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Chapitre 1 | L’unité fœto-maternelle

F. L’immunologie de la grossesse

Chez les mammifères euthériens, la grossesse constitue un véritable paradoxe immunologique. Les cellules trophoblastiques d’origine embryonnaire seraient normalement reconnues par le système immunitaire maternel comme « non-soi » et détruites. L’implantation est comparée à une greffe semi-allogénique. En effet, les cellules trophoblastiques de l’embryon héritent à 50% du patrimoine génétique paternel. Dans certains cas, elle est même totalement allogénique, notamment lorsque la mère a recours au don d’ovocytes. Dans les années 1950, il fut suggéré que l’endomètre et le placenta constituaient des tissus immunologiquement neutres permettant le déroulement de la grossesse. Cette hypothèse a été infirmée par de nombreuses découvertes qui ont mis en évidence que l’interface fœto-maternelle est en réalité un lieu où les mécanismes immunitaires sont très actifs (Merviel et al., 2001; Trévoux, 2009; Evain-Brion and Malassiné, 2011).

1. L’immunotolérance de l’endomètre

Au cours de la phase proliférative du cycle menstruel, le maintien de l’intégrité de la muqueuse utérine est assuré par les cellules immunitaires appartenant à l’immunité adaptative. Il s’agit notamment de lymphocytes B et de lymphocytes T CD8+ (Lédée et al., 2014). Après l’ovulation, la progestérone induit l’accumulation d’AMP cyclique dans les cellules endométriales stromales et épithéliales. Ce second messager active de nombreux gènes cibles codant pour des interleukines aux propriétés

chémoattractantes telles que IL-1, IL-6, IL-8 et IL-11. Ces interleukines assurent le recrutement de nombreuses cellules immunitaires appartenant à l’immunité innée (Lédée et al., 2014; Vinketova et al., 2016). Ainsi, au moment de la fenêtre implantatoire, un « switch immunitaire » entre l’immunité adaptative et l’immunité innée est observé (Lédée et al., 2014).

Ces évènements immunologiques sont indispensables et assurent le bon déroulement de l’implantation embryonnaire. Ainsi, une migration anormale des cellules immunitaires pourrait vraisemblablement être à l’origine d’un arrêt précoce de la gestation (Lédée et al., 2014). On parle de suractivation

endométriale lorsque les cellules immunitaires sont recrutées en masse, induisant une production

cytokinique démesurée. Ce phénomène perturberait fortement la réponse immunotolérante de l’endomètre vis-à-vis de l’embryon. La suractivation endométriale serait à l’origine de (i) la mort de l’embryon reconnu comme étranger et (ii) de la destruction de la muqueuse utérine par un phénomène d’apoptose. A l’inverse, lorsque les cellules immunitaires sont recrutées de manière insuffisante dans l’endomètre, il s’agit d’une sous-activation endométriale. Cela se traduit par une production de cytokines très faible, à l’origine de la non-adhésion de l’embryon à l’épithélium utérin (Lédée et al., 2014).

Lors de la fenêtre implantatoire, l’environnement immunitaire de l’endomètre est composé de cellules

utérines natural killers (70%), de macrophages CD14+ (20%), de lymphocytes T auxiliaires CD4+

(10%) et de cellules dendritiques (1%) (Le Bouteiller and Tabiasco, 2006). ™ Les cellules utérines natural killers (uNK)

Les cellules NK présentes dans le sang périphérique possèdent des récepteurs membranaires leur permettant d’interagir avec différents ligands exprimés par des cellules « anormales » (cellules infectées ou cellules tumorales). L’activation de ces récepteurs à la surface des cellules NK induit la libération de molécules cytotoxiques (perforine et granzymes) conduisant à la mort de la cellule cible. Cependant, les cellules uNK se distinguent des cellules NK périphériques par le profil spécifique d’expression de leurs récepteurs membranaires qui leur confère un potentiel cytotoxique atténué. En effet, les cellules uNK se lient aux cellules trophoblastiques mais se révèlent incapables de créer une synapse avec ces cellules, empêchant la libération des molécules cytotoxiques. Ce phénomène est contrôlé par des molécules

inhibitrices telles que le TGF-β (transforming growth factor beta) et le VEGF qui sont produites par les macrophages, les lymphocytes T régulateurs, les cellules endométriales et les cellules trophoblastiques (Le Bouteiller and Tabiasco, 2006; Hanssens et al., 2012).

Les cellules uNK sécrètent de nombreuses cytokines impliquées dans les phases de recrutement des macrophages et des cellules dendritiques mais aussi dans l’activation des lymphocytes T auxiliaires (Le Bouteiller and Tabiasco, 2006; Hanssens et al., 2012). En outre, les cellules uNK semblent jouer un rôle

immunotrophique important. En effet, elles produisent de nombreuses cytokines intervenant dans les

mécanismes de décidualisation et de contrôle de l’invasion trophoblastique. Il s’agit plus précisément des cytokines IL-1 et LIF (leukemia inhibitory factor) (Lédée-Bataille et al., 2001). Les cellules uNK joueraient également un rôle majeur au cours de l’angiogenèse et lors du remodelage du réseau vasculaire utérin par la production de cytokines angiogéniques telles que l’angiopoïétine 2, le VEGF (vascular endothelial growth factor) et le PlGF (placental growth factor) (Evain-Brion and Malassiné, 2011; Zhang et al., 2011). Il est clairement établi que certaines cytokines produites par les cellules uNK à l’interface fœto-maternelle participent à la croissance placentaire. Par exemple, les protéines IL-3 et GM-CSF (granulocyte macrophage colony-stimulating factor) agissent comme des facteurs de croissance activant des oncogènes à l’origine de la prolifération cellulaire (Lédée-Bataille et al., 2001). ™ Les lymphocytes T

