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CHAPITRE 2. DE L’EXPÉRIENCE PICTURALE À L’EXPÉRIENCE EN RÉALITÉ

2.1 De l’immersion picturale à l’immersion en réalité virtuelle

2.1.1 L’immersion visuelle

L’immersion est une expérience perceptive. Or la vue est un des cinq sens de l’être humain qui lui permet d’appréhender le monde de manière sensible. L’activité visuelle est alors propice à l’immersion.

Rappelons cependant que l’emploi du terme immersion demeure bien ancré dans l’imaginaire collectif pour évoquer la relation aux productions visuelles, de la caverne aux cathédrales jusqu’aux salles muséales, en passant par les panoramas et autres installations audiovisuelles.32

La perception visuelle est une expérience sensible. La vision est liée à la position du corps du spectateur dans l’espace. L’immersion est alors favorisée en peinture par la perspective. La perspective construit un monde à la mesure de l’homme c’est-à-dire que le corps du voyant est pris en compte dans l’espace de représentation.

Avant de s’appeler perspective, elle s’appelait commensuratio, c’est-à-dire que la perspective est la construction de proportions harmonieuses à l’intérieur de la représentation en fonction de la distance, tout cela étant mesuré par rapport à la personne qui regarde, le spectateur.33

En effet le terme commensuratio est employé par Alberti dans De pictura et par Piero della Francesca dans De prospectiva pingendi. Il signifie que l’univers perspectiviste est un monde commensurable à l’homme. Avec la perspective, le spectateur peut se projeter plus facilement dans l’espace pictural puisque celui-ci est à sa mesure.

La perspective prend en compte le corps du spectateur comme référant de l’espace. Ce corps du spectateur est aussi central dans la conception de l’espace en réalité virtuelle. L’immersion visuelle est ainsi présente dans les deux médias mais elle est accrue en réalité

32 AMATO, Etienne, « L’immersion par le jeu vidéo : origine et pertinence d’une métamorphose significative »

dans GUELTON, Bernard (dir.), Les figures de l’immersion, p.48

! #'! virtuelle puisque l’espace visuel se déploie en 3D, le corps du spectateur y est intégré et son activité visuelle est saturée par cet environnement. Lors de l’expérience picturale le spectateur a dans son champ de vision le tableau mais également l’espace qui entoure ce tableau, son lieu d’exposition, alors qu’en réalité virtuelle le champ visuel du spectateur est complétement envahi par le cadre virtuel. Daniel Arase éprouve déjà ce sentiment d’une immersion renforcée par la saturation du champ visuel face aux fresques de Mantegna dans la Chambre des époux du palais Ducal de Mantoue.

Quand on entre dans cette pièce et qu’on a la chance, comme je l’ai eue, d’y passer des heures, on a au bout d’un moment la sensation d’être enveloppé par la peinture et pénétré par elle, et l’on éprouve des sensations extraordinaires.34

La pièce est entièrement peinte, c’est-à-dire que les peintures sont omniprésentes dans le champ de vision de l’historien de l’art. Son sentiment d’immersion s’en trouve renforcé. En effet l’immersion provient de la sensation d’être à l’intérieur de l’espace comme l’exprime Merleau-Ponty : « Je ne vois pas [l’espace] selon son enveloppe extérieure, je le vis du dedans, j’y suis englobé. Après tout, le monde est autour de moi, non devant moi. »35 L’espace virtuel

se déploie effectivement autour du spectateur, l’enveloppant visuellement. Le spectateur s’y trouve donc intégré et le « vis du dedans » c’est-à-dire qu’il y est immergé.

Le déploiement de l’espace visuel en 3D rapproche également la vision du monde virtuel de celle du monde réel, puisque dans le réel on voit l’espace en 3D. La peinture développe aussi des techniques pour créer un effet de réel, notamment la perspective, la camera obscura et le trompe l’œil. L’effet de réalité facilite la capacité de projection du spectateur dans le nouvel espace fictif : « Ainsi la maîtrise picturale de la perspective et de la lumière permettent de retrouver le réel sur la toile, rendant possible l’impression immersive du spectateur. »36 Le

réalisme permet au spectateur d’appréhender plus facilement l’espace de représentation. Selon Bruno Trentini l’immersion n’est pas seulement liée à l’effet de réel, ce qui importe c’est la compréhension de l’espace proposé.

S’il fallait proposer une définition de l’état immersif axé sur ce point, on pourrait dire que l’immersion serait une capacité à se rendre accessible

34 ARASE, Daniel, Histoires de peintures, p.20

35 MERLEAU-PONTY, Maurice, L’Œil et L’Esprit, p.59

! #(!

l’univers proposé, sans plus la nécessité d’une démarche consciente décryptant le dispositif par lequel l’univers est proposé.37

La technique de la réalité virtuelle est ainsi encore plus puissante que la technique picturale pour rendre accessible l’espace narratif puisque le mode perceptif tridimensionnel est celui de notre perception réelle. Le décodage du nouvel environnement est donc plus intuitif et l’immersion plus rapide. La réalité virtuelle, concevant numériquement les éléments de son décor, propose des éléments plus réalistes que les éléments picturaux. Toutefois la peinture développe déjà des techniques visuelles qui permettent l’immersion du spectateur. L’activation du sens de la vue invite le spectateur à se projeter dans les représentations, qu’elles soient picturales ou virtuelles.

Finalement être immergé visuellement dans un espace signifie une capacité à projeter son corps dans cet espace relativement à un point de vue appartenant à l’espace d’immersion. Ainsi on peut comparer l’immersion visuelle à l’identification au point de vue de la caméra au cinéma, équivalent au cadrage du tableau. Mais au cinéma, comme en peinture, il existe aussi un autre type d’identification, celle aux personnages, on peut parler pour ce processus d’immersion émotionnelle38.