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PARTIE I : PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE

Chapitre 2 : Mon projet de recherche en Prospective des Politiques Energie-Climat

A. Décryptage des engagements climatiques post-Kyoto

1. COP 15, 2009 – L’accord de Copenhague

La Conférence des Parties de 2009 à Copenhague s’est tenue dans un contexte où depuis quelques années le débat climatique reposait non seulement sur un nombre croissant de preuves scientifiques montrant que l’atmosphère de notre planète se réchauffe en raison du niveau trop élevé des émissions anthropiques de GES, travaux publiés notamment dans le quatrième rapport d’évaluation du GIEC en 2007, mais aussi sur certains évènements politiques majeurs, comme l’élection de Barack Obama en novembre 2008 avec des positions plus « vertes » exprimées par la nouvelle administration ou encore l’approbation du paquet climat de l’Union européenne par le Parlement européen en décembre 2008. Le Protocole de Kyoto qui avait été signé une dizaine d’année auparavant, en 1997, pour lutter contre le changement climatique ne visait que les pays industrialisés (figurant à l'annexe I, c'est-à-dire les pays industrialisés membres de l'OCDE en 1992, plus les pays à économie en transition, y compris la Russie, les pays baltes et plusieurs états d'Europe centrale et de l'est) et une réduction de 5 % des

émissions de GES sur la période 2008-2012. Pour la période post-Kyoto, c'est-à-dire après 2012, aucun accord international n'avait encore été conclu pour assurer une poursuite dans la lutte contre le changement climatique. Il était donc essentiel d'assurer la signature d'un accord mondial incluant tous les grands pays industrialisés (et principalement les États-Unis, qui n'avaient pas ratifié le Protocole de Kyoto) et, pour la première fois, les pays émergents dont les activités économiques et les perspectives démographiques constituent de véritables défis pour les décennies à venir. A long terme, une convergence notable existait entre les positions exprimées par l'Union européenne et le nouveau plan énergie Obama-Biden pour l'Amérique, cependant, l'accord sur les objectifs à moyen terme était loin d'être scellé. D'un côté, l'Union européenne s'était engagée à réduire ses émissions de dioxyde de carbone de 20 % par rapport à son niveau de 1990 d'ici à 2020 et était disposée à s'engager sur des efforts supplémentaires en cas de ratification d’un accord international, à savoir une réduction de 30 % des émissions d'ici 2020. De l’autre côté, l'objectif à moyen terme pour les États-Unis consistait en une réduction de 17 % par rapport aux niveaux de 2005 d'ici à 2020 mais ces derniers soulignaient l’impératif d'efforts d'atténuation des pays émergents comme la Chine et l'Inde au sens où des politiques d'atténuation devaient rapidement être menées dans ces pays qui représenteront une part majoritaire des émissions mondiales dans un proche avenir. En 2008, la Chine a en effet dépassé les États-Unis en termes d'émissions de CO2. Naturellement, de telles positions laissaient beaucoup de place pour des négociations et une règle du jeu de Copenhague était : quelle contribution provenant d'autres parties est acceptable pour définir notre propre niveau d'engagement? L'Union européenne attendait ainsi des signes des autres pays développés et en particulier des États-Unis, qui attendaient à leur tour des signes positifs de contribution de la part de la Chine. En outre, un élément déterminant pour aboutir à un accord mondial en 2009 était de s’assurer que les pays industrialisés tiendraient leurs promesses d'aider les pays en développement à s'adapter aux impacts du changement climatique. Sans cela, les pays en développement vulnérables et fortement touchés par le changement climatique ne s'engageraient pas à réduire leurs propres émissions de GES. Les enjeux étaient importants et même si les négociations n'ont pas abouti à un accord global sur les réductions des émissions de gaz à effet de serre post-Kyoto, une très forte participation des pays tant développés qu’en développement lors de cette quinzième Conférence des Parties sur le changement climatique a pu être notée. La COP 15 a finalement abouti à un accord fixant l’objectif de limitation de la hausse de la température globale à +2°C et a invité les Parties à soumettre des engagements de réduction d’émissions de GES d’ici la fin janvier 2010. Bien que cet accord international n'ait pas répondu aux attentes, il a jeté les premières bases de la lutte mondiale contre le changement climatique post-Kyoto, ce qui n'était pas une tâche facile.

