon 2050 et d’une éventuelle sortie du nucléaire.

• BAU : scénario de référence sans politique climatique ni énergétique.

• EU_preFuku : scénario combinant politique environnementale et nucléaire rigoureuse, comme annoncé dans la feuille de route de l’Europe. Dans ce scénario, les émissions européennes de CO2 doivent diminuer de 20 % d'ici à 2020 et de 80 % d'ici à 2050 par rapport aux niveaux de 1990. L'énergie nucléaire européenne est quant à elle fixée de manière exogène pour représenter 26,5 % de la production d'électricité en 2050. En outre, les émissions de CO2 mondiale sont réduites de 50 % en 2050 par rapport au niveau de 2005 afin d'être cohérent avec un objectif de 2°C.

• - EU_postFuku: contrainte environnementale identique que dans EU_preFuku. Par contre, l'énergie nucléaire est fixée de manière exogène pour représenter 20,5 % de la production d'électricité en 2030 et 2050, au lieu de 26,5% dans le scénario pre-Fukushima

Afin de discuter des évolutions alternatives du système électrique, deux autres scénarios présentent des contraintes de disponibilité technologique :

• EU_NoNuclear : objectif environnemental identique que dans EU_postFuku et EU_preFuku. Cependant, une sortie progressive du nucléaire en Europe est étudiée. Les investissements dans de nouvelles centrales nucléaires ne sont alors pas autorisés pendant la période. La durée de vie des centrales nucléaires étant de 40 ans, les centrales nucléaires existantes ferment donc à la fin de leur durée vie.

• EU_NoCCS : les technologies de capture et séquestration du carbone ne sont pas disponibles sur l'horizon temporel. Les contraintes climatiques sont celles qui sont exprimées dans les scénarios avant et après Fukushima et la politique nucléaire est la même que dans EU_postFuku.

Entre autres éléments de contexte, les émissions de CO2 européennes représentent alors 17 % des émissions mondiales en 2005 et 11 % en 2050 dans le BAU. Dans les scénarios de contraintes, elles représentent 7 % en 2050, soit 0,9 Gt. Alors que dans le BAU, 70 % de l’électricité est produite par des centrales à énergie fossiles, les contraintes climatiques induisent un changement significatif dans la structure du mix électrique en 2050, caractérisé par une transition vers une société bas-carbone. L’effet direct est une forte réduction de la production d’électricité par des centrales à charbon et à gaz sans CSC. Un nouveau choix technologique est alors opéré en faveur des renouvelables et de la CSC dès 2020. En 2050, 38 % de l’électricité européenne est produite par des centrales avec CSC (fossiles

quant à elles 26 % de la production d’électricité dans ces scénarios. Ainsi la politique post-Fukushima induit une hausse du nombre de centrales électriques avec CSC, laissant entendre que ces technologies pourraient constituer un bon substitut au nucléaire en cas de politique climatique ambitieuse, et ce davantage que les énergies renouvelables, même si ces dernières jouent également un rôle dans la transition énergétique. Ce choix technologique est amplifié dans le scénario de non-renouvellement du parc nucléaire à savoir dans UE_NonNuclear où la part de la CSC atteint 57 % en 2050. L'électricité renouvelable représente dans cette configuration 27 % de la production d'électricité européenne en 2050 et la part de l'hydroélectricité reste assez constante, représentant 14 % au lieu de 13 % dans le scénario EU_postFuku. Malgré le potentiel d’émissions négatives induites par la BECSC, les centrales électriques équipées de CSC restent majoritairement fossiles en Europe (Figure 39). Le gaz représente respectivement 26 % et 34 % des ressources employées dans les centrales avec CSC en 2050 dans EU_preFuku et EU_postFuku, et atteint 46 % dans EU_NoNuclear. Le charbon est également largement sollicité mais associé à la biomasse dans des centrales à co-combustion IGCC (Integrated gasification combined cycle) avec CSC. Ces dernières représentent respectivement 47 % et 41 % dans les scénarios pre et post-Fukushima et 35 % dans le scénario de sortie progressive du nucléaire en Europe. Il est intéressant de noter que moins l'énergie nucléaire est déployée, plus le gaz est sollicité pour produire de l'électricité.