Les lymphocytes T auxiliaires ou « helpers » (LTh) qui atteignent la décidue se différencient en quatre populations cellulaires distinctes en fonction des signaux émis par les cellules uNK, les macrophages, les cellules dendritiques, les cellules endométriales et les cellules trophoblastiques. La production de molécules pro-inflammatoires (IL-6, IL-12 et interféron γ) favorise la différenciation des lymphocytes

Th1 et Th17. A l’inverse, un environnement anti-inflammatoire (IL-4 et IL-10) oriente les lymphocytes

vers la voie Th2. Les lymphocytes Th1 et Th17 induisent par la suite une réponse inflammatoire alors que les lymphocytes Th2 possèdent une action anti-inflammatoire. Les cellules déciduales, les cellules trophoblastiques et les cellules immunitaires orientent leur production cytokinique vers la voie Th2 induisant ainsi le phénomène de tolérance de l’embryon par l’endomètre (Hanssens et al., 2012).

Sous l’action du TGF-β produit par les cellules endométriales et immunitaires, certains lymphocytes se différencient en cellules T régulatrices (Treg). Plus précisément, les Treg diminuent la prolifération et la cytotoxicité des lymphocytes Th1, Th17 et des cellules uNK. Ils sécrètent eux-mêmes des molécules immunosuppressives telles que le TGF-β et l’IL-10 (Hanssens et al., 2012).

™ Les macrophages

De la même manière que les lymphocytes T auxiliaires, la différenciation des macrophages déciduaux est soumise à l’environnement endométrial. Un environnement Th1 active la voie M1 défensive et la libération de cytokines pro-inflammatoires. A l’inverse, les cytokines de la voie Th2 orientent les macrophages vers la différenciation M2 tolérante. Ces derniers sécrètent des molécules immunosuppressives et participent au nettoyage des débris cellulaires et des cellules apoptotiques, au remodelage tissulaire et à l’angiogenèse. Les cellules uNK, les cellules endométriales et les cellules trophoblastiques orientent les macrophages vers la différenciation M2 (Hanssens et al., 2012).

™ Les cellules dendritiques

Dans la décidue, les cellules dendritiques sont maintenues dans un état immature par les cellules stromales et les cellules trophoblastiques via la production de la protéine MIC-1 (macrophage inhibitory cytokine-1). Les cellules dendritiques produisent de grandes quantités de TGF-β favorisant la différenciation des lymphocytes Treg. Elles stimulent également la production de cytokines anti-inflammatoires de la voie Th2 (TGF-β, IL-4, IL-10, IL-13). De plus, en se fixant aux cellules trophoblastiques, les cellules dendritiques sécrètent l’IL-27 considérée comme une protéine tolérogène (Hanssens et al., 2012).

2. L’antigénicité du trophoblaste

Au cours de la grossesse, l’embryon est « accepté » par l’endomètre suite à la mise en place d’une tolérance immunologique. Comme décrit précédemment, les cellules trophoblastiques participent directement à la mise en place de cette immunotolérance maternelle, en sécrétant de nombreuses molécules qui contrôlent le microenvironnement endométrial (Figure 12).

Ces mécanismes sont renforcés par une diminution de l’antigénicité du trophoblaste qui module l’expression du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) à sa surface. Le CMH (également appelé HLA pour human leucocyte antigen) est un système permettant la discrimination du « soi » et du «

non-soi » par les cellules immunitaires. Le HLA de classe 1 est reconnu par les lymphocytes T CD8+ et les cellules NK. Le HLA de classe 2 est fixé par les lymphocytes B et les lymphocytes T CD4+.

Les molécules HLA de la classe 2 et les isoformes classiques de la classe 1 (HLA-A et HLA-B) ne sont pas exprimées à la surface des cellules trophoblastiques. Ainsi, le trophoblaste est protégé de la cytotoxicité des lymphocytes T CD4+ et des lymphocytes B (Le Bouteiller and Tabiasco, 2006; Hanssens

et al., 2012). En revanche, le trophoblaste exprime spécifiquement l’isoforme HLA-C qui les protège

de l’action cytotoxique des cellules uNK de l’endomètre (Le Bouteiller and Tabiasco, 2006). De plus, les molécules HLA-E, HLA-F et HLA-G contribuent à la reconnaissance des cellules trophoblastiques par les cellules immunitaires maternelles comme appartenant au « soi » (Hanssens et al., 2012). Enfin, l’antigène HLA-G induit l’apoptose des lymphocytes T CD8+ ce qui expliquerait la faible représentation de ce type cellulaire dans la décidue (Le Bouteiller and Tabiasco, 2006; Evain-Brion and Malassiné, 2011). Les molécules HLA-C, HLA-E et HLA-G participent également à l’inactivation des cellules uNK et déclenchent la réponse tolérogène par les cellules dendritiques (Merviel et al., 2001; Hanssens et al., 2012).