Dans le cadre de l’Accord de Copenhague, cinq groupes de pays peuvent être distingués au regard de leurs ambitions de politiques de réduction des émissions de GES à 2020 :

• Les pays ayant soumis des engagements d’atténuation absolue pour 2020 ; • Les pays ayant soumis des engagements d’atténuation relative pour 2020 ;

• Les pays mettant en place des actions climatiques locales et soutenant la mise en place d’un accord global ;

• Les pays soutenant un accord global mais ne mettant pas en place d’actions de lutte contre le réchauffement climatique (61 pays, essentiellement les pays les moins avancés) ;

En vue d’une première implémentation de cet accord dans le modèle TIAM-FR, j’ai considéré trois groupes de pays. Le premier groupe comprend les Parties ayant des engagements de réduction en valeur absolue, il rassemble les régions Australie-Nouvelle Zélande (AUS), Canada (CAN), Japon (JPN), Europe (WEU+EEU), la Russie (FSU) et les Etats-Unis (USA) et représente 48 % des émissions de GES en 2005. Le deuxième groupe comprend les Parties ayant des engagements de réduction en valeur relative, il rassemble les régions Chine (CHI), Inde (IND), Mexique (MEX) et Corée du Sud (SKO) et représente 25 % des émissions de GES en 2005. Enfin, le dernier groupe rassemble toutes les Parties considérées comme n’ayant pas soumis d’engagement, à savoir les régions Afrique (AFR), Amérique Latine (CSA), Moyen-Orient (MEA) et les pays en développement d’Asie (ODA) qui représentent 27% des émissions de GES en 2005. Un premier travail dans le cadre de ces engagements climatiques fut de les retranscrire suivant une même clé de lecture (la table 9 présente les engagements bas lorsqu’il s’agissait d’objectif conditionnel). En effet, les différentes Parties se sont engagées en considérant des années de référence différentes (1990 par exemple pour l’Europe, 2005 pour les USA, 2000 pour l’Australie) et des types de réduction différents.

Table 9 : Scénario régional de réduction d’émissions de GES (Cibles basses à 2020)

Région % de réduction d’ici 2020 Année de référence Type de réduction Gt CO2eq 2005 Gt CO2eq 2020 Evolution 2005-2020 Groupe 1 : Cibles absolues

AUS 5 % 2000 Réduction du niveau des émissions 0,742 0,657 -11,4 % CAN 17 % 2005 1,142 0,947 -17 % JPN 25 % 1990 1,345 0,945 -29,71 % FSU 15 % 1990 3,305 4,762 +44 % USA 17 % 2005 7,072 5,869 -17 % Europe 20 % 1990 5,65 4,891 -13,42 %

Groupe 2 : Cibles relatives

CHI 40 % PIB 2020 Intensité

carbone 6,917 8,965 +29,6 % IND 20 % PIB 2020 1,926 3,320 +72,32 % MEX 30 % 2020 Scénario de référence 0,606 0,423 -30,15 % SKO 30 % 2020 0,556 0,427 -23,55 %

Ainsi, certaines Parties se sont engagées soit sur un objectif de réduction du niveau des émissions en 2020 par rapport à un niveau de référence (c’est le cas pour la plupart des pays industrialisés), soit sur un objectif de réduction du niveau des émissions en 2020 par rapport au niveau de référence autrement dit celui qui aurait pu être atteint sans la mise en place de mesures (le niveau cible est donc relatif au niveau exprimé dans un scénario de référence) ou encore sur une réduction de l’intensité carbone en 2020. C’est le cas de l’Inde et la Chine dont l'engagement de réduction ne porte pas sur le niveau d'émissions mais sur l'intensité du carbone (autrement dit le rapport PIB sur niveau d’émissions de CO2). Cela signifie que les PIB indiens et chinois vont continuer à augmenter mais que leurs émissions de carbone devront augmenter à un rythme plus faible en raison d'une plus grande efficacité énergétique et d'investissements dans des technologies plus vertes.