Figure 39: Production électrique européenne des centrales avec CSC (TWh)

Dans EU_NoNuclear, l'utilisation de la BECSC est limitée par le potentiel de la biomasse en Europe de l’Ouest, soit 13 EJ en 2050. En Europe de l'Est, le potentiel n'est pas saturé; Les choix technologiques proviennent des caractéristiques de coût du système énergétique et de la répartition des contraintes carbone en Europe entre l'Europe de l'Est et l'Europe de l'Ouest. Dans les autres scénarios, l'utilisation de la BECSC reste constante mais son potentiel n'est pas pleinement utilisé. Cela implique qu’à un certain seuil, le coût marginal de la BECSC n’est plus compétitif par rapport à d'autres options bas carbone. Dans EU_NoCCS où la transition bas-carbone du système énergétique européen doit être réalisée sans recours aux CSC, en 2050, pour atteindre les objectifs climatiques et respecter la politique nucléaire post-Fukushima, l'électricité est principalement produite par les énergies renouvelables. Plus précisément, 68 % de la production d'électricité provient des énergies

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 2020 2030 2050 2020 2030 2050 2020 2030 2050

EU_preFuku EU_postFuku EU_NoNuclear

BIO: Solid Biomass Direct Combustion+Postcombustion BIO: Crop Direct

Combustion+Postcombustion COAL+BIO:

IGCC+Precombustion GAS: NGCC+Oxyfueling

renouvelables et 81 % si on tient compte de l'hydroélectricité (11 %) et de la bioélectricité des centrales biomasse (2 %). Avec le relâchement de la contrainte nucléaire dans EU_NoCCS, les énergies renouvelables représenteraient alors 63 % de la production d'électricité et l'énergie nucléaire atteindrait 23 % (contre 13% dans le scénario BAU). Les énergies renouvelables sont principalement éoliennes. En effet, 50 % de l'électricité européenne renouvelable provient des énergies éoliennes en 2050 dans EU_NoCCS. Seules les technologies éoliennes onshore (moins coûteuses) sont alors développées sur l'horizon temporel. Les productions électriques géothermique et marémotrice représentent 44 % de la production d’électricité renouvelable. Elles sont principalement développées à partir de 2020 en Europe de l’Ouest. L'électricité solaire thermique ne représente en 2050 que 6 % du mix européen d'électricité renouvelable en raison de son coût plus élevé. En ce sens, les technologies éoliennes, géothermiques et des mers tendent à représenter des substituts technologiques de la CSC dans un contexte de contraintes climatiques et nucléaires. Le débat porte cependant souvent sur la question de savoir si les énergies renouvelables ont le potentiel de combler l'écart d'approvisionnement qui en résulterait et permettrait un système électrique stable, en particulier sans électricité nucléaire (Netzer et Steinhilber, 2011). Les centrales thermiques offrent en effet à ce niveau l'avantage d'un système sûr et fiable, et par là-même donne un atout aux technologies CSC dans un objectif de réduction du carbone. L’intégration massive de renouvelable dans le système électrique implique que celui-ci soit suffisamment flexible pour pouvoir être décarboné suivant une trajectoire long terme réaliste, notamment incluant des centrales électriques complémentaires. Des réseaux de plus en plus sophistiqués seront nécessaires en termes de lignes électriques, de smart grids et de stockage de l’électricité (Drouineau, 2011 ; Bouckaert, 2013 ; Krakowsky, 2016 ; Energy Council, 2012; Förster et al., 2012), ainsi que l'introduction de nouveaux mécanismes de marché. En l'absence de stockage électrique, le recours à l'électricité renouvelable intermittente sera lié à une utilisation supplémentaire - et au moins aussi importante - de l'électricité à base de gaz ou de charbon. Par contre, l'un des avantages de l'intégration à grande échelle des énergies renouvelables est qu'elle permettrait non seulement de poursuivre les objectifs environnementaux, mais aussi ceux de la politique énergétique au sens large comme la sécurité de l'indépendance énergétique et le renforcement de la compétitivité des marchés nationaux.

