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CHAPITRE IV. La maladie comme atteinte du corps biologique et érogène

1. Le concept d’image du corps

1.2 L’image du corps de Dolto

Dolto va tenter de dépasser la confusion de Schilder entre Schéma corporel et l’image du corps. Shauder à travers la conception de l’image du corps développée par Dolto, établi une frontière entre schéma corporel et image du corps. « Le schéma corporel réfère le corps actuel dans

l’espace à l’expérience immédiate, éventuellement indépendamment du langage. L’image inconsciente du corps réfère, quant à elle, le sujet du désir à son jouir médiatisé par le temps mémorisé de la communication entre sujets et peut varier en fonction de l’instant, de l’interlocuteur et de ce que celui-ci mobilise par rapport à l’histoire libidinale du locuteur »

(Schauder, 2002, 61).

Selon Dolto, il convient de parler d’image inconsciente du corps. Elle ne renvoie plus uniquement à un lieu chargé de pulsion ou s’apparentant à une donnée anatomique, mais également à un lieu chargé de représentations. Pour Dolto, le corps devient porteur d’un vécu relationnel. En effet, l’image du corps se construit à partir des premières expériences précoces

5Aujourd’hui encore la notion de schéma corporel donne lieu à une confusion au niveau de sa définition. « Pour Pieron, le

schéma corporel est la représentation que chacun se fait de son corps et qui lui sert de repère dans l’espace. Pour Ajuriaguerra, il est édifié sur les bases tactiles, kinesthésiques, labyrinthiques, visuelles ; le schéma corporel réalise dans une construction active, constamment remaniée des données actuelles du passé, la synthèse dynamique qui fournit à nos actes comme à nos perceptions le cadre spatial de références où elles prennent leur signification. Enfin pour Berges, le schéma corporel peut apparaitre soit sous forme d’unearmature qui serait la trame spatiale de notre corps et dedifférents éléments ; soit au contraire, comme enveloppe de notre corps don nous aurions connaissance en tant que telle frontière avec le monde extérieur (Bioy et Fouques, 2002, 134).

132 et intègre perpétuellement les nouvelles expériences traversées par le corps et le psychisme. Les mots liés au discours de la mère, sa façon de toucher le corps de l’enfant, de soutenir des états de bien-être corporel chez l’enfant vont permettre de fixer une image du corps.

Dolto revisite d’ailleurs le concept développé par Schilder en mettant en scène l’image du corps dans les psychothérapies d’enfant, à partir de leurs dessins. Elle retrouve dans ces dessins d’enfants les topiques freudiennes médiatisées par le corps. Le corps biologique apparait alors comme le lieu du Moi conscient alors que l’image du corps devient un hors lieu, hors temps et fait directement appel à l’imaginaire. Elle devient la synthèse des expériences émotionnelles vécues et répétées à travers des sensations érogènes qui vont s’inscrire dans le corps (Dolto, 1992).

L’image du corps possède donc ses propres caractéristiques et représente un support narcissique structuré par le désir du sujet.

1.2.1 Les trois types d’image du corps

Il existe trois types d’images du corps : de base, image fonctionnelle et image érogène. C’est le degré de cohésion de ces trois modalités qui va assurer au sujet un soutien narcissique. - L’image du corps de base : Elle va permettre au sujet de ressentir une sécurité de base générant la permanence de son identité peu importe l’espace et temps dans lequel il se trouve. Rattachée au narcissisme primaire, elle rappelle le sentiment de continu d’exister de Winnicott (Boutinaud, 2016) en offrant au sujet un ressenti de mêmeté d’être.

Dans l’image du corps de base transparait un conflit entre pulsion de vie et pulsion de mort qui prend plusieurs formes en fonction du développement psychosexuel de l’enfant. Ainsi à la naissance, c’est la sensation de l’air entrant dans les poumons et de se sentir gonflé qui permettrait à l’image du corps de base d’advenir. Au stade oral c’est la sensation de ventre plein, plein à la fois du lait, mais aussi de leur mère qui offrira un sentiment de sécurité. Au stade anal se joue la question de la rétention et de l’expulsion.

- L’image du corps fonctionnelle : Elle exprime la pulsion de vie en lien avec la recherche de désir. Elle met en jeu la projection des zones érogènes sur l’extérieur. Pour Dolto, « alors

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que l’image de base a une dimension statique, l’image fonctionnelle est image sthénique d’un sujet qui vise l’accomplissement de son désir. C’est grâce à l’image fonctionnelle que les pulsions de vie peuvent après s’être subjectivées dans le désir, viser à se manifester pour obtenir le plaisir, s’objectiver dans la relation au monde et à autrui. » (1992, p 55).

Permettant l’ouverture sur le monde, elle semble animée par deux forces, l’une centripète visant l’expulsion des affects, l’autre centrifuge visant à les ramener sur soi.

Par exemple si l’on se place dans le stade oral, c’est la bouche qui représentera l’image du corps fonctionnelle puisqu’elle appelle le sein de la mère pour satisfaire un besoin qui sera relié au plaisir de la satisfaction de celui-ci. À travers cette expérience, l’enfant sera à même d’incorporer et d’absorber l’image de la mère.

- L’image du corps érogène : Elle va mettre en scène l’érogénéité du corps à travers la

rencontre avec autrui. A partir d’éprouvés corporels liés à la satisfaction des besoins, les sensations de plaisir sont intériorisées. Le but de l’image du corps érogène est l’activation d’une zone érogène afin de retrouver le signe de la présence de l’autre. Ainsi, elle sera spécifique à chacun puisqu’elle découle de diverses expériences en lien avec l’environnement du sujet et sa propre érogénéité.

L’image du corps érogène du sujet va également être modelée par l’image du corps érogène des autres, proche de lui.