Figure 25 : Emissions mondiales de CO2eq

Ainsi, considérant les engagements (bas) pris par les différentes régions dans le cadre de l’Accord de Copenhague, les objectifs du premier groupe, regroupant la quasi-totalité des pays industrialisés, induiraient une réduction des émissions de GES sur la période 2005-2020 de 6,15 %, les émissions passant ainsi de 19 à 18 Gt. Les émissions du groupe 2 regroupant notamment la Chine et l’Inde, passeraient de 10 à 13 Gt sur la même période, soit verraient leur niveau ne s’accroître « que » de 31 %. Pour être en adéquation avec l’objectif ultime exprimé dans le cadre de l’UNFCCC de contenir la hausse de la température globale à +2°C, qui demanderait par exemple une division par deux des émissions en 2050 (IPCC, 2007), une trajectoire optimale au sens de TIAM-FR serait de réduire les émissions de GHG pour le premier groupe de 19 Gt en 2005 à 14,5 Gt en 2020 et celles du second groupe de 10 Gt en 2005 à 9,9 Gt en 2020, soit au moins une stabilisation des émissions au niveau de 2005. Autrement dit, les engagements pris par les différents pays dans le cadre de l’Accord de Copenhague ne sont pas suffisamment ambitieux à cette période temporelle pour se placer sur une trajectoire en ligne avec les enjeux climatiques (Figure 25). Les analyses publiées sur les engagements de Copenhague aboutissent à la même conclusion : même si les engagements nationaux pris à Copenhague reflètent un changement significatif par rapport aux scénarios tendanciels, ce changement est loin des recommandations du GIEC visant à limiter l'augmentation de la température mondiale à 2°C (Dellink et al. 2010, Casella et al., 2010, Criqui et Ilasca 2010, Stern et Taylor, 2010, van Vliet et al., 2010). En outre, dans cette trajectoire optimale et ambitieuse, tous les pays contribuent à l’effort de réduction des émissions de GES.

L’analyse de différentes trajectoires de réduction des émissions de GHG suivant les contributions des différents groupes de pays, tel qu’illustrée dans la figue 26, permet de discuter les efforts attendus par les pays pour suivre une trajectoire optimale (au sens de TIAM-FR) et surtout pour être en adéquation avec l’objectif de 2°C. Il en résulte un partage de l’effort différencié entre les régions, suivant leur engagement et donc leur niveau de développement mais aussi de responsabilité dans le réchauffement climatique, mais également un calendrier d’actions différent.

Figure 26 : Trajectoires de réduction d’émissions de GHG par groupe de pays

Il est intéressant de noter qu’un scénario exprimant une réduction des émissions mondiales suivant un facteur 2 de 2005 à 2050 en considérant une réduction maximale des émissions pour les groupes 1 et 2 à hauteur de leurs engagements dans l’Accord de Copenhague et sans contribution des pays du groupe 3, ne permet pas d’atteindre l’objectif de 2°C. La contribution des pays en développement apparaît comme une condition nécessaire pour atteindre un objectif climatique ambitieux. Ceci peut s’expliquer par la croissance future attendue de leur niveau d’émissions et par le fait que le système énergétique sur l’horizon temporel de ce groupe de pays induit des coûts d’abattement plus faibles. Ainsi, aucun pays ou groupe de pays ne peut résoudre à lui-seul, de par ses mesures, le problème du changement climatique. La coopération internationale est nécessaire face à l’ampleur du problème climatique tout en considérant celui de l'énergie ; les progrès technologiques devant également pouvoir répondre de manière adéquate aux ambitions des pays en élargissant le portefeuille de technologies disponibles et leur potentiel d'atténuation. Cela concerne non seulement les technologies de CSC, mais aussi les énergies non fossiles, comme l’éolien, le solaire, la biomasse, etc. Cela implique également la mise en place d’incitations et de régulations mais aussi des soutiens financiers et des transferts technologiques, deux autres piliers des négociations climatiques qui garderont une place déterminante dans l’accord suivant.

A l’issue de la COP 15, les négociations ont donc repris. La Conférence des Parties de Cancun en 2010 a d’ailleurs été déterminante pour la poursuite de ce processus pionnier dans l’histoire de nos sociétés au sens où « pour la toute première fois, les gouvernements de la quasi-totalité des pays travaillent ensemble dans le cadre d’un processus complexe qui questionne notre modèle d’organisation et nos économies et replace l’environnement, le développement humain ou encore la solidarité entre les peuples au cœur des enjeux » (IFDD, 2016). Parmi les points de tension, outre la question du financement et du transfert de technologies, celle de la répartition des contributions à

l’atténuation est restée cruciale, chaque Partie défendant les intérêts de son pays et les pays en développement appelant à l’équité et à la responsabilité commune et différenciée dans l’effort international de lutte contre le réchauffement climatique.