En outre, la question du coût est déterminante dans TIAM-FR les choix technologiques étant opérés en vue d’une minimisation du coût du système. Pour rappel, les modèles de la famille TIMES sont fondés sur un problème de programmation linéaire dans laquelle l'optimum est calculé en minimisant le coût total actualisé du système énergétique, sur l'horizon temporel en satisfaisant un certain nombre de contraintes. Le coût total du système est constitué quant à lui des coûts d'investissement, des coûts de combustibles (extraction, importation), des coûts annuels fixes d'exploitation et d'entretien ainsi que des coûts d’échanges (importations et exportations). Le coût de la réduction des émissions de CO2 peut ainsi tout autant être discuté que celui de la sortie du nucléaire en Europe dans le cadre d'une politique de réduction des émissions. Pour se faire, on étudie notamment le coût marginal du carbone correspondant au coût induit par des émissions de CO2 supplémentaires dans le cas d'un système énergétique contraint par une cible d'atténuation du CO2. Selon le système énergétique, et en particulier ses contraintes technologiques, ce coût marginal pourrait être supérieur ou inférieur pour une contrainte de carbone similaire, comme c'est le cas dans la présente étude, où les hypothèses de disponibilité technologique posées dans les scénarios EU_NoNuclear et EU_NoCCS rendent plus difficile la transition vers un système bas-carbone. En 2020, les coûts marginaux du carbone varient de

52 €/tCO2 dans EU_preFuku à 60 €/tCO2 dans EU_NoCCS, et atteignent 56 €/tCO2 dans EU_postFuku et EU_NoNuclear. Le coût marginal du carbone augmente de manière similaire sur la période dans les scénarios pre et post-Fukushima et dans le scénario de sortie du nucléaire, atteignant respectivement 237, 238 et 246 €/tCO2 en 2050. En revanche, il atteint 495 €/tCO2 en 2050 dans le cas où les technologies CSC ne sont pas disponibles en Europe, c'est-à-dire dans le scénario EU_NoCCS. Les différences de coûts surviennent dès 2030, lorsque les investissements ont commencé à satisfaire les contraintes technologiques et climatiques. Pour compenser l'indisponibilité de la CSC (et donc la production d'électricité de source fossile), le développement des énergies renouvelables pèse davantage sur le coût du système énergétique dans un contexte d’objectif bas-carbone.En outre, la contrainte climatique induit une augmentation significative du coût du système énergétique en Europe en 2050 par rapport au BAU, soit une hausse de 13 % de ce dernier dans EU_preFuku et de 13.6 % dans EU_postFuku. La sortie progressive du nucléaire en Europe s'ajoute à une politique environnementale rigoureuse en 2050 et induit une augmentation de 14,5 % du coût du système énergétique par rapport au BAU. Par contre, la variation au BAU est de +22,8 % dans le scénario EU_NoCCS mettant en évidence le rôle clé à jouer de la CSC pour diminuer le coût de mise en œuvre d'objectifs climatiques stricts, les contraintes nucléaires étant mises en place. Pour autant, il est important de considérer le fait que les déterminants de choix du modèle résident dans les coûts technologiques et le respect des contraintes carbone et/ou technologiques posées. La question est donc de savoir si, en Europe, le prix du CO2 sera suffisamment élevé pour encourager la construction de telles centrales, considérant que le coût de la CSC reste encore incertain (Herzog, 2011)

Ce travail a été réalisé en collaboration avec Olivia Ricci et a fait l’objet d’une publication dans la revue Energy Economics en 2013 : Fukushima’s impact on the European power sector : the key role of CSC technologies, Volume 39, pp.305-312 (Annexe 3).