La synthèse de ces trois images du corps constitue l’image du corps dynamique. N’étant pas soumise à la castration, car n’ayant pas de représentation, elle va nourrir le narcissisme secondaire du sujet, en lui permettant de se tourner vers l’extérieur pour investir l’autre. Elle est une source pour Dolto de « désirance». Animée par le manque, elle va pousser le sujet à se décentrer de lui-même. Elle représente donc métaphoriquement la pulsion de vie.

1.2.2 Les castrations symboligènes

Chaque image du corps décrit précédemment doit faire face à un épisode de castration, rencontré à chaque stade du développement psychosexuel de l’enfant. Grâce aux processus d’identification à l’adulte, le parent va représenter le moi idéalisé. À travers chaque expérience de castration, l’enfant accepte de perdre sa jouissance immédiate découlant des pulsions partielles. En sublimant, il va pouvoir leur donner d’autres formes. Il va faire l’expérience des

134 limites de son désir, de la loi et de l’interdit. Dans un second temps, l’enfant devra être en mesure d’inhiber son désir à partir de l’effet d’un travail de refoulement. Si la pulsion est bloquée, l’individu aura tendance à régresser à l’image du corps antérieure. Si c’est le désir qui reste figé, le risque est alors d’anesthésier certaines zones érogènes et de tomber dans un corps hystérique.

La castration a pour finalité de permettre à l’enfant de s’ouvrir vers d’autres objets représentant une source de plaisir. A chaque stade du développement correspond un type de castrations qui aura des répercussions sur la constitution de l’image du corps chez le sujet. Ces castrations sont symboligènes puisqu’elles ne représentent pas uniquement un interdit, mais également une ouverture un autre objet.

Dolto (1992) distingue cinq types de castration :

La première est la castration ombilicale qui symbolise le passage à des sensations fœtales à des sensations respiratoires et digestives nouvelles. Avec la naissance, l’enfant plongé dans des sensations corporelles inconnues, va quitter son enveloppe fœtale représentée par le placenta. C’est le langage de la mère et des membres de la famille qui va avoir pour fonction de symboliser cette castration, en lui permettant d’accéder à une identité à travers la nomination de son sexe et de son nom.

La deuxième castration est orale. Elle apparait lorsque les pulsions orales ont été suffisamment comblées et source de désir. Le passage du sein ou de la tétine à une nourriture solide représente une castration aussi bien pour la mère que pour l’enfant qui doivent faire face à la perte d’un corps fusionnel. Néanmoins de cette castration va découler les prémisses de la communication verbale. L’enfant va devoir remplacer le désir d’avaler par l’acte de parler à l’aide de la zone érogène bouche. Celle-ci ouvre également vers un jeu entre des positions passives et actives en lien avec le stade oral sadique. L’acte de mordre et de faire disparaitre des choses, va être soulevé une ambivalence puisque ce que l’enfant aime va être mangé et donc va disparaitre. Rassurer l’enfant sur la satisfaction de ses pulsions sadiques orientées vers les bons objets va lui permettre de développer la permanence de l’objet et l’assurance que ses parents ne vont pas disparaitre.

La castration anale va constituer le prolongement de cette séparation d’avec la mère déjà engagée dans le stade oral. Les zones érogènes sollicitées sont alors l’anus et les mains où va se jouer le plaisir de rétention/expulsion et par extension à la maitrise du corps. L’image du corps va alors être observée à travers des objets traduisant des potentialités d’ouverture, de

135 fermeture, de pénétrations et de protection. Le plaisir de maitrise du corps va être déplacé sur la capacité à pouvoir s’affirmer dans les relations à l’autre, et principalement à la mère qui va passer par l’opposition. On demande en effet à l’enfant de faire plaisir aux adultes en faisant un effort. Le corps va alors être porteur des conflits du sujet. La castration à ce stade repose sur l’interdit de vouloir tout maitriser, de rendre l’autre objet de maitrise, de voler, de tuer, de casser. Le refoulement des sensations érogènes de la sphère anale va introduire la notion d’intimité, de gêne ou de dégout.

La castration phallique va impliquer un déplacement de l’érogénéité sur les zones sexuelles et porter sur la reconnaissance de l’enfant de la différence des sexes. L’enjeu va consister à réussir à être fier de son corps sexué. L’image du corps ne va plus se jouer en lien avec les besoins excrémentiels, mais va prendre une valence qui va dynamiser la sexualité. On va progressivement quitter l’idée du corps besoin. De cette castration phallique va naitre l’idée de mort. Il s’agit également de la période des pulsions épistémophiliques qui vont pousser l’enfant à essayer de comprendre son environnement. De la différence des sexes va découler pour Dolto la capacité de l’enfant à « aimer, soigner, respecter son corps, aimer la vie qui est sienne et se

prendre en charge lui-même». (1992, p184).

Enfin la castration génitale oedipienne, sera représentée par l’interdit de l’inceste avec la verbalisation de l’interdiction du désir sexuel pour un membre de la famille.

Selon Dolto, certaines images du corps peuvent être pathologiques. Dans les expériences de souffrance physique, le sujet n’a plus de mot pour la parler.

L’image du corps participe à la création du Moi, en assurant une enveloppe protectrice à l’appareil psychique à travers l’établissement de limite. Anzieu à travers son concept de Moi peau tente de rendre compte de l’instant où appareil psychique et image du corps ne sont encore pas différenciés. Il définira ce concept par : « Le Moi peau est ce point d’équilibre où image

du corps et appareil psychique s’assimilent l’un avec l’autre. Ils se différencient progressivement au fur et à mesure que le sujet acquiert des capacités à construire des représentations iconiques et langagières » (Anzieu, 2003, p 8